Nous véhiculons beaucoup de clichés sur les zoos. Heureusement, nombre d’entre eux ne sont plus du tout d’actualité. Déonstration en 5 points:
1 – Le visiteur pense souvent que si les animaux sauvages avaient le choix, ils quitteraient les zoos
Difficile de répondre à la place des animaux qui sont nés en captivité et qui vont passer leur existence dans un parc animalier sans avoir connu les plaisirs et les dangers de la vie sauvage. Ce qui est le cas de 98 % de la faune du zoo de Bâle.
Mais on peut facilement démontrer que de nombreux animaux sauvages, indigènes ceux-là, entrent dans les zoos, y séjournent de leur plein gré et partagent volontiers les enclos avec la faune exotique. «Un zoo comme celui de Bâle laisse une place importante à la nature, au cœur de la ville. Il joue donc un rôle important dans la mise en réseaux des petits mammifères et des oiseaux indigènes», assure la biologiste de l’UNIL Nathalie Rochat.
Des hérons, de nombreuses espèces de canards sauvages, mais encore des renards et des écureuils parcourent le parc, sans oublier les tritons qui s’épanouissent – entre autres – dans l’étang des loups. Il faut ajouter à cette liste de nombreux insectes, des papillons et même des martins-pêcheurs «qui ne nichent pas ici, mais qui viennent chercher des petits poissons dans nos étangs», note le directeur du zoo de Bâle Olivier Pagan.
On croise aussi dans le zoo de nombreuses cigognes qui profitent des perchoirs installés à leur intention. «Certaines sont sédentaires, mais il y a aussi des cigognes sauvages qui reviennent ici chaque année, dont le célèbre Max», précise Nathalie Rochat. «Depuis quinze ans environ, des cigognes font leurs petits à Bâle, puis elles les emmènent avec eux dans leur voyage vers l’Afrique, via Gibraltar, avant de revenir ici», ajoute Olivier Pagan.
La cohabitation entre ces animaux indigènes et les pensionnaires exotiques du zoo pose parfois des problèmes délicats aux gestionnaires du parc. «Les hérons, par exemple, sont protégés, donc le zoo ne peut pas les réguler, contrairement aux renards que l’on peut gérer en les capturant et en les déplaçant par exemple», explique Nathalie Rochat.
Sous leurs dehors tranquilles, les grands échassiers sont en effet des prédateurs très efficaces, capables de causer d’importants dégâts chez les canetons, mais encore chez des animaux d’une taille plus conséquente. «Récemment, l’un d’entre eux a réussi à manger le petit des loutres. Quelques jours plus tard, les loutres se sont «vengées» en tuant le héron», raconte Olivier Pagan.
L’attitude adoptée par les animaux qui réussissent à s’échapper de leur enclos fournit encore un élément intéressant. «Nous l’avons vérifié à plusieurs reprises: quand un guépard ou un macaque sort de son enclos, la première chose qu’il essaie de faire, c’est de revenir dans son territoire qui se trouve dans sa cage», rapporte Olivier Pagan. Ce que nous, visiteurs, voyons comme une cage ou un enclos est bien considéré par l’animal comme son territoire. Il le marque par des crottes et / ou de l’urine, et peut être amené à le défendre. Ou à y chercher refuge quand il se sent désécurisé.
2 – Le visiteur pense souvent que les animaux qui entrent dans un zoo n’en sortiront plus jamais
La règle connaît désormais des exceptions. Des tamarins lions (photo ci-dessous), qui sont nés au zoo de Bâle et qui y ont grandi, ont été relâchés dans des forêts du Brésil, au milieu des années 1980. Ces petits singes «bâlois» ont en effet participé à une expérience de réintroduction qui «a connu un beau succès», assure Olivier Pagan.
Si elle reste exceptionnelle, cette expérience avec les singes tamarins pourrait être étendue à d’autres animaux. Le zoo de Bâle élève ainsi des ânes de Somalie, l’une des espèces les plus menacées de la planète, puisqu’il n’en reste que 150 à 200 individus dans un pays déchiré par les conflits.
Dans ce cas, Bâle tient un registre recensant tous les ânes de Somalie actuellement détenus dans tous les zoos d’Europe. Etudes génétiques à l’appui, les biologistes s’assurent que ces animaux en captivité sont suffisamment mélangés pour que l’espèce conserve un maximum de diversité génétique. Histoire de maximiser les chances de réintroduction de ces animaux dans la nature, si cela devient nécessaire et quand la situation géopolitique de la région permettra une telle tentative.
Les lions du zoo de Bâle offrent un exemple similaire. Ils font partie des 2% d’animaux du zoo qui ont été capturés afin d’être exposés. «Mais ces félins ont été capturés dans une région où ils sont chassés car il y a un problème de morcellement du paysage ajouté à un problème de concurrence territoriale lié à la sédentarisation des nomades, relativise Nathalie Rochat. Et surtout, ils font partie des très rares lions HIV négatifs, qui n’ont pas encore été en contact avec le sida des chats. Leur détention, à l’écart de la contamination qui menace leur groupe vivant à l’état sauvage, permet de conserver un potentiel génétique qui peut se révéler très utile à l’avenir. Aujourd’hui, les zoos jouent là un rôle essentiel.»
3 – Le visiteur pense souvent qu’il est cruel de laisser les animaux avoir des petits qui vivront toujours en cage
L’argument fait bondir les experts. «Une naissance, c’est toujours une excellente nouvelle», assure Olivier Pagan. D’abord parce que les zoos élèvent de nombreux animaux en voie de disparition. Mais encore parce que ces heureux événements montrent que les animaux vivent bien leur captivité. Et enfin parce que ces petits vont occuper leurs parents. «Une femelle gorille porte son petit contre elle pendant cinq ans. Ce sont donc des années de qualité qui lui sont offertes», détaille le directeur du zoo de Bâle.
«J’ai régulièrement des discussions à ce sujet avec des écologistes ou avec des propriétaires de petits zoos qui réfutent complètement ces thèses, ajoute Nathalie Rochat. Personnellement, je m’identifie complètement aux arguments qui portent sur la qualité de vie de l’animal qui vit dans un cadre donné, celui d’un zoo, plutôt qu’à l’anthropomorphisme de certains qui pensent qu’il suffit de stériliser les animaux pour ne pas faire de malheureux. Souvent, les animaux qui sont privés de descendance deviennent plus facilement obèses et se languissent dans leur cage à ne plus avoir de comportement «saisonnal», car leurs hormones ne sont plus sécrétées.»
Dans certains cas, il faudrait aussi tenir compte des mœurs de l’espèce, quand on se demande s’il faut les stériliser ou non. Les grands singes, par exemple, vivent en colonies nombreuses qui sont des matriarcats, et où le rang social se crée avec les naissances. «Si on stérilise des jeunes femelles, on les empêche d’accéder à des rangs hiérarchiques importants, explique la biologiste de l’UNIL. Dans ce genre de cas, il est important de les laisser avoir des petits jusqu’à un certain âge, pour qu’elles puissent s’intégrer dans le groupe, quitte à leur poser un implant stérilisant quand elles auront acquis un statut social. C’est une autre réflexion et une autre démarche à suivre qui respecte l’éthologie des animaux en cage.»
4 – Le visiteur pense souvent qu’il est cruel de laisser les animaux avoir des petits, sachant qu’on risque de ne pas leur trouver une place quand ils auront grandi
La question délicate de la gestion des «animaux surnuméraires» n’est pas un tabou à Bâle. «Elle ne l’a jamais été», affirme Olivier Pagan. Le directeur n’a ainsi aucun problème à expliquer qu’il arrive que des petits nés au zoo servent à nourrir les autres animaux du parc animalier.
«Si nos hippopotames ont un petit, et que nous n’arrivons pas à le placer dans un autre zoo, il entrera dans la chaîne alimentaire et sera donné en nourriture à nos grands carnivores, par exemple les lycaons.» Choquant? «Non. C’est ainsi que fonctionne la chaîne alimentaire. Pourquoi devrions-nous tuer des vaches supplémentaires, qui sont aussi des animaux méritant tout notre respect, afin de nourrir nos carnivores, alors que nous avons un animal surnuméraire susceptible de le faire?»
La gestion des bébés hippopotames témoigne des nouvelles idées qui fleurissent depuis quelques années dans les zoos en pointe. «Comme c’est un animal qui se replace relativement difficilement, on doit se demander si ça vaut la peine de les laisser avoir des jeunes ou non, observe Nathalie Rochat. Là, typiquement, comme c’est un gros mammifère et que sa gestation est longue, on pense que c’est une qualité pour le bien-être des adultes. On préférera laisser les animaux se reproduire, même si les petits, une fois devenus grands, devront parfois être euthanasiés pour l’utilisation propre du zoo.»
Nourrir les autres animaux du parc animalier, c’est notamment le sort qui est réservé aux millions de criquets élevés à l’année à Bâle. Après avoir démontré leur énorme appétit dans une vitrine de l’attraction Gamgoas, où ils engloutissent d’énormes quantités de blé germé, ces insectes finissent dans le ventre des nombreux insectivores installés dans les alentours. Le jour de notre passage, ils étaient notamment jetés dans l’aquarium des bébés crocodiles qui les dévoraient rapidement, sous les yeux des petits visiteurs qui se bousculaient pour assister à la chasse des reptiles. Vérifiant au passage l’une des lois immuables de la nature: manger et être mangé.
«Ils découvrent en cela que le zoo est en fait le reflet de ce qui se passe autour de chez nous tous les jours, quand les chats ou les renards mangent des lézards, des oiseaux et des souris», prolonge Nathalie Rochat.
5 – Le visiteur croit souvent qu’il est cruel de cacher la nourriture que l’on donne aux animaux
Au contraire, dissimuler les repas distribués aux animaux dans leurs enclos est un moyen très efficace de les occuper. «Et en plus, c’est ainsi que cela se passe dans la nature! répond Nathalie Rochat. Les animaux passent la majeure partie de leur temps à chercher à se nourrir ou à manger. On a notamment découvert dans les années 1990 avec les ours, qui sont des animaux extrêmement difficiles à maintenir en détention, que le seul moyen d’éliminer la stéréotypie (cette tendance à répéter le même mouvement, n.d.l.r.) qu’ils contractent souvent en captivité, ce n’était pas d’agrandir la surface des enclos, mais de leur rendre la vie difficile ou d’augmenter la diversité de leur enclos. Parce que, dans la nature, ils doivent sans arrêt composer avec de nouveaux obstacles.»
La guide s’amuse souvent, quand elle compte des enfants parmi ses visiteurs, à leur faire chercher où sont cachées les pommes destinées à l’animal.
Ce stratagème est encore largement appliqué chez les singes, notamment chez les gorilles où l’on voit actuellement des «boîtes» à carottes aussi transparentes que bien remplies. Ce qui pousse le singe à s’équiper d’une baguette afin d’extraire patiemment son goûter par de petits orifices. Un exercice que les grands singes pratiquent avec beaucoup d’application. Et visiblement beaucoup d’intérêt pour la récompense qui finit dans leur bouche.
Jocelyn Rochat