Dans «Ravel, peintre genevois», Philippe Junod réhabilite la figure de cet artiste qui connut une belle carrière avant de tomber dans l’oubli.
Bénéficiant de son vivant d’une appréciable renommée, le peintre genevois Édouard Ravel (1847-1920) fait aujourd’hui partie des oubliés de l’Histoire. Son illustre neveu compositeur – eh oui, Maurice Ravel avait des attaches suisses – lui a-t-il fait de l’ombre? Pas si simple, on s’en doute. Dans ce plaisant petit ouvrage illustré, l’historien de l’art Philippe Junod s’interroge sur les raisons de cette éclipse. Trop éclectique? Pas assez moderne? Trop associé à une certaine officialité? Un peu de tout cela sans doute. Résultat, il a fallu attendre 2017 pour que paraisse la première étude consacrée à Édouard Ravel depuis sa mort.
Pour remédier à cette ingratitude, Philippe Junod nous livre un portrait artistique qui passe en revue les principales étapes d’une carrière qui «ne manque pourtant pas d’envergure». Né à Versoix en 1847, le jeune Édouard, comme beaucoup de ses compatriotes, effectue un premier apprentissage dans le cadre de la «Fabrique» qui formait alors des décorateurs pour l’horlogerie. Après avoir ouvert son propre atelier d’émailleur, il poursuit sa formation et s’inscrit à l’École d’art de Genève où il a pour maîtres Alfred Van Muyden, qui lui donne le goût de la scène de genre, et Barthélemy Menn, qui lui transmet son amour du paysage. Deux thématiques auxquels il faut ajouter, chez le très polyvalent Ravel, la peinture d’animaux, la peinture d’histoire, l’allégorie et la décoration monumentale – notamment pour la Maison de commune de Plainpalais – et même le nu dans les dernières années.
Qu’il s’agisse d’immortaliser les environs de Genève ou le charme médiéval d’Estavayer, Édouard Ravel est un adepte de la peinture en plein air. Une pratique qui se développe encore dès 1880, après qu’il a découvert le Valais. Cette révélation amène notre peintre fasciné à parcourir le canton en tous sens. L’occasion pour lui, après l’avoir fait à travers la peinture d’histoire, «de cultiver un autre mythe identitaire, celui d’une Arcadie montagnarde, symbole d’une ruralité archaïque».
A l’heure du bilan, Philippe Junod reconnaît que, de l’impressionnisme à l’abstraction en passant par le fauvisme et l’art nouveau, Édouard Ravel est passé à côté de tous les grands mouvements qui ont marqué son époque. Il souligne toutefois que, si sa peinture manque parfois d’originalité et d’innovation, elle n’est dépourvue ni d’attrait ni de qualité. Ce qui l’amène à conclure: «Sans vouloir à tout prix le porter aux nues, il est temps de rendre justice à Édouard Ravel et de le sortir du Purgatoire.» / Mireille Descombes
Le vin: bon à boire et à penser
«Esprit du vin, esprit divin»! Avec un tel titre, on s’attend à un parcours goûteux mais passablement escarpé à travers vignes et vignobles. Ce qui se confirme. Ce livre se fait l’écho d’un cours public donné à l’Église Sainte-Claire de Vevey en prélude à la Fête des Vignerons, en mai 2019. Édité par Olivier Bauer, professeur à l’UNIL, il réunit les contributions de divers chercheurs de la Faculté de théologie et de sciences des religions complétées par le regard historique d’une vigneronne, Noémie Graff du Domaine du Satyre. Cette dernière évoque aussi bien l’ambivalence du vin, à la fois délice et poison, que ses vertus médicinales ou son rôle de médiateur entre les dieux et les hommes.
«Peu de gens, aujourd’hui, associent spontanément la Bible hébraïque au vin», relève pour sa part Christophe Nihan. Ce breuvage y est pourtant extrêmement présent. Une importance qui se reflète dans la diversité du vocabulaire employé pour l’évoquer. Outre le terme principal yayin, qui apparaît plus de 140 fois dans la Bible hébraïque, on y note en effet la présence d’autres mots qui semblent renvoyer au vin nouveau, à un vin fermenté ou à un type de vin de dattes.
