«Concours de beauté» ou «vote coup de pied», les élections européennes sont boudées par les stars

© Olivier Lemaitre - fotolia.com

Le 7 juin prochain, un nouveau Parlement européen sera désigné dans les 27 pays de l’Union européenne. Pourtant, ce rendez-vous important est boudé par les grandes vedettes de la politique française. Explications.

Chez nos voisins français, pourtant concernés au premier chef, l’élection au Parlement européen ne semble intéresser ni les électeurs ni les candidats. La très charismatique Rama Yade a refusé d’être candidate, s’attirant les foudres de Nicolas Sarkozy. Et sa collègue au gouvernement, Rachida Dati, n’a accepté une candidature que contrainte et forcée. A la notable exception du Vert Daniel Cohn-Bendit, ce rendezvous reste boudé par les politiciens d’importance. Comment expliquer cette situation, quand les décisions prises au Parlement européen jouent un rôle toujours croissant dans la vie des citoyens du Vieux-Continent?

Nous avons posé ces questions à Sarah Nicolet, qui donnait, en mai 2008, une conférence à l’UNIL sur le thème de sa thèse: «Le vote des Européens», à l’invitation de la professeure Florence Passy, de l’Institut d’études politiques et internationales de l’UNIL. La chercheuse fut collaboratrice scientifique de l’IDHEAP de 2000 à 2003, avant de partir pour Genève où elle est maître assistante au Département de science politique de l’Université.

Interview de Sarah Nicolet, collaboratrice scientifique de l’IDHEAP de 2000 à 2003.

Alors que les pays membres de l’Union européenne (UE) se plaignent de l’influence croissante de Bruxelles, les candidats ne se bousculent pas au portillon pour y siéger, à l’image de Rachida Dati ou de Rama Yade en France. Comment expliquer ce paradoxe?

Les politiciens placés en tête de liste d’une élection au Parlement européen, en effet, ont l’impression d’être relégués dans une sorte de seconde ligue, de subir une punition, car ce qui les intéresse avant tout, c’est leur carrière nationale. Comme les élections européennes n’ont pas d’implication dans la formation d’un gouvernement, ni dans leur pays, ni sur le plan européen, les partis utilisent ces élections pour tester leur popularité. On parle volontiers de «beauty contest», de concours de beauté. Ce scrutin est une sorte de sondage en situation réelle. En ce sens, les élections européennes se jouent encore sur des enjeux nationaux.

Lesquels?

Tout dépend du moment où elles ont lieu, par rapport au cycle électoral dans chacun des pays. Quand elle intervient juste après une élection présidentielle, par exemple, il peut arriver que l’électeur, frustré d’avoir dû voter «utile», profite du scrutin européen pour désigner le parti qui lui est le plus cher, mais qui n’avait aucune chance à l’élection nationale. Ceci explique les bons scores des Verts ou de l’extrême droite au Parlement européen. Si l’élection survient plus tard dans le cycle électoral, comme en France, où le pays votera deux ans après l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence, le scrutin européen se transforme souvent en «marqueur», c’est-à-dire en une élection-test pour les partis en présence. Dans cette situation, le «vote protestataire » est fréquent. Les Anglais appellent cela le vote «coup de pied». On peut imaginer qu’en France, cette élection se transformera en référendum pour ou contre le gouvernement Sarkozy.

Ceci explique-t-il aussi la désaffection de l’électorat pour l’élection au Parlement européen?

Oui. Le point de départ de ma thèse, c’est que les élections au Parlement européen, qui ont eu lieu pour la première fois en 1979, étaient censées donner aux peuples la possibilité d’être plus proches de l’Europe. Depuis lors, pourtant, les électeurs ne s’impliquent pas ou peu. La raison principale est le déficit d’information sur les questions européennes. Ce déficit est dû aux partis qui adoptent des positions floues. Cette stratégie leur permet de blâmer «les technocrates de Bruxelles» lorsqu’une décision ne leur convient pas, ou, à l’inverse de s’attribuer tous les mérites d’un choix jugé positif par l’électorat. En France, l’enjeu national de l’élection européenne est très clair avec des campagnes clivées sur des classiques oppositions gauche-droite, mais très peu sur des enjeux européens. Il y a là une autre raison: le risque de division du parti. Sur l’Europe, à l’UMP comme au Parti socialiste, les opinions sont très partagées. Au bout du compte, les partis se disent que, puisque l’Europe n’est pas un enjeu porteur et qu’il se double d’un risque de division, autant le laisser de côté.

Une autre raison de ce dédain n’est-il pas que le Parlement européen n’a pas vraiment de pouvoir?

