La mièvre Fête des amoureux possède un noble passé. Au XIVe siècle, c’est le chevalier et poète Othon III de Grandson qui la fit passer dans la littérature francophone. Une histoire que la journaliste Sonia Arnal a raconté il y a huit ans dans Allez savoir ! En voici un résumé.
«Je vous choisy, noble loyal amour, (…), Je vous choisy, gracieuse doulçour, Je vous choisy de cuer entier et vray, Je vous choisy par tele convenance que nulle autre jamaiz ne choisiray.» Voilà une déclaration d’amour plus digne que les «Pour ma Louloute bien-aimée» que l’on voit publiées dans nos quotidiens quand vient le temps de la Saint-Valentin.
Il faut dire que ces vers ont été écrits à la fin du XIVe siècle par un certain Othon III de Grandson (1340 environ à 1397), un chevalier voyageur et poète, ami des plus grandes cours européennes, à qui nous devons l’introduction de la tradition des billets doux, ainsi que de la Fête de la Saint-Valentin dans le monde francophone.
Plus loin dans l’article, Alain Corbellari, aujourd’hui professeur associé de littérature française médiévale, expliquait que «Valentin était déjà certainement fêté par le peuple depuis longtemps, mais son introduction dans la littérature date du XIVe siècle. C’est en Angleterre qu’il apparaît, chez Chaucer, qu’Othon III connaissait bien». La famille des Grandson est depuis longtemps déjà très proche de la cour d’Angleterre quand notre poète y débarque.
Ce dernier s’est formé à la fois à la chevalerie et à la littérature: «Depuis le XIIe siècle déjà, depuis en somme qu’il existe une poésie en langue vulgaire, l’épée et la plume sont liées, précise Alain Corbellari. La tradition du seigneur troubadour commence avec Guillaume d’Aquitaine, et à l’époque d’Othon III, soit dans la seconde moitié du XIVe, c’est vraiment très à la mode pour un noble de cultiver ce talent.» C’est dans ses relations avec la noblesse et les poètes anglais qu’Othon a puisé une matière très importante pour son œuvre: la Saint-Valentin.
Tradition anglaise
Les Anglais avaient en effet pour habitude de choisir le 14 février leur Valentine, qui serait leur amoureuse pour… une année seulement. Il était de bon ton de lui écrire des billets d’amour – toujours anonymes. Pas question, bien sûr, de se dévoiler: la dame et son soupirant pouvaient être déjà pris, et de toute façon tout l’intérêt de la chose était dans le secret et le jeu.
Othon s’est donc prêté à ce jeu des messages codés. Mais les fins lecteurs que sont Justin Favrod et Jean-Daniel Morerod, tous deux docteurs ès Lettres de l’UNIL, pensent avoir percé le secret de son cœur. Ils nous en donnent la clé dans leur Histoire du temps: «Othon a écrit plusieurs ballades consacrées à une «Valentine» anonyme dont il fournit toutefois le nom au lecteur subtil qui ne retient que la première lettre de chaque vers de l’un de ses poèmes: «Isabelle». Dans une autre complainte, on apprend qu’Isabelle a disparu: «Je vois que chacun amoureux veut ce jour s’apparier. Je vois chacun être joyeux. Je vois rire, chanter, danser. Mais je me vois seul en tristesse, parce que j’ai perdu ma dame et maîtresse.»
Renouveau du printemps
«Sur le plan littéraire, la Saint-Valentin telle qu’elle est chantée à cette époque se rattache à la «reverdie», un thème traditionnel de la littérature médiévale, et plus particulièrement de la poésie courtoise», poursuit Alain Corbellari. Les auteurs chantent ainsi le renouveau du printemps, le retour des oiseaux et, forcément, le renouvellement de l’amour.
Othon III a consacré de nombreux poèmes à ce thème. «On sent chez lui une tension entre l’idéal de l’amour courtois, très fidèle, noble, dans lequel l’homme est pour toujours le vassal de sa dame, et la Saint-Valentin, d’inspiration plus libertine puisqu’on y change de partenaire chaque année, et qui est avant tout un jeu», note Alain Corbellari.
Suspecté d’avoir empoisonné Amédée VII, comte de Savoie, Othon III se réfugie en Bourgogne, puis en Angleterre. C’est précisément à cause de cette accusation que ce Vaudois périra dans un duel contre son voisin d’en face, Gérard d’Estavayer.