Interview de Gianni Haver, professeur de cinéma et de sociologie des communications de masse
Professeur de cinéma et de sociologie des communications de masse, spécialiste de l’histoire des superhéros, Gianni Haver analyse l’imparable succès télévisuel de l’été 2007.
Voyez-vous des nouveautés marquantes dans «Heroes» par rapport aux histoires de superhéros antérieures?
Il n’y a rien de révolutionnaire, comme le fut la création de Superman en 1938, mais le mélange d’ingrédients qu’utilise la série est tout de même inédit. J’y vois un croisement entre la tradition du fantastique de séries TV qui exploitent le paranormal et le mystère, comme «La quatrième dimension» ou «X-Files», avec la tradition des superhéros des comic books américains. La référence à ces derniers est d’ailleurs explicite dès le premier épisode, avec des personnages qui se déclarent fans de ce genre de fiction. On peut y ajouter le gore comme troisième ingrédient, avec la présence d’un serial killer qui vole le cerveau de ses victimes. Les histoires de superhéros sont généralement très proprettes. On y voit peu de blessures et très peu de sang. Certaines scènes de «Heroes» vont assez loin dans le sanguinolent.
La série réinvente-t-elle la figure du personnage doté de pouvoirs extraordinaires?
Le fait que les héros ne soient pas tous américains est intéressant. Je vois aussi un souci d’inventer certains pouvoirs inédits. L’homme radioactif et l’artiste doué de prescience me semblent inédits. Par ailleurs, du point de vue des codes qui régissent l’univers des superhéros, la série débarrasse les personnages de certains attributs typiques. Le super-héros classique se définit par son costume, ses superpouvoirs et sa double identité. Le costume et la double identité marquent le partage entre le caractère humain et l’aspect hors norme du personnage. Le superpouvoir est ce qui fonde son identité. Les personnages de «Heroes» ne se définissent plus que par leurs pouvoirs spéciaux. La série opère une fusion entre l’ordinaire et l’extraordinaire, que le héros ne maîtrise d’ailleurs pas bien. Des indices montrent cependant que certains personnages vont bientôt porter un costume et maîtriseront mieux leurs pouvoirs.
Beaucoup de ces héros vivent très mal l’apparition soudaine de leurs nouvelles capacités…
La dimension du doute existe déjà chez des personnages anciens. Les premiers superhéros, datant du «golden age» des années 1930-40, sont invincibles et assument parfaitement bien leur rôle. Superman, Batman ou Captain America ne doutent jamais de leur mission. Mais la génération suivante, qui apparaît dans les années 60, commence à réfléchir sur des pouvoirs parfois vécus comme une tare. Le Silver Surfer s’arrête régulièrement sur une double page de BD pour s’attarder sur les actes qu’il vient de commettre. Spiderman connaît des pannes de pouvoir et des moments d’épuisement.
Certains personnages de «Heroes» deviennent suicidaires…
Cet aspect est plus surprenant. De toutes les figures de superhéros que je connais, je n’en vois pas qui en viennent à ce genre d’extrémité. Mais ce n’est qu’une manière de pousser le caractère angoissé que l’on connaît déjà.
Il y a aussi la question de l’origine des pouvoirs. Les personnages de «Heroes» se réveillent un jour avec de nouveaux talents, dont on se doute qu’ils ont une origine génétique.
Oui, il y a cette idée qu’on peut bricoler l’ADN pour accélérer l’évolution humaine, comme on est en train d’accélérer l’évolution du maïs en le modifiant génétiquement. C’est sans doute caractéristique de notre époque. Superman est naturellement doté de pouvoirs hors-norme. C’est un extraterrestre qui se camoufle en humain. Batman est un homme très riche qui peut se payer des gadgets extraordinaires et travaille beaucoup sa forme physique. Captain America est transformé par une mixture qu’il a ingérée pour des expériences militaires. Dans les années soixante, les superpouvoirs naissent souvent d’une exposition accidentelle aux radiations atomiques, mais on trouve déjà l’idée d’expériences biologiques avec les XMen, qui sont des mutants, de même que le concept d’une fusion entre l’homme et la machine avec le personnage de Wolverine, à qui l’on implante des mains de métal rétractiles.
Après la série des «4400», «Heroes» poursuit cette idée de superpouvoirs qui s’étendent à un groupe important de gens ordinaires. C’est comme si cse nouvelles capacités pouvaient se disséminer ainsi que des OGM…
Pas tout à fait, puisque la transmission des nouveaux pouvoirs paraît liée à un personnage mystérieux. Cela dit, on perçoit effectivement cette idée que les superpouvoirs pourraient se démocratiser pour atteindre toute l’humanité, et qu’un jour, ceux qui n’ont pas de pouvoirs spéciaux seront minoritaires… Je ne voudrais cependant pas donner trop d’interprétations sociologiques à cette série. Un modèle de fiction change aussi simplement parce qu’on l’explore et qu’on le fait évoluer.
Propos recueillis par Pierre-Louis Chantre