Docteure de l’UNIL en histoire de l’art, Lucienne Peiry propose une nouvelle édition de son ouvrage essentiel, «L’art Brut». L’occasion d’en (re)découvrir l’histoire et les créateurs, ainsi que d’en explorer les territoires actuels.
Un accordéon ou un téléviseur contre des œuvres. Voici le troc qu’a proposé André Robillard, dont les fusils colorés, par exemple, peuvent être vus à la Collection de l’Art Brut à Lausanne. Cette anecdote se trouve dans la nouvelle édition de l’ouvrage de référence de Lucienne Peiry, L’Art Brut, qui nous propose une vue complète de ses origines, de son développement, de ses créateurs et de ses coulisses.
Docteure de l’UNIL, Lucienne Peiry a dirigé la Collection. Pour Allez savoir!, elle évoque ses face-à-face avec Gregory Blackstock à Seattle, ou avec Ni Tanjung à Bali. «Les rencontres avec ces artistes sont humainement riches et troublantes, autant que fécondes sur le plan intellectuel. Il faut prêter attention à la manière avec laquelle ces autodidactes préparent leurs peintures ou leurs broderies, comment ils s’y lancent fiévreusement, et comment ils s’enchantent eux-mêmes de la forme aventureuse, souvent imprévue qu’elles prennent.»
Loin du monde de l’art
Comment définir l’Art Brut? Jean Dubuffet, père de la notion, l’oppose à «l’art culturel», c’est-à-dire fait pour un public. «Un créateur d’Art Brut ne fréquente pas le monde de l’art contemporain et ignore, dans les deux sens du terme, les règles et les usages de ce milieu», souligne Lucienne Peiry. Les artistes, pour qui le succès peut être inconfortable, sont «à mille lieues de se préoccuper de la réception de leurs œuvres».
Si notre pays constitue un territoire important pour l’Art Brut, Lucienne Peiry a prospecté dans «des régions comme le Japon, la Chine, l’Inde, le Bénin et le Ghana. Toutefois, les trouvailles que j’ai faites en Autriche, en Italie et en Suisse laissent présager que l’Europe reste une terre de découvertes possibles!» Le marché de l’art s’intéresse à l’Art Brut, qui peut atteindre des prix très élevés. Lucienne Peiry traite de ce développement, mais à rebrousse-poil, à l’image de son sujet d’étude. «C’est le regard des maisons de ventes aux enchères qui a changé depuis une vingtaine d’années, et non celui des auteurs d’Art Brut. Leurs œuvres conservent intact leur pouvoir insurrectionnel.»