Deux chercheurs de l’UNIL préparent le lancement d’une start-up qui propose aux pisciculteurs une méthode de reproduction artificielle plus respectueuse de la nature. Le projet est soutenu par les bourses InnoTREK et UCreate.
Dans l’un des laboratoires du Biophore, à Dorigny, une spin-off de l’UNIL se prépare à éclore. Nommée e-Fishency, cette start-up en devenir est portée par David Nusbaumer et Christian de Guttry, deux biologistes du Département d’écologie et évolution, spécialisés dans la génétique des poissons. Leur ambition: mettre leur expertise au service des pisciculteurs, en leur proposant dans moins d’un an une méthode de reproduction plus respectueuse des principes de la nature.
À l’état sauvage, dans la majorité des cas, une femelle qui désire s’accoupler relâche ses œufs dans l’eau seulement après avoir choisi un mâle selon des critères de sélection sexuelle. Mais dans certains cas de reproduction artificielle, ce principe est perturbé : les éleveurs mélangent des centaines d’œufs de génitrices différentes avec la semence de plusieurs mâles et les fécondations se font aléatoirement.
Alevins consanguins
Le procédé actuel est «trop basique», selon les chercheurs, car il néglige les principes biologiques les plus triviaux – comme le fait de ne pas se reproduire avec son frère ou ses parents – fragilisant ainsi les élevages et les écosystèmes.
«Il est très probable aujourd’hui de trouver du poisson issu d’accouplements consanguins au supermarché, relève Christian de Guttry. Surtout si celui-ci vient d’élevage, où seuls les meilleurs individus – probablement apparentés – sont sélectionnés. Cela engendre malheureusement une baisse de la diversité génétique», poursuit-il.
Grâce aux techniques de séquençage de dernière génération, rapides et précises, les chercheurs utilisent une méthode qui analyse les liens biologiques entre les individus d’une population et détermine les croisements à éviter. Résultat: des poissons riches génétiquement, comme s’ils avaient été créés par Mère Nature. Ce qui, par rapport aux pratiques de reproduction conventionnelles, présente une série d’avantages démontrés: diminution du risque de consanguinité, augmentation de la rapidité de croissance, de la longévité, de la fécondité, amélioration de la résistance aux maladies, etc.
Des cantons intéressés
Pour étoffer leur offre de services, les deux collègues associent les outils de la bioinformatique, dont Christian de Guttry est spécialiste, à la technologie de cryo-préservation maîtrisée par David Nusbaumer. Ce qui leur permettrait en théorie de donner à leurs futurs clients la possibilité de conserver du matériel reproducteur «à vie».
Un service susceptible d’intéresser particulièrement les gestionnaires de lacs et de cours d’eau qui, dans le cadre de programmes de repeuplement des espèces, introduisent régulièrement dans la nature des alevins conçus par l’homme. «À partir de spermatozoïdes cryogénisés, il sera par exemple possible de restaurer partiellement le patrimoine génétique d’une population locale en cas d’extinction», illustre celui qui a déjà mis en place une banque de sperme similaire pendant son doctorat, sous l’impulsion de son superviseur de thèse Claus Wedekind.
Soutenu par les bourses UCreate et InnoTREK, le projet suscite l’intérêt d’éleveurs suisses mais aussi de cantons. Notamment en Suisse romande, où les scientifiques mènent cet hiver des projets pilotes, jusqu’à ce que e-Fishency ne sorte définitivement de l’œuf, fin 2021.