La nouvelle formation «Décoder un monde numérisé» propose un regard critique sur les enjeux des traces numériques, de la programmation ou encore des algorithmes.
Les robots prennent leurs aises dans le cadre professionnel. En ligne, des algorithmes subtils nous ramènent des contenus qui forgent nos goûts. De multiples aspects de nos personnalités se baladent sur les réseaux sociaux. Les interactions sociales se développent de smartphone à smartphone. Comment décoder ce monde numérisé? Comment le prendre avec distance, alors qu’il nous impose un rythme rapide? Comment le penser de manière critique et informée? Une nouvelle formation continue, fruit d’une collaboration entre des chercheurs de l’UNIL et de la HEP Vaud, propose des pistes de réponses.
«Ces sujets concernent tous les citoyens. Dans notre société numérique, nous devrions, si possible, être outillés pour aborder ces questions», relève Nicole Durisch Gauthier (HEP Vaud), du comité d’organisation de la formation. Ainsi, même si le cursus, réparti sur deux jours, s’adresse aux professionnels de l’éducation, son contenu intéresse des cercles plus larges.
Programmation et traces
«La formation “Décoder un monde numérisé” est bien caractérisée par la métaphore de l’interface, image son collègue Etienne Honoré (HEP Vaud). Celle-ci sert de zone d’échange et de communication entre la technologie et nous. Si elle nous facilite la tâche, elle nous masque le code, le fonctionnement de l’outil.» La programmation figure justement au cœur de la première journée de formation. «L’interface nous cache aussi ce qui se trouve en aval de nos interactions, c’est-à-dire ce que deviennent nos données.» Le sujet épineux des traces est traité lors de la seconde journée de cours.
«Décoder un monde numérisé» se trouve au croisement de deux perspectives: un axe pratique – mais non technique – ainsi qu’une mise à distance soutenue par le domaine des Humanités numériques. «Avec les participants, nous allons dépasser le fonctionnalisme et la vision utilitaire des outils pour développer une conscience critique, ce qui rejoint les interrogations de la recherche», indique Philippe Bornet, maître d’enseignement et de recherche en Faculté des lettres.
Le monde vu par la machine
Placée sous le signe de la programmation, la première journée débutera par un exposé sur l’enseignement de la pensée computationnelle – c’est-à-dire basée sur les fondamentaux de l’informatique théorique. Pour entrer dans cette manière de considérer le monde, Michael Piotrowski, professeur associé en Section des sciences du langage et de l’information (Lettres), recourra à la création de fictions interactives, sur le modèle des livres-jeux qui offrent des choix multiples à leurs lecteurs. Ensuite, les participants prendront part, en petits groupes, à deux ateliers pratiques et ludiques. Donnés par deux chercheurs de la HEP, Jean-Philippe Pellet et Morgane Chevalier, ils porteront respectivement sur les algorithmes et sur la robotique, l’intelligence artificielle. Même si la formation n’est pas destinée à transformer les participants en informaticiens, ces derniers auront l’occasion de «mettre la main à la pâte», assure Nicole Durisch Gauthier.
De son côté, Isaac Pante, maître d’enseignement et de recherche en Section des sciences du langage et de l’information (Lettres), «va établir une analogie entre la programmation et l’apprentissage d’une langue, qui toutes deux possèdent leur grammaire et leur syntaxe», précise Philippe Bornet.
Enfin, de manière originale, les participants concluront leur premier jour par une table ronde avec les intervenants. Un moment où «chacun pourra faire fructifier ses réflexions», espère Nicole Durisch Gauthier. Il s’agira aussi «d’une manière d’évaluer son propre parcours: suis-je un acteur de cette discussion? Est-ce que le fait d’avoir bien défini les enjeux me permet de profiter au mieux des échanges?», renchérit son collègue Etienne Honoré. Des éléments vivants qui pourront ensuite être repris dans des conversations, par exemple avec des collègues.
Qui suis-je en ligne?
Deux mois plus tard, le 16 mai, les participants se retrouveront autour des identités numériques. Boris Beaude, professeur assistant au Laboratoire d’étude des sciences et des techniques (Faculté des SSP), dressera un panorama des diverses traces que nous laissons dans le monde virtuel, en touchant aux questions de gouvernance et de surveillance.