En 1979, cette observation était vraie. Le Parlement avait surtout un pouvoir consultatif. Mais, à mesure que l’Union européenne s’est construite, avec Maastricht (1992), puis les traités d’Amsterdam (1999) et de Nice (2001), les pouvoirs du Parlement se sont bien élargis. Aujourd’hui, le Parlement a un pouvoir de codécision avec le Conseil des ministres. La codécision, qui place le Parlement et le Conseil sur un pied d’égalité, est devenue la procédure législative ordinaire; deux tiers des lois européennes sont adoptées par codécision; seules certaines questions sensibles (par exemple, la fiscalité, la politique agricole…) sont exclues de cette procédure; dans ces cas, le Parlement a uniquement un avis consultatif. Le Parlement a également, conjointement avec le Conseil des ministres, l’autorité sur le budget de l’Union européenne. Le Parlement approuve aussi la composition de la Commission et il a un droit de censure. Il pourrait, s’il n’en est pas satisfait, renverser la Commission…

… cela, peu de gens le savent …

En effet, on perçoit toujours le Parlement comme une institution un peu molle et sans pouvoir, un organe de représentation parce qu’il faut bien une légitimité démocratique et que le peuple soit représenté.

Quelles sont ses faiblesses?

Il est vrai que l’initiative législative ne peut venir que de la Commission. Ensuite, seulement, le Parlement peut se prononcer, rejeter ou amender, mais sur les seuls objets que lui soumet la Commission. Cela le distingue du Parlement suisse où il existe une initiative parlementaire. Le Parlement européen, lui, ne peut que demander à la Commission de faire des propositions législatives, mais il ne peut pas obliger la Commission à légiférer. Mais une autre faiblesse, je pense, c’est le nombre d’élus au Parlement. Dans une Europe à 27, on compte désormais plus de 780 députés. Aux prochaines élections, le souhait est de réduire ce nombre, mais ils seront toujours près de 740. Donc chacun peut imaginer que le pouvoir est tout de même bien dissous au niveau européen.

Bien que la Suisse ne soit pas membre de l’UE, on a le sentiment que l’influence européenne grandit sur notre pays. C’est une impression ou une réalité?

Une réalité. Cette influence grandit d’ailleurs indépendamment que nous soyons membre ou non. Cela se joue beaucoup au niveau des politiques mises en place en Europe auxquelles la Suisse est bien obligée de s’adapter. On l’a vu avec les pressions sur le secret bancaire, récemment, mais aussi sur d’autres politiques où la pression est plus indirecte. Sur la libéralisation du marché des télécommunications, par exemple, l’UE n’a jamais demandé à la Suisse de s’adapter. Mais, dans les faits, nous avons repris beaucoup de normes européennes. Ce schéma se reproduit dans bien d’autres domaines. Il faut donc distinguer une européanisation directe, par laquelle la Suisse conclut des accords avec l’UE et s’adapte en conséquence (les bilatérales, dont la libre circulation par exemple), qui forme la partie visible; et puis il y a toute une européanisation indirecte, où la Suisse s’adapte d’ellemême sur le plan juridique et institutionnel.

La Suisse fait l’objet depuis le début de l’année d’une forte pression sur le secret bancaire. En serait-il autrement si elle faisait partie de l’UE?

Je ne peux ici que vous donner mon opinion personnelle. Mais j’observe que d’autres pays membres de l’UE, comme l’Autriche ou le Luxembourg, subissent aussi des pressions, et ne sont pas dans une meilleure situation. Car ces pressions sont devenues plus internationales, et elles s’exercent notamment depuis les Etats-Unis. Ce qui est vrai, en revanche, c’est que les pays membres ont de meilleurs relais pour communiquer au sein de l’Union. Et l’on observe à présent que la diplomatie suisse déploie de grands efforts pour maintenir ses contacts.

Qu’est-ce qui pourrait changer avec l’élection 2009 au Parlement européen par rapport aux précédents scrutins?

A ce jour, seuls les Verts ont mis en place un vrai programme politique à l’échelon européen, en lançant leur «Green New Deal». Pour les autres partis, je suis allée sur leurs sites Internet et force est de constater qu’il est presque impossible de trouver une position claire sur l’élection européenne. Afin de conjurer cette inertie, le Parlement a lancé une campagne qui s’adresse directement aux citoyens de chaque pays et les enjoint non seulement d’«aller voter», mais aussi de «faire un choix politique», de voter en fonction de leurs propres convictions. Pour les aider à se déterminer, des chercheurs de l’Institut Universitaire Européen de Florence ont mis en place un dispositif de type «smart vote» en Suisse, qui leur permettra de voter au plus près de leurs convictions.

Propos recueillis par Michel Beuret

Laisser un commentaire