Les travaux du Docteur ès sciences de l’UNIL José Vouillamoz ont mis en évidence des parentés inimaginables, révélant l’origine «étrangère» de nombreux cépages valaisans. Tout aussi insoupçonnée est l’extraordinaire diversité des cépages, en Suisse et dans le monde.
Des rouges valaisans qui proviennent d’Italie, des Toscans qui sont originaires de Calabre et bien d’autres révélations dérangeantes… Les découvertes de José Vouillamoz, Docteur ès sciences de l’UNIL, lui ont déjà valu un article dans le très réputé «Wine Spectator» et quelques minutes de gloire sur la Rai Uno. Elles ont encore déclenché l’hostilité de certains collègues, parce qu’elles bousculent pas mal d’idées préconçues.
Le Cornalin n’est pas autochtone
«Lorsqu’il s’agit de leur famille, les Valaisans sont souvent fiers de situer leurs origines en Val d’Aoste ou en Savoie, constate José Vouillamoz. Pour les cépages, c’est exactement l’inverse! Il faudrait qu’ils soient tous autochtones.» Sa remise en cause du caractère indigène du Cornalin, notamment, a fait des vagues. Mais ce cépage n’est pas le seul à avoir des origines jusque-là insoupçonnées, assure le biologiste formé à l’UNIL.
L’Amigne et l’Arvine, deux autres spécialités appréciées des amateurs de vins valaisans, présentent toutes deux des affinités génétiques avec des cépages du Val d’Aoste et de la France.
Des cépages «valaisans» d’origine française et italienne
L’Humagne blanc, ce cépage très ancien (il est mentionné pour la première fois en 1313 dans le «Registre d’Anniviers»), se rapproche génétiquement des cépages du Sud de la France, comme le Colombaud Blanc de Provence ou le Chichaud d’Ardèche. Et il n’a aucun lien avec l’Humagne rouge.
La Rèze, également mentionnée en 1313 en Valais, apparaît comme génétiquement ancestrale et présente des affinités avec plusieurs cépages d’Italie du Nord. Elle pourrait bien être une descendante de la Vitis raetica de Pline. L’Eyholzer Roter, ce cépage rare du Haut-Valais, a des affinités génétiques avec des cépages d’Italie du Nord (Val d’Aoste, Trentin).
La Durize, aussi appelée Rouge de Fully, est issue d’un croisement naturel entre le Roussin du Val d’Aoste et un autre cépage inconnu. Comme le Roussin est lui-même un des enfants du Cornalin, l’autre parent étant inconnu, la Durize n’est donc pas la cousine du Cornalin du Valais comme on le dit souvent, mais sa petite-fille.
Record du monde
«125 cépages sont aujourd’hui cultivés dans notre pays, dont 103 de Vitis vinifera (la vigne à vin). La Suisse détient certainement le record du monde du nombre de cépages cultivés sur une aussi petite surface viticole, soit 15000 hectares environ», estime le chercheur.
Mais 80% de cette surface sont couverts par quatre cépages: le Chasselas, le Pinot, le Gamay et le Merlot. Seul le Chasselas est une variété régionale de l’arc lémanique, les trois autres ayant été importées de France.
«La foison de cépages cultivés en Suisse permettrait une grande diversification des produits de la viticulture, pour autant qu’on veuille bien diminuer l’omniprésence de ces quatre cépages», poursuit-il.
8000 ans de domestication et d’emprunts
Il existe en effet dans le monde entre 6000 et 10 000 cépages. Un chiffre peu important au regard des 8000 ans qui se sont écoulés entre le premier acte humain de domestication de la vigne et les cépages actuels.
«On pense que la vigne a été domestiquée environ 6000 avant J.-C. à partir de la vigne sauvage qui pousse en forêt. Une immense quantité de croisements naturels entre cépages a dû se produire au cours de ces milliers d’années, mais la plupart d’entre eux, ne présentant probablement que peu d’intérêt, ont été écartés.»
La vigne viendrait du Proche-Orient
Quant à savoir où cette première domestication a été pratiquée, la théorie de José Vouillamoz est celle d’une origine unique proche-orientale, au sud-est de la Turquie et au nord de l’Irak, dans le Kurdistan. Il en a rapporté des vieux cépages et des vignes sauvages, qu’il a comparés.
«C’est l’endroit où cépages locaux et vignes sauvages sont les plus semblables, fait-il remarquer. Certains collègues admettent une hypothèse procheorientale, sans préciser où, et supposent une autre domestication primaire, dans la péninsule ibérique… mais ces collègues sont Espagnols!» sourit-il.
Des vignes américaines
Quant aux techniques de domestication, des tablettes cunéiformes de Mésopotamie datant d’environ 3000 avant J.-C. décrivent le bouturage de la vigne. De nombreux cépages ont en tout cas disparu parce qu’ils ne présentaient que peu d’intérêt ou par abandon des vignobles suite à des guerres, ou encore par maladie.
e phylloxera, un insecte qui s’attaque aux racines, a ainsi causé d’importantes destructions. «Pour reconstituer les vignobles atteints de phylloxera, on doit utiliser des vignes américaines, résistantes à cette maladie, et y greffer le cépage européen. C’est un travail de reconstitution considérable, et certaines régions ont préféré abandonner la viticulture plutôt que de l’entreprendre.»
Le retour aux cépages «autochtones»
Mais il existe aussi des histoires de renaissance, comme celle des vieux plants «valaisans». Des variétés telles que le Cornalin, l’Amigne, l’Arvine, l’Humagne blanc, la Rèze, l’Eyholzer Roter et la Durize étaient largement cultivées dans le Valais du XIXe siècle. Jusqu’à l’arrivée du Chasselas, du Pinot et du Gamay qui débarquent dans le canton vers 1850-60, peu avant le développement du chemin de fer. Le Chasselas (qui est devenu le Fendant) venait des rives du Léman. Le Pinot venait probablement de Neuchâtel et le Gamay peut-être de Bourgogne.
Parce qu’elles étaient plus faciles à cultiver et plus rentables, ces variétés ont peu à peu supplanté les cépages originaux. L’Humagne blanc a même failli disparaître complètement et il n’en restait plus que quelques vignes au milieu du XXe siècle.
Heureusement, dans les années 1980, les vieux cépages «autochtones» sont progressivement réapparus sur les terres devenues «traditionnelles» et emblématiques de la Dôle et du Fendant. Un mouvement de retour aux cépages «autochtones» se poursuit aujourd’hui, et José Vouillamoz le soutient à 100 %.
Elisabeth Gilles