Vin ou bière? Le dilemme, qui peut se poser au bistrot, existe aussi dans le christianisme, et même dans la célébration de l’eucharistie. Olivier Bauer relève par ailleurs dans le nord de l’Europe un autre concurrent du raisin, la pomme. Et précise que le vin est très vite mis à l’épreuve de l’eau par les mouvements ascétiques. C’est le cas des aquariens ou hydroparastes qui, dès le IIe siècle, «n’emploient que de l’eau, à l’exclusion du vin, pour la célébration de l’eucharistie».
Dans les autres contributions, il est aussi question de conscience écologique et de religiosités vertes, notamment à travers l’agriculture biodynamique inspirée par les enseignements du fondateur du mouvement anthroposophique Rudolf Steiner. Et l’ouvrage se termine en évoquant la magie de la fermentation. «Cette transformation complexe n’est pas seulement de nature physico-chimique ou biologique, elle est aussi symbolique, notamment dans la relation que l’Homme entretient avec le vivant», écrit à ce propos l’anthropologue Fanny Parise. Qui, à l’instar des autres conférenciers, nous livre en fin de volume l’un de ses péchés mignons viticoles: boire un Saint-Véran. / Mireille Descombes
Livre-charnière dans le parcours d’Alexandre Voisard, Le Déjeu est paru en 1997 chez Bernard Campiche. Maître d’enseignement et de recherche en Faculté des lettres, Arnaud Buchs nous en livre ici une analyse. L’auteur s’interroge par exemple sur ce qu’est «le pays» du poète jurassien. Ainsi, si l’œuvre de ce dernier est «toujours située, ancrée dans un paysage, dans une terre […]», elle n’en est pas pour autant enfermée dans ses frontières, mais tend vers l’universalité. Arnaud Buchs se penche également sur nombre d’autres aspects, comme le lyrisme de Voisard ou les rencontres qui l’ont marqué. /DS
Dans cette monographie remarquable, le spécialiste des chouettes Alexandre Roulin, professeur ordinaire au Département d’écologie et évolution, synthétise le contenu de quelque 3700 articles scientifiques collectés depuis trente ans. Dédié à l’effraie des clochers et ses proches parentes: l’effraie de prairie, l’effraie ombrée et l’effraie masquée, l’ouvrage est illustré par de superbes aquarelles et dessins au crayon de l’artiste vaudois Laurent Willenegger, ainsi que des photographies. Il s’adresse à des chercheurs ou simplement des passionnés. /LC
Erik T. Frank nous emmène en Côte d’Ivoire, à la découverte des fourmis Matebele. Premier assistant au Département d’écologie et évolution (Faculté de biologie et de médecine), l’auteur a étudié ces insectes qui mènent des raids contre les termites. Guerrières, ces créatures sont également ambulancières, puisqu’elles s’occupent de ramener leurs consœurs blessées au nid, où elles se retapent… avant de repartir à la marave. Ce livre au ton personnel nous en apprend énormément sur les fourmis, mais il nous raconte également la vie d’un biologiste, sur le terrain. / DS
«L’expression “parentalité en prison” ne sonnerait-elle pas comme un oxymore?» Relevée dans les premières pages de cet ouvrage collectif, cette phrase résume bien le défi auquel se sont attaqués les auteurs, issus de disciplines comme le droit, la sociologie ou la psychologie. Que reste-t-il des liens de la famille quand l’un de ses membres se trouve derrière les barreaux? Quelle est la place des enfants? Nourries par la recherche et des enquêtes, les contributions (enrichies d’un témoignage) nous éclairent sur une réalité peu connue. / DS
Ce livre présente les résultats d’une étude sur la sociohistoire des politiques publiques de lutte contre les violences conjugales dans les cantons de Vaud, Genève et Zurich depuis les années 70. Les trois auteures, dont Marta Roca i Escoda, chercheuse au Centre en études genre de l’UNIL, analysent, archives et entretiens à l’appui, la problématique dans une éclairante perspective féministe: les violences à l’encontre des femmes en tant que produits des rapports sociaux inégalitaires entre les genres. /NM