Il y a deux siècles, Savigny prit son indépendance en se séparant de Lutry. Professeur honoraire à l’UNIL, Étienne Hofmann raconte dans un livre récent le déroulement du divorce du peuple des sapins d’avec le peuple des vignes.
Située à 20 minutes de Lausanne (quand le trafic le permet), Savigny est une cité de plus de trois mille habitants, constellée de chantiers. Comment peut-on s’imaginer qu’en 1764, le pasteur Jaccaud décrivait sa population, dont il gouvernait les âmes, comme des hommes des bois, des ivrognes et des brutes? Ce décor peu engageant constitue le cadre d’une scission de communes qui s’étala de 1820 à 1825. Cette rupture est décrite de manière vivante dans un ouvrage concocté par Étienne Hofmann, professeur honoraire à l’UNIL.
Vignes contre sapins
Avant le divorce, Savigny faisait partie de Lutry. Sur le plan économique, le terme «colonie» pouvait même s’appliquer. Un jour de voyage était requis pour se rendre d’un bourg à l’autre. Au-delà de cet aspect peu pratique, il y avait – pour simplifier – d’un côté les riches vignerons du bas, dont la ville comptait aussi bien des médecins, des horloges qu’une promenade, et de l’autre les malheureux perchés sur leurs collines, où les enfants grelottaient de froid dans une école menaçant ruine. Bref, l’argent pédzait au bord du lac et avait bien de la peine à grimper du côté des sapins.
Petit à petit, la rogne s’intensifia. En juin 1820, une équipe de Savignolans fit circuler une pétition qui demandait poliment la séparation, et expédia une lettre au style hasardeux à la Municipalité de Lutry, dont aucun des membres ne venait alors des hauts. Traités avec mépris, les séparatistes s’adressèrent ensuite de manière bien plus habile au Conseil d’État. L’époque était justement aux scissions de communes dans le tout jeune Canton de Vaud. Le livre d’Étienne Hofmann décrit bien l’embarras des Autorités face à ce qui se transforma en imbroglio joliment gratiné.
En février 1822, le Canton mit sur pied une commission spéciale menée par François-Salomon-Christophe Carrard, ancien syndic d’Orbe. Ce personnage, dont les nerfs furent soumis à rude épreuve, ne ménagea pas sa peine pour démêler l’affaire. Petit à petit, la bise tourna en défaveur de Lutry. La suite est racontée dans cet ouvrage scientifique qui se lit comme un roman (il y a même un banquet à la fin).
Sur la base de solides recherches en archives, Étienne Hofmann parvient à mettre en scène des personnages étonnants et à raconter une histoire riche d’enseignements, par exemple en ce qui concerne les tournures d’esprit vaudoises. À l’heure où les communes fusionnent, le récit de ce divorce prend une saveur particulièrement délicieuse. / David Spring (-Décombaz)