La génétique permet de plonger aux origines de nos vignobles. Elle nous aide encore à luttre contre les maladies, à diminuer les pesticides et à choisir les meilleurs plants, explique José Vouillamoz.
La connaissance du patrimoine viticole et de son origine: voilà ce qui intéresse José Vouillamoz, un passionné, par ailleurs amateur très éclairé du produit de la vigne. Il a voyagé en Arménie, en Géorgie, en Turquie, à la recherche de vieux cépages et de vignes sauvages.
Ce Docteur ès Sciences de l’Université de Lausanne et actuel chercheur à l’Université de Neuchâtel a passé récemment un an à l’Université de Californie de Davis. Pourquoi la Californie? «Parce que c’est l’un des grands centres mondiaux de compétences dans l’analyse de profils génétiques de la vigne», explique le chercheur. C’est là qu’il a mené à bien l’étude qui a révélé les origines valdôtaines du Cornalin du Valais.
Avec sa collègue Claire Arnold de l’Université de Neuchâtel, il vient par ailleurs d’achever, grâce au soutien financier du Secrétariat d’Etat à la recherche (SER), l’établissement des profils génétiques de tous les individus du genre Vitis en Suisse: la Swiss Vitis Microsatellite Database (SVMD) est désormais disponible sur internet.
Comprendre les maladies, diminuer les pesticides
Ses découvertes ne se limitent pas aux vins valaisans. Elles ont aussi des applications techniques. «Elles permettent de comprendre comment s’héritent les résistances aux maladies, avec la perspective de diminuer l’utilisation de pesticides, explique-t-il. Connaître la parenté d’un cépage permet également d’en créer de nouveaux en évitant de croiser un parent avec son enfant, ce qui, quelle que soit l’espèce, ne donne rien de bon.»
Grâce à ces nouvelles connaissances, on pourra aussi mieux préserver des cépages jusque-là inconnus, vieux ou locaux – les cinq ou six cépages donnant la majorité des vins en vente dans les supermarchés mondiaux étant loin d’être représentatifs de la variété existant dans le monde.
La carte d’identité génétique d’un cépage
Depuis une dizaine d’années, l’établissement de la carte d’identité génétique d’un cépage permet de déterminer avec précision sa parenté, pour autant que les parents existent encore. C’est un énorme travail, coûteux en temps et en argent. Une année aura ainsi été nécessaire à José Vouillamoz pour établir d’une part que le Cornalin du Valais (connu jusqu’en 1972 sous le nom de Rouge du Pays) est issu du croisement du Mayolet et du Petit Rouge, deux cépages valdôtains, et pour établir que, d’autre part, le Cornalin d’Aoste et l’Humagne rouge sont en réalité un seul et même cépage, fils du Cornalin du Valais – l’autre parent étant inconnu.
La technique est celle qui est utilisée pour les tests de paternité chez les humains. «En simplifiant, il s’agit d’isoler puis d’examiner (après amplification par PCR ou Polymerase Chain Reaction) des zones de répétition (aussi appelées microsatellites) de l’ADN d’un «individu» donné. Ces zones de l’ADN ne portent pas de message génétique, mais elles sont variables d’un individu à l’autre. En mesurant la longueur des zones en question (nombre de molécules), on obtient des chiffres, caractéristiques de l’individu. C’est le profil génétique qui est constitué de plusieurs microsatellites, présentant chacun un ou deux caractères hérités du père et de la mère.»
La production de clones
Dater les croisements est cependant impossible et seule la recherche historique peut donner une idée de l’âge d’un cépage, dont tous les individus sont des clones. La vigne, comme beaucoup d’autres plantes, se reproduit en effet sexuellement mais aussi de manière végétative, sans croisement, donc sans sexualité. Artificiellement, on pratique d’ailleurs de même, par le marcottage ou bouturage qui produisent aussi des clones, 100 % identiques à la plante d’origine. Toute reproduction sexuée produirait en effet des caractères nouveaux.
«Par exemple, en croisant du Merlot avec un autre cépage, ou même avec un autre pied de Merlot, on n’obtient plus du Merlot mais le fils du Merlot, et celui-ci n’aurait pas les mêmes qualités que son père, explique le biologiste. En Valais, pour régénérer un vignoble, on pratique encore les versannes, opération qui consiste à coucher la plante entière et à en enterrer les sarments. Une fois sous terre, ceux-ci créent de nouvelles racines et rejaillissent plus loin, donnant naissance à plusieurs clones.»
La génétique du Pinot
La technique du clonage, qui permet de conserver les qualités d’un plant, est connue depuis plus de 3000 ans avant J.-C. «Au départ de chaque cépage se trouve une seule et unique graine (pépin) qui donne une plante. Cette plante est propagée, parfois pendant des siècles, par multiplication végétative, donnant des nouveaux pieds presque 100% identiques à la plante initiale. A ceci près qu’au cours de ces centaines de milliers de clonages successifs, des mutations ponctuelles peuvent apparaître, à un endroit qui a, ou non, une fonction visible pour l’homme. Dans 98 % des cas environ, ces mutations arrivent dans des endroits de l’ADN qui ne codent pour rien du tout, ce qui est le cas pour une bonne partie de l’ADN. Ou alors, ces emplacements de la chaîne codent pour des systèmes biochimiques dont l’effet n’est pas détecté visuellement. Seuls 1 ou 2% arrivent dans des endroits visibles.»
C’est ce qui se produit par exemple avec le Pinot, gris, blanc ou noir, très difficiles à différencier avant la formation des grappes. «Au cours des réactions biochimiques qui forment les pigments, si une enzyme est mal formée, la couleur se perd. D’un point de vue génétique, il s’agit donc d’un seul cépage, qui a subi des mutations de couleur, tout le reste de l’ADN étant identique.»
«Choisir le bon clone pour un terroir donné»
A la longue, ces clonages à répétition ont pour effet de très grandes variations de qualité. C’est la raison pour laquelle l’adéquation terroir / cépage n’est pas suffisante. Pour José Vouillamoz, il faut s’intéresser à l’adéquation clone / terroir.
«Chacun sait que la petite Arvine se porte très bien sur les coteaux valaisans de moyenne altitude. Mais il existe maintenant une cinquantaine de sélections de clones différents de ce cépage, fait-il remarquer. Le Pinot, lui, en a au moins 200, qui présentent d’importantes différences qualitatives. Certains sont très productifs, donnent des vins fluides, aqueux et sans intérêt, d’autres sont peu productifs, ont des petites grappes très compactes et donnent un fruit extraordinaire. D’où l’importance de choisir le bon clone pour un terroir donné. Ce qui suppose un travail énorme, qui peut prendre des années d’essais dans les vignobles et de microvinifications.»
Elisabeth Gilles
En savoir plus:
«Orignine génétique des cépages valaisans: les surpises de l’ADN», sur www.histoireduvin.ch/col_03_l_veuillamoz
La Swiss Vitis Microsatellite Database (SVMMD) est disponible sur Internet: www.unine.ch/nccr/svmd