Livres

© Nazif Topçuoglu, Is it for Real ?, 2006
© Nazif Topçuoglu, Is it for Real ?, 2006

Décors du Christ

Chercheuse FNS senior à l’UNIL, Nathalie Dietschy nous offre un somptueux tour du monde photographique de la figure christique.

Le livre est splendide. Il ignore la peur de représenter le sacré et cette insouciance se révèle mondiale puisque les photographies rassemblées et analysées par Nathalie Dietschy ont été réalisées en Europe, en Chine, en Nouvelle-Zélande, en Afrique, aux Etats-Unis, au Japon, au Mexique ou en Russie. Ces œuvres contemporaines s’inspirent, de près ou de loin, des fameuses représentations picturales du sacré chrétien pour diriger notre regard ailleurs, quitte à le forcer, pour innover, réveiller les consciences sur des drames humains, des réalités diverses, des minorités, des cultures qui résistent à la mondialisation, ou simplement pour nourrir la vision du photographe en créateur s’identifiant à la figure du Christ.

Le kitsch chrétien a ouvert la voie, lui aussi, le pauvre style saint-sulpicien soudain magnifié par les artistes français Pierre et Gilles recyclant leur éducation catholique. Mais une simple photo de presse peut faire le tour du monde si sa réception éveille l’imaginaire chrétien toujours prompt à ressurgir au spectacle des souffrances planétaires pouvant évoquer la Madone éplorée, le Christ supplicié, seul ou dans les bras de sa mère à la manière d’une Pietà. La force du récit biblique, la constance de la douleur à travers les âges, offrent un carburant quasiment inépuisable aux fantasmes du spectateur, croyant ou non, et à l’imagination artistique.

Figure du combat féministe, Renée Cox se met en scène dans une Cène détournant Léonard de Vinci, un contexte sans cesse réinterprété, ici par la nudité de la femme portraiturée, ailleurs par l’introduction de personnages issus des communautés urbaines – chez David LaChapelle qui se réclame de la lutte contre le fondamentalisme – ailleurs encore par la représentation de soldats israéliens réunis peut-être pour la dernière fois chez Adi Nes, évoquant ainsi un sacrifice pour le pays. La politique se saisit frontalement de l’image, le Christ s’adapte à toutes les causes, l’universalisme du message chrétien a été entendu, au moins par les artistes.

Et si le sacré, désormais, c’était l’homme lui-même? La question se pose en regardant le généreux tour du monde de la staged photography proposé par Nathalie Dietschy. Ce courant qui s’est imposé à partir des années 80 raconte l’histoire de nos identités, de nos désirs et de nos douleurs à travers une photographie contemporaine socialement éveillée, esthétiquement belle, le plus souvent, cruellement habitée ou joyeusement hallucinée. / Nadine Richon

L’architecture à la fin du gothique

Une tâche colossale, une patience d’entomologiste, une démarche inlassable. C’est en ces termes élogieux que Jacques Bujard rend hommage à l’historien de l’art monumental Marcel Grandjean dans la préface de cette publication. La tâche en question? Une plongée érudite, et en deux volumes, dans L’architecture religieuse en Suisse romande et dans l’ancien diocèse de Genève à la fin de l’époque gothique. A l’origine de cette somme? Une thèse inachevée et la volonté de rendre accessibles des découvertes touchant aussi bien à l’histoire des chantiers et des maçons-architectes qu’à l’étude des éléments architecturaux. L’auteur commence par une petite leçon d’histoire régionale nous rappelant que le XIIIe siècle fut celui des cathédrales et le XIVe surtout celui des chapelles ou églises urbaines. Il nous emmène ensuite à la découverte des richesses et des particularités de la chapelle des Macchabées à Genève, soulignant l’importance matérielle de cet édifice funéraire qui, par sa position privilégiée et son élévation exceptionnelle, va jusqu’à concurrencer la cathédrale. Avant de se lancer dans une analyse fine et minutieuse de la structure et du décor, Marcel Grandjean insiste encore sur le caractère novateur de cette chapelle monumentale «née à une époque charnière entre l’art rayonnant et l’art flamboyant».

Le voyage se poursuit à travers la Savoie, la Pays de Vaud, Fribourg, puis – dans le second tome – Neuchâtel et le Bas-Valais. En cours de route, on apprend à mieux connaître l’importance des maçons-architectes qui étaient non seulement de bons artisans de la pierre, mais également souvent les concepteurs de leurs ouvrages. Dans le Pays de Vaud, on s’intéresse également au rôle joué, dans l’architecture de la première moitié du XVe siècle, par Humbert le Bâtard, comte de Romont. On lui doit en effet aussi bien des édifices profanes, comme le château de Chenau à Estavayer, que des constructions religieuses. Ces dernières, relève Marcel Grandjean, «sont marquées par un style homogène, caractérisé parfois par l’emploi de volumes assez ramassés (…)».

L’auteur nous offre enfin une série de notices typologiques fort utiles pour apprécier les différents types de clochers régionaux, s’informer sur les «tabernacles et lavabos liturgiques» ou apprendre à distinguer les contreforts «genevois», les «jurassiens» et «les contreforts à bâtière».  / Mireille Descombes

L’ARCHITECTURE RELIGIEUSE EN SUISSE ROMANDE ET DANS L’ANCIEN DIOCÈSE DE GENÈVE À LA FIN DE L’ÉPOQUE GOTHIQUE. Par Marcel Grandjean. Cahiers d’archéologie romande 157 et 158 (2016), 805 p.
Par Marcel Grandjean. Cahiers d’archéologie romande 157 et 158 (2016), 805 p.

Publié de 1732 à 1782 à Neuchâtel, le Journal helvétique fut l’un des carrefours des Lumières en Suisse romande. Politique, science, littérature et poésie s’y entrecroisèrent pendant un demi-siècle. Au printemps 2014, cette gazette a fait l’objet d’un colloque international à Neuchâtel. Les Actes sont parus cette année. L’histoire de la publication, ses publics, son contenu et sa réception sont traités dans cette monographie. Signalons que le Journal helvétique est accessible sous forme numérique sur la plateforme Lumières.Lausanne (https://lumieres.unil.ch).  / DS

Lectures du «Journal helvétique» 1732-1782. Slatkine. (2016), 413 p.
Lectures du «Journal helvétique» 1732-1782. Slatkine. (2016), 413 p.

Ecrivain sans succès, sentimentalement déficitaire, Damien Dumas accepte de rédiger les mémoires de Veronica Lippi, excentrique ex-gloire des années 80. Dans son chalet de Verbier, cette couguar déjantée vit avec l’homme de sa vie, son python Marlon. Cette bouddhiste approximative conserve les cendres de sa mère dans un pot de Nutella et pique des crises à répétition. Autant dire que le biographe est mal barré. Hilarant, Baba au rhum est le deuxième roman de Philippe Lamon, diplômé de l’UNIL. L’un des chapitres a d’ailleurs pour décor la terrasse de la «Banane». / DS

Baba au rhum. Par Philippe Lamon. Editions Cousu Mouche (2016), 234 p.
Baba au rhum. Par Philippe Lamon. Editions Cousu Mouche (2016), 234 p.

Comment la bande dessinée américaine a-t-elle été reçue en Europe? Comment a-t-elle marqué les artistes du Vieux Continent? Piloté par Marc Atallah et Alain Boillat, cet ouvrage collectif répond à ces questions. Par exemple, Alain Corbellari retrace en détail la reprise de Flash Gordon par Edgar P. Jacobs dans la Belgique occupée de 1942, un travail qui aura un impact important sur sa série Blake et Mortimer. Sous la plume de Gianni Haver et Michaël Meyer, un autre essai traite de Paperinik, fusion italienne de Donald Duck et de superhéros masqués.  / DS

BD-US: les comics vus par l’Europe. Sous la direction de Marc Atallah et Alain Boillat. Infolio (2016), 175 p.
BD-US: les comics vus par l’Europe. Sous la direction de Marc Atallah et Alain Boillat. Infolio (2016), 175 p.

Qu’ils prennent la forme de journaux intimes, d’autobiographies, de récits de voyage ou de correspondance, les écrits personnels constituent des sources intéressantes pour les chercheurs. Ils permettent d’interroger les relations entre l’histoire de l’individu et celle du monde qui l’entoure. Le 300e numéro de la revue scientifique «Etudes de Lettres», publiée par la Faculté du même nom, traite de ces documents grâce aux contributions de nombreux chercheurs suisses et européens. / DS

Appel à témoins. Écrits personnels et pratiques socioculturelles (XVIe – XXe s.). Ed. par Danièle Tosato-Rigo. Etudes de Lettres (2016), 318 p. www.unil.ch/edl
Appel à témoins. Écrits personnels et pratiques socioculturelles (XVIe – XXe s.). Ed. par Danièle Tosato-Rigo. Etudes de Lettres (2016), 318 p. www.unil.ch/edl

Pourquoi les Young Boys ont-ils un nom anglophone? Contre qui fut disputé le premier match de la Nati? A quoi ressemblait le football au XIXe siècle ? Autant de questions auxquelles répondent des chercheurs de l’Institut des sciences du sport dans un ouvrage qui retrace les pérégrinations du ballon rond sur sol suisse. Une analyse qui parcourt l’arrivée de ce sport chez les enfants de la bourgeoisie britannique vers 1870, sorte de mélange avec le rugby, jusqu’à une professionnalisation tardive, forcée par la qualité de jeu des pays voisins. / DTR

LE FOOTBALL SUISSE. Par Jérôme Berthoud, Grégory Quin et Philippe Vonnard. Editions PPUR / Le savoir suisse (2016), 136 p
Le football suisse. Par Jérôme Berthoud, Grégory Quin et Philippe Vonnard. Editions PPUR / Le savoir suisse (2016), 136 p

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