Ensuite, Sébastien Gogniat (collaborateur à la Direction générale de l’enseignement obligatoire) traitera des adolescents, des réseaux sociaux, de cyberharcèlement et de prévention. Un thème qui intéressera particulièrement les professionnels de l’éducation. L’après-midi débutera par une intervention sur la manière dont nos identités sont mises en scène en ligne, des images d’échographie jusqu’aux lieux de mémoire numériques, avec Fanny Georges, chercheuse à l’Université Sorbonne Nouvelle Paris 3. Puis la philosophe du droit Antoinette Rouvroy, (Université de Namur), s’intéressera «aux risques d’une conception de l’individu déterminée par des profils numériques qui ne sont construits qu’à partir des traces de nos actions», résume Etienne Honoré. Ne sommes-nous que le total de nos données? A nouveau, une table ronde conclura la journée.
Certes, l’approche des sujets traités, critique, est conçue pour permettre aux participants de prendre un peu de recul. Mais le trio organisateur de la formation veut éviter l’écueil du moralisme ou de l’attitude de rejet. L’éducation au numérique a été annoncée comme étant la priorité de l’École vaudoise, à la rentrée 2018: ce n’est donc pas demain que ces questions disparaîtront du débat public.
Les inscriptions sont closes, le nombre maximum de participants ayant été atteint
Informations: formation-continue-unil-epfl.ch/formation/decoder-monde-numerise
Culture
Le Soi: perspectives philosophiques
«Tu peux, à l’heure que tu veux, te retirer en toi-même. Nulle retraite n’est plus tranquille ni moins troublée pour l’homme que celle qu’il trouve en son âme […]» Cet extrait du livre IV des Pensées de Marc-Aurèle (121-180) nous plonge dans l’ambiance de la journée de formation continue intitulée Le Soi: perspectives philosophiques. Le 3 avril 2019, les participants vont explorer ce thème, guidés par deux chercheurs de l’UNIL.
«La quête de soi et la question “Qui suis-je?” figurent parmi les préoccupations centrales de l’Antiquité grecque et romaine», note Alexandrine Schniewind, professeure en Section de philosophie (Faculté des lettres). L’enseignante constate qu’il en est de même aujourd’hui. «Ce sujet très riche passionne mes étudiants». Ainsi, avec son collègue Michael Groneberg, maître d’enseignement et de recherche, la philosophe a créé un cursus d’une journée, accessible à tous sans prérequis, autour de cette thématique.
Le dualisme âme-corps a bien occupé les auteurs de l’Antiquité. Peut-on les séparer? Quelle est la nature de cet esprit qui s’incarne dans un organisme matériel? Qu’est-ce qui me permet de (me) penser? Au travers d’extraits de textes, de Platon à Plotin, les participants vont découvrir différents courants philosophiques parfois opposés, que les deux enseignants remettront dans leur contexte.
Une résonance moderne à ces textes antiques est prévue. «Les selfies, ces images de soi positives que l’on diffuse, se rattachent à la thématique du bonheur et de l’injonction “Il faut être heureux”, qui tient du diktat», avance Alexandrine Schniewind, également psychologue clinicienne. Dans Malaise dans la civilisation (1930), Freud se demande si nous sommes vraiment au monde pour être heureux. Il est intéressant de noter que, de philosophique, la question du soi a débordé dans les champs de la psychanalyse et de l’anthropologie. Toujours au XXe siècle, les participants vont se pencher sur la pensée des philosophes Michel Foucault et Pierre Hadot, qui ont entretenu une correspondance sur la question du «soi».
Alexandrine Schniewind promet une approche pédagogique diversifiée. Quelques exposés théoriques jalonneront la journée, tout comme des lectures à haute voix et des interprétations communes de textes, ainsi que des discussions et des travaux de groupe. A la fin de l’après-midi, le 3 avril, «j’aimerais que les participants aient compris à quel point la question du soi traverse toute la civilisation occidentale, et qu’elle est la clé des débuts de la philosophie grecque», espère la professeure. Elle souhaite aussi que les participants rentrent dans leurs pénates avec l’envie de lire les auteurs (re)découverts pendant la formation.
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