Auteur de «La Suisse s’interroge» présenté dans le cadre de l’Expo 64, le cinéaste et photographe neuchâtelois Henry Brandt aurait eu 100 ans. Un livre évoque son riche parcours.
Quand on évoque la trajectoire du photographe et cinéaste suisse Henry Brandt (1921-1998), il ne faut pas avoir peur des superlatifs. Ses images sont tout simplement magnifiques. Et ses films, bouleversants, déroutants, frappent par leur intelligence douce-amère. À plus d’un titre, ils restent en outre terriblement actuels. Les plus âgés d’entre nous se souviennent de l’enfant aux yeux tristes de La course au bonheur, une des séquences de La Suisse s’interroge, véritable installation cinématographique conçue par Henry Brandt pour l’Exposition nationale de 1964.
De la solitude des personnes âgées aux dangers représentés par la pollution, en passant par un regard respectueux et curieux porté sur les pays lointains, son œuvre fut toutefois beaucoup plus vaste. Placé sous la direction de Pierre-Emmanuel Jaques et Olivier Lugon, un bel ouvrage le rappelle, réalisé dans le cadre des manifestations mises sur pied à l’occasion du centenaire de sa naissance.
Cinéaste à part
Né en 1921 à La Chaux-de-Fonds, Henry Brandt fut d’abord photographe autodidacte, puis réalisateur, tout en travaillant à ses débuts comme professeur de français à Neuchâtel. Souvent considéré comme «l’un des pères du nouveau cinéma suisse», il demeure cependant un cinéaste à part, solitaire, se consacrant quasi uniquement au film documentaire. À cette particularité s’ajoute une inscription continue dans une économie de la commande, impliquant «d’inévitables contraintes et une conception du travail créatif comme une forme de négociation», précisent Pierre-Emmanuel Jaques et Olivier Lugon.
Autre particularité chez cet observateur critique de la société suisse, le besoin de constamment relier le regard sur l’ici à l’exploration de l’ailleurs. C’est le cas du film Quand nous étions petits enfants (1961) qui mêle des plans de Madagascar à ceux de La Brévine. Consacré à la vie d’une classe du hameau des Taillères, dans le Jura neuchâtelois, ce documentaire suit pendant une année trente-deux élèves répartis sur neuf niveaux et leur instituteur. Un véritable plaidoyer pour un enseignement adapté à la réalité des enfants, en l’occurrence des fils et filles de paysans impliqués depuis leur plus tendre enfance dans le monde du travail.
Henry Brandt estimait qu’«un artiste doit enquiquiner le monde, le faire réfléchir, remettre les choses en question». Il y est parfaitement parvenu. Et avec grâce./ Mireille Descombes
Chercheur à l’Institut d’histoire et anthropologie des religions, Jean-François Bert préface un «texte emblématique du XXe siècle», l’Essai sur le don de Marcel Mauss (1872-1950). Donner, recevoir, rendre. Si cette triple obligation d’apparence triviale, qui fonctionne de manière circulaire, est nécessaire dans toutes les sociétés, elle engendre son lot de difficultés et d’ambivalences. Au-delà de sa facette économique, le don comporte des dimensions politiques et religieuses. La clarté de la préface aide les lecteurs à «arraisonner» la pensée de Marcel Mauss. /DS
Depuis quelques décennies, le soin médical est imprégné par la technologie, ce qui suscite conflits et dilemmes. Née dans les années 70 «pour baliser les progrès des sciences du vivant», la bioéthique possède une histoire, des principes mais aussi des limites, que met en lumière cet ouvrage bref et dense. Professeur honoraire à l’UNIL, l’auteur propose de fonder une nouvelle éthique du soin, basée sur la recherche d’une «voie qui aide l’individu malade à accéder à un nouvel état d’équilibre où il devrait pouvoir retrouver ses potentialités». /DS
Ce recueil de nouvelles raconte quatre tranches de vies, celles de Joséphine, Sarah, Thibault et Amélie. Confrontés à des bouleversements, ces protagonistes vont devoir y répondre, chacun à leur manière. Comment poursuivre son chemin après avoir connu la mort, ou vécu l’horreur? Où trouver la force de continuer? Rédigé par une étudiante de la Faculté des lettres durant son bachelor, cet ouvrage est, pour cette auteure de 23 ans, un premier pas dans le monde du livre. Il est publié aux Éditions du Lys Bleu, qui se sont donné pour mission de découvrir de nouvelles plumes. /LC
L’intersectionnalité soulève bien des questions. Cette vision complexe pointe la pluralité des «expériences minoritaires» mais postule une majorité fort homogène. Le point de vue républicain cache-t-il des injustices sous une apparence égalitaire? Certes. Mais prôner la vision des dominés, n’est-ce pas risquer de forcer certains y compris «racisés» à soutenir des luttes qui ne correspondent pas toujours à leurs aspirations? Quid de l’expérience individuelle dans son universalité, si on se focalise comme ici à ce point sur le collectif avec ses ressorts dominants-dominés? /NR
L’historien de la psychologie Florent Serina s’interroge sur la réception ambivalente, en France, des théories du psychiatre suisse Carl Gustav Jung (1875-1961). L’auteur s’intéresse aux distorsions auxquelles sa pensée a été soumise dans un contexte dominé par une vision freudo-centriste, voire lacano-centriste. Il évoque les différentes colorations données à son œuvre par ses traducteurs. Enfin, il n’omet pas de relever le caractère problématique de ses «déclarations plus qu’ambiguës à l’égard du peuple juif et de l’Allemagne nazie». /MD
Des femmes… et autres sujets remarquables
L’anthropologue Mondher Kilani, professeur honoraire de l’UNIL, a le sens des titres qui font mouche. Après Du goût de l’autre traitant du cannibalisme, Comment l’esprit des femmes vient aux hommes nous donne envie de plonger sans délai dans ce petit livre rouge. On s’attend à un plaidoyer plein d’humour sur l’indéniable supériorité féminine. On découvre, un peu refroidi, qu’il s’agit – comme l’annonce le sous-titre d’ailleurs – d’une série d’entretiens et d’opinions parus dans différents journaux entre 1989 et 2020, certains ayant fait l’objet d’entretiens radiophoniques ou de présentations lors de conférences. Un pot-pourri, en quelque sorte, mais passionnant car il s’attache à dévoiler «les mécanismes profonds de la société».
Se présentant lui-même comme une sorte de cannibale «qui fait circuler et échanger entre elles croyances et pratiques, actions et représentations», l’auteur organise ses textes en neuf thématiques. Dont l’une, précisément consacrée aux femmes. Il y suggère que le divin marquis de Sade était un féministe avant l’heure et que, selon le contexte, le port du voile peut être interprété dans le sens d’une libération plutôt que d’un enfermement. Au chapitre des catastrophes sanitaires, côtoyant vaches folles et grippes aviaires, la pandémie du Covid-19 est analysée comme une métaphore de l’état global du monde, la part maudite ou la part honteuse de notre société d’hyperconsommation. «Le monde s’est trouvé démuni, écrit-il. Il a manqué d’un récit qui lui aurait fait prendre conscience de la catastrophe avant que celle-ci n’advienne et l’aurait aidé à éprouver le futur qu’il subit aujourd’hui.»
Au terme de ce voyage en zigzag qui aborde aussi bien le printemps arabe que l’existence du Yéti, Mondher Kilani revient sur son propre métier, l’anthropologie. À propos de son parcours, il souligne notamment l’importance de sa rencontre avec la pensée de Georges Bataille. Et il termine le livre avec un texte de 1989 intitulé L’ «autre» qui devient des «nôtres» ou comment je suis devenu suisse!, soulignant le fait que pour parachever sa naturalisation, l’étranger «doit payer une somme proportionnelle à son salaire, un peu comme on paie une psychanalyse pour symboliser le lien entre le patient et son analyste, ici entre le nouveau / la nouvelle venu·e et la communauté qui le / la reçoit». / Mireille Descombes