Le monde secret de l’intestin

Rencontre avec Jeremiah Bernier-Latmani, post-doctorant au Département d’oncologie fondamentale UNIL-CHUV, sur le site d’Epalinges. Complément de l’article paru dans Allez savoir ! 63, mai 2016.

Les villosités intestinales sont présentes par millions dans l’intestin grêle. Ces structures complexes, en forme de doigts, mesurent quelques dixièmes de millimètres. Elles sont responsables de l’absorption des nutriments. Au centre de chacune d’entre elles se trouve un lactifère. Ce capillaire lymphatique est chargé de transporter certains acides gras (dits à longue chaîne) et certaines vitamines vers la circulation systémique. Des cellules musculaires (dites SMC, pour smooth muscle cells) l’entourent. Cet ensemble est installé dans une « cage » de capillaires sanguins. Ils véhiculent les autres acides gras, ainsi que les sucres et les acides aminés.

Une nouvelle technique d’imagerie en 3D permet d’observer ces villosités – chez la souris – comme jamais auparavant. Elle a été créée par Jeremiah Bernier-Latmani, post-doctorant au laboratoire dirigé par Tatiana Petrova (Département d’oncologie fondamentale UNIL-CHUV, sur le site d’Epalinges). Ses travaux ont notamment été publiés dans Journal of Clinical Investigation.

Si le passage des lipides via les lactifères est connu depuis longtemps, les techniques de microscopie classiques ne permettaient pas de voir clairement les villosités, des structures touffues. La technique développée par le scientifique constitue un réel progrès.

La «lumière» de l’intestin, c’est-à-dire la partie creuse, est peuplée de milliards de bactéries. Certaines sont utiles, d’autres sont pathogènes. Les villosités «sont recouvertes d’une monocouche de cellules épithéliales», explique Jeremiah Bernier-Latmani. Situés en première ligne sur le plan immunitaire, ces entérocytes sont soumis à une inflammation constante.

Régénération fréquente
Cette agression leur impose une régénération fréquente. Au pied de chacune des villosités se trouve donc une «niche» de cellules souches. Cette micro-usine fabrique des entérocytes, qui migrent vers le haut de la structure et meurent à son sommet, après 5 à 7 jours. Ils sont ensuite éliminés via l’intestin. En parallèle, la technique d’imagerie a permis de découvrir que les lactifères se renouvellent également. Trois-quarts d’entre eux présentent des filopodes (des extensions en forme de fil), alors que les capillaires lymphatiques d’autres organes, comme la peau, n’en développent pas.

L’un des acteurs de cette régénération est la protéine DLL4, qui, avec d’autres de ses consoeurs, régule la survie des cellules lymphatiques, leur prolifération ainsi que leur capacité à migrer. Ce mécanisme a été vérifié grâce à des souris : chez elles, les gènes qui expriment la DLL4 ont été «éteints» chimiquement pour l’expérience.

Avant d’aller plus loin, il faut savoir que dans les entrailles des rongeurs, les villosités mesurent environ 300 microns au début de l’intestin grêle, et leur taille va decrescendo jusqu’à environ 50 microns. Les lactifères, par contre, possèdent une hauteur constante, qui est logiquement liée à leur capacité à absorber les vitamines et les lipides utiles à la vie.

Lactifères réduits
Après 10 semaines de traitement, donc de forte réduction de la production de DLL4, les souris présentaient des lactifères beaucoup plus courts, donc nettement moins aptes à traiter les acides gras. Cette protéine a une grande importance et son inhibition perturbe grandement l’organisme.

Cette découverte anticipe plusieurs problématiques médicales. En effet, des médicaments anti-cancéreux anti-DLL4 sont actuellement en phase d’essais cliniques. En effet, comme cette protéine favorise la migration et la prolifération des cellules, elle représente une cible pour des nouveaux traitements. A la lumière des expériences menées par Jeremiah Bernier-Latmani, il est permis de penser que ces drogues vont engendrer de possibles effets secondaires chez les patients.

Peu étudiés malgré leur importance, les capillaires lymphatiques de l’intestin grêle ont encore des informations à livrer. Les recherches continuent.

Vascular and Tumor Biology Laboratory : www.unil.ch/deo/home.html

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