Historien célèbre du XVIIIe siècle, Edward Gibbon a passé de nombreuses années à Lausanne. Un bel ouvrage retrace les trois séjours de l’Anglais dans cette ville, essentiels pour sa formation intellectuelle. La place de la cité vaudoise comme carrefour des Lumières européennes est également mise en valeur.
«Les étrangers se plaisent dans cette ville, non pour la ville en elle-même, qui n’a rien d’agréable, mais pour sa bonne société, pour l’affabilité avec laquelle ils y sont accueillis, pour la pureté de l’air qu’on y respire et pour la liberté avec laquelle on y vit.» Tirée du Guide du voyageur en Suisse de Thomas Martyn (1788), cette description de Lausanne donne une idée des années qu’Edward Gibbon (1737-1794) a passé dans la cité, qui comptait alors moins de 10000 habitants.
Une ambiance disciplinaire plane sur