L’épigénétique ne doit pas simplement son succès aux nouvelles connaissances qu’elle apporte sur le fonctionnement des cellules. Elle devrait aussi avoir des implications médicales.
«Il n’est pas risqué d’affirmer que les mécanismes perturbés de manière épigénétique pourront servir de nouvelles cibles thérapeutiques», souligne Ivan Stamenkovic, professeur à la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL. C’est notamment le cas pour un domaine dans lequel le pathologiste mène l’essentiel de ses recherches: celui du cancer.
«A la base, il s’agit d’une maladie typiquement génétique. Dans les cellules tumorales, ce sont les mutations des gènes qui provoquent l’oncogenèse.» Mais à cela s’ajoutent «des perturbations du comportement cellulaire, qui relèvent d’un dérèglement de l’expression des gènes», donc de l’épigénétique.
La force motrice des tumeurs
De nombreuses tumeurs renferment en effet des «cellules qui ont des propriétés des cellules souches», ces cellules que l’on trouve normalement dans l’embryon et qui ont la capacité de se différencier pour donner naissance à différents organes. «Ces cellules tumorales souches sont la force motrice des tumeurs», explique Ivan Stamenkovic.
Ce sont elles, notamment, qui sont souvent à l’origine des cas de récidives de la maladie. «Les chimiothérapies classiques s’attaquent aux cellules qui en dérivent, y compris celles qui se divisent rapidement et celles qui sont différenciées et labiles. Mais elles épargnent ces cellules souches qui prolifèrent lentement et qui, peu à peu, repeuplent la tumeur.»
Or il se trouve que ce sont des mécanismes épigénétiques qui maintiennent les cellules à l’état souche. Si l’on pouvait les identifier et les contrecarrer, «on pourrait contrôler la progression de la tumeur et peut-être même inverser le processus».
Les médicaments épigénétiques
Sur le plan conceptuel, «c’est très intéressant, même si en pratique, c’est assez compliqué à réaliser», tempère le pathologiste. Ce n’est toutefois pas totalement impossible puisque «des traitements contre certains types de tumeurs, ciblant des mécanismes épigénétiques, font déjà l’objet d’essais cliniques».
En 2004, la FDA a d’ailleurs approuvé la mise sur le marché de deux médicaments épigénétiques utilisés pour traiter non pas des tumeurs, mais les syndromes myélodysplasiques (une maladie de la moelle osseuse).
A en croire Ivan Stamenkovic «un large éventail de maladies» pourrait être concerné par les avancées de l’épigénétique. Notamment les maladies auto-immunes, les troubles du métabolisme comme l’obésité ou le diabète, ou même les troubles du comportement.
Remplacer les gènes défectueux
On pourrait donc voir bientôt émerger des thérapies épigénétiques. Contrairement aux thérapies géniques – sur lesquelles on a beaucoup compté et qui, jusqu’ici, ont beaucoup déçu – ces nouveaux traitements ne viseraient pas à remplacer des gènes défectueux par leurs équivalents sains.
Ils ne feraient «que» bloquer des enzymes qui empêchent les gènes de s’exprimer ou rétablir l’expression normale des microARN et redonneraient ainsi aux gènes de la voix. De façon réversible de surcroît. On n’en est pas encore là, mais il y a quelques bonnes raisons d’espérer.
Elisabeth Gordon