Présent dans La suite du Merlin, comme le chat de Lausanne, ce monstre singulier a fait l’objet d’une étude à l’UNIL.
«Le chat de Lausanne et la bête glatissante sont deux bestioles assez étranges qu’Arthur croise sur sa route. Mais s’il tue le premier, il ne fait qu’observer la deuxième », signale Hélène Cordier, assistante diplômée à la section de français et coordinatrice du Centre d’études médiévales et post-médiévales, qui a réalisé une conférence sur la curieuse créature.
Dans La suite du Merlin, Arthur s’endort suite à une chasse en forêt et rêve de la destruction de son royaume. À son réveil, la bête glatissante – nommée ainsi car elle fait le bruit de 30 à 40 chiens de chasse – apparaît, pourchassée par un autre chevalier, Pellinor, qui n’arrive jamais à la capturer. Merlin lui explique qu’elle ne pourra être attrapée que par un chevalier extrêmement pur.
« C’est son fils, Perceval, qui est appelé à percer son mystère, précise la doctorante. Cette bête apparaît ici pour deux raisons : faire le lien avec le rêve de destruction, annonçant le fait qu’Arthur a conçu un enfant illégitime et incestueux qui détruira le royaume (en somme un être monstrueux) et faire écho à Perceval, le chevalier du Graal. Elle a donc une ambivalence en signifiant à la fois la destruction du monde arthurien et le côté sacré de la quête chevaleresque. »
D’ailleurs, le monstre est décrit comme étant « diverse », ce qui signifie en ancien français qu’il est différent des autres, poursuit la chercheuse. « On n’arrive pas à le décrire, c’est une anomalie. Diverse veut aussi dire composite, formé de plusieurs parties d’animaux distincts. » Dans des textes plus tardifs, comme dans L’Estoire du Saint-Graal, le bête aura la tête et le cou d’une brebis, les pattes d’un chien, les cuisses noires comme le charbon, la croupe d’un renard et la queue d’un lion. Par la suite, dans le Tristan en prose, elle ressemblera à un serpent, voire à un dragon. Ce qui est troublant, c’est que lors de sa première apparition, dans le Perlesvaus au XIIe siècle, elle est menue, blanche, plus grande qu’un lièvre, mais moins qu’un renard. « Elle est effrayée par les bruits produits par des chiots qui glapissent à l’intérieur de son ventre et le héros Perlesvaus, un avatar de Perceval, a pitié d’elle lorsque ces chiots qui sortent de son ventre la dépècent. Son corps exhale alors une odeur suave, caractéristique des reliques de saints. Dans ce texte, la bête incarne une figure christique ainsi qu’une explication sur le Graal et sur la notion de sacrifice. »
Que s’est-il passé pour qu’elle devienne aussi laide et effrayante au fil des nouveaux récits ? « Il y a un changement de paradigme entre le XIIe et le XIIIe siècle, au moment où l’Église prend plus de place dans les récits arthuriens, analyse Hélène Cordier. Les auteurs médiévaux sont embarrassés par cette bête dont on ne sait si c’est du lard ou du cochon et qui représente quelque chose de sacré. Je pense que le texte de La suite du Merlin fait charnière et qu’ensuite elle va perdre sa symbolique sacrée pour ne garder que le diabolique, allant de pair avec son apparence de plus en plus étrange. Tardivement, elle bascule même du côté du monstre de l’Apocalypse. »
Dans les textes anglais du XVe siècle, on la nomme la Questing Beast, autrement dit la bête à chasser. Pour imaginer à quoi elle ressemblait alors et quels bruits elle faisait, on regardera l’épisode 13 de la première saison de la série Merlin de la BBC (2008)…
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