Les chercheurs de l’Université de Lausanne ne passent pas leur vie sur le campus, loin de là. Leurs sujets d’études peuvent les mener loin de Dorigny. Ainsi, début février 2012, le professeur Raphaël Rousseleau (Institut religions, culture et modernité), et Francis Mobio, chargé de cours au décanat théologie et sciences des religions, se sont rendus en Inde.
«Le but de ce voyage était de réaliser un entretien filmé avec le professeur Jyotindra Jain à Delhi, raconte Raphaël Rousseleau. Cet historien de l’art a été commissaire général de l’exposition «Autres maîtres de l’Inde», qui s’est tenue en 2010 au musée du quai Branly, à Paris. Jyotindra Jain possède une collection étonnante de collages, issus de l’art populaire des années 20 et 30. Il s’agit de paysages européens peints, sur lesquels des artistes ont collé des divinités hindoues, découpées dans d’autres documents. Un métissage tout à fait surprenant, qui permet à Krishna et Radha de flirter devant une maison à colombages…
De Delhi, les deux chercheurs lausannois ont pris le train pour Shimla, la capitale de l’Himashal Pradesh, située très au nord de l’Inde. Installée à plus de 2200 mètres, cette ville touristique est l’objet d’un pèlerinage intéressant. «Les Indiens issus des classes moyennes et supérieures s’y rendent en lune de miel. Les couples se font photographier devant les montagnes, raconte Raphaël Rousseleau. Nous avons cherché à comprendre comment les gens se représentaient devant ce paysage, et comment ils se l’appropriaient.» Grâce à des interviews, et à la médiation de Joël Cabalion, un universitaire français de Delhi qui parle couramment le hindi, des motivations multiples ont émergé. D’abord, comme le voyage coûte cher, il s’agit d’affirmer un idéal de réussite sociale. L’héritage colonial entre en jeu: Shimla, qui aligne de nombreux bâtiments de style européen, a été la capitale d’été de l’Empire britannique dans le sous-continent. Enfin, «Bollywood» véhicule un imaginaire lié à l’amour : les scènes romantiques de plusieurs longs-métrages populaires ont été tournés dans cette ville. «Les touristes cherchent à retrouver les lieux des tournages», rapporte le professeur lausannois. Une personne interviewée a même fredonné la chanson de l’un de ces films. Une autre clé : dans le cinéma indien, et auparavant dans son théâtre, les sentiments sont codifiés. Ainsi l’amour, qui renvoie plutôt au coucher de soleil sur la plage pour un occidental, est symbolisé notamment par la montagne en Inde.
Sur le «Ridge», soit la large avenue qui constitue l’un des points forts de la Shimla, les couples se font photographier… en costume cashemiri, que louent des photographes installés sur place. Les jeunes mariés prennent alors des poses que l’on peut voir dans des films populaires, qui brodent souvent sur le thème de la rencontre d’une paysanne avec un prince charmant.
«Il nous reste beaucoup de fils à tirer : quand est-ce que cette mode a commencé ? Quel lien a-t-elle avec la tradition indienne ? Quelle est l’empreinte exacte du colonialisme ?», note Francis Mobio, qui ne s’étonne pas être revenu d’Inde avec davantage de questions que de réponses. Le voyage des deux Lausannois, et les entretiens filmés, sont les premiers pas d’une recherche plus approfondie.