Le héros de Camelot, ou Kaamelott pour les intimes de l’œuvre du prolifique Alexandre Astier, a terrassé un chat féroce en terre vaudoise. Si ni la série à succès ni le film n’en parlent, les chercheurs de l’UNIL, eux, s’y sont attardés. Autant que sur les héros médiévaux locaux insoupçonnés, voire ignorés…
Au milieu des exploits fabuleux du roi Arthur, qui tranche la tête de géants et conquiert des contrées entières, on trouve une anecdote qui se déroule au bord du lac de Lausanne, le nom du Léman au Moyen Âge. Un pêcheur promet à Dieu sa première prise et finalement la garde. Idem pour sa deuxième capture. À la troisième remontée des filets, il attrape un chaton. Ravi d’avoir trouvé un animal qui pourrait le débarrasser des souris et autres rats, le pêcheur le prend à la maison et là, le félin se transforme en démon, qui le tue, ainsi que sa famille et les habitants de la région. Prévenu par Merlin de cette horreur après avoir battu les Romains, Arthur se lance dans un combat laborieux avec l’animal sur le Mont du Chat où il finit par l’éliminer.
« On ne sait pas pourquoi le roi Arthur arrive ici, alors qu’il vit relativement loin, précise Alain Corbellari, professeur à la Section de français et codirecteur du Centre d’études médiévales et post-médiévales à l’UNIL. Mais il est encore jeune et capable de quelques exploits. Qu’un chat sorte de l’eau n’a rien d’étonnant. Cela fait partie des merveilles qui arrivent au Moyen Âge. Dieu fait ce qu’il veut. » Et les auteurs aussi, comme le prouve la passionnante enquête menée par le médiéviste.
Le chat qui aurait tué le roi
La version canonique de ce texte figure dans Le Lancelot-Graal, le grand roman arthurien qui va des origines du Graal jusqu’à la chute du monde arthurien, relate Alain Corbellari. Il se situe à la fin de La suite du Merlin, qui raconte les premiers exploits du roi Arthur. « Mais il existe aussi une version alternative à cette histoire qui ne se trouve pas sous forme narrative mais sous forme d’allusions. Le médiéviste suisse Paul Aebischer cite un troubadour et un autre écrivain français de la fin du XIIe siècle, André de Coutances, qui ont conté qu’Arthur a été jeté par Capalu – Chapalu en français – dans la palud, c’est-à-dire le marécage. Il faut rappeler que la place de la Palud, à Lausanne, était marécageuse au Moyen Âge. L’origine de Chapalu vient d’un mythe gallois, le monstre Cat Paluc, qui est devenu en français le chat du marécage. »
Ainsi, pour le plaisir d’une rime, on fait assassiner un chevalier légendaire par un chat dans l’actuelle capitale olympique. Même si le félin était souvent considéré comme monstrueux au Moyen Âge, l’idée reste aberrante, selon le professeur de français. Et contredite par tous les récits de l’histoire arthurienne qui indiquent qu’il serait mort lors d’un combat, bien plus tard, mené contre son propre fils incestueux, Mordred, qu’il aurait eu soit avec sa sœur Anne, soit avec sa demi-sœur, la fée Morgane. « Ces allusions partent probablement d’un contresens. En ancien français, on a deux cas et on met parfois le sujet après l’objet. Une erreur s’est peut-être glissée ici. Il se peut aussi qu’il y ait eu une méprise dans la transmission orale ou une volonté de ridiculiser Arthur, tué par un vulgaire chat. Toujours est-il qu’il s’agit d’une version tout à fait minoritaire. »
Lacs et traîtres se mélangent
Pour en revenir à la version canonique, le monstre est achevé sur le Mont du Chat, qui n’a aucun lien avec Lausanne puisqu’il est attesté depuis la fin du XIIe siècle qu’il existe à côté du lac du Bourget en Savoie. Comment cela se fait-il ? « Il y a eu un transfert du lac savoyard au lac Léman, analyse le médiéviste de l’UNIL. Comme ils sont proches et que le roi Arthur vient de loin, on peut comprendre la confusion. »
On peut aussi se demander pourquoi les auteurs ont choisi Lausanne plutôt que Genève qui à l’époque était également une ville de passage d’importance. Parce que Lausanne est un nom propice aux associations d’idées, souligne Alain Corbellari. « Selon moi, elle fait référence à la losange (prononcé [ãn]), qui désigne la fausse flatterie en ancien français. Au Moyen Âge, le « a » nasalisé devant le « n » est toujours prononcé en gardant la consonne. Il en va donc de même pour Lausanne. Les deux mots se ressemblent alors vraiment. Dans les chansons de geste, Lausanne est souvent citée, en particulier dans l’Aiol
et Dieudonné de Hongrie, dans lesquelles elle est la ville des traîtres. »
Et c’est en consultant un index répertoriant les noms du Moyen Âge que le chercheur s’est convaincu de son hypothèse. L’auteur de l’ouvrage, d’habitude peu généreux en matière de commentaires, a précisé pour Lausanne : « ville d’où sont originaires divers traîtres ». « Puisque Lausanne a un nom qui peut porter à être mal interprété, il est logique que dans l’imaginaire linguistique des auteurs du Moyen Âge, elle devienne la ville de la traîtrise. Et si le lac du Bourget est près du lac de Lausanne, l’attraction d’un nom qui désigne tous les gens peu recommandables, les losangiers, a été suffisante pour une localisation lausannoise plutôt que savoyarde et ainsi enrichir le sens de l’anecdote. »
Le héros romand de La chanson de Roland
« Dès le XIIe siècle, les noms de Lausanne et Genève sont bien connus dans la littérature parce que ces cités sont dans une région de passage, plutôt que de culture littéraire. Mais elles restent les deux seules villes de la Suisse romande actuelle à apparaître régulièrement dans les écrits français médiévaux. » Notamment dans la chanson de geste de Girart de Vienne, qui date du XIIe siècle. Le neveu de Charlemagne, Roland, se bat contre Olivier dans une île sur le Rhône. Un ange finit par les séparer. Ils deviendront ensuite des amis fidèles et cela jusqu’à leur mort lors de la bataille de Roncevaux, contée dans la fameuse Chanson de Roland.
Olivier vient tour à tour de Lausanne, de Genvres ou de Verdun dans l’épopée, explique Alain Corbellari. Mais il n’apparaît ainsi qu’à la fin du XIIe siècle. « Si l’on admet qu’il s’agit à chaque fois du même personnage, donc du compagnon de Roland, et non pas d’un autre protagoniste, je pense que l’on peut considérer qu’il est Romand. » Certes, il n’existe aucun doute sur Lausanne. Mais qu’en est-il de Genvres et Verdun ?
Pour certains, Genvres se rapporterait à Gênes en Italie. Mais le spécialiste de l’UNIL estime que c’est une erreur. « La présence de comes Gebennensis pour désigner Olivier dans La Chronique de Turpin, écrite antérieurement, prouverait qu’il s’agit bien de Genève (Gebenna). Et j’ai une petite hypothèse pour la troisième appellation, Verdun. » En lisant Le Canton de Vaud de Juste Olivier, le médiéviste a en effet remarqué que l’érudit vaudois du XIXe siècle orthographiait la ville à l’autre bout du lac de Neuchâtel non pas Yverdon, mais Yverdun. « Mon hypothèse est que Verdun est une forme d’Yverdun, donc d’Yverdon. Notre Olivier serait peut-être complètement Romand ! »
Un poète vaudois ignoré
Jusqu’au XIVe siècle, la Suisse romande ne possède pas de grande tradition culturelle, donc aucun auteur. « Il faudra attendre Othon III de Grandson (mort en 1397), le plus grand poète lyrique de son temps. Or, il est un mauvais exemple puisqu’il a passé l’essentiel de sa vie en exil. Prisonnier en Espagne, il a été imité par de nombreux poètes espagnols. Il a vécu très longtemps en Angleterre et a influencé des écrivains aussi importants que Geoffrey Chaucer, l’auteur célèbre à qui on attribue le premier poème de la Saint-Valentin. Pourtant, après l’avoir étudié et présenté mes conclusions dans un livre à paraître, je reste persuadé qu’Othon III de Grandson est le véritable inventeur de cette tradition… »
Pour tout savoir sur Othon III de Grandson : Alain Corbellari lui a consacré un fascicule de l’Histoire littéraire de la France qui devrait paraître à la fin de l’année 2021 sous les auspices de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.
Le chat de Lausanne a fait l’objet d’un programme pilote à l’UNIL, PRISE, pour Practicing and Reflecting on Interculturality in Society and Education. Il réunit l’enseignement secondaire et l’Université, les cantons helvétiques ainsi que la Suisse et le Japon autour d’un objectif : faire expérimenter l’interculturalité en créant des films sur les stéréotypes culturels associés à la Suisse et au Japon. Le scénario d’un court-métrage policier, librement inspiré de l’exploit d’Arthur, a été écrit. Sa réalisation a malheureusement été interrompue par la pandémie.
Pour plus d’informations : unil.ch/projetprise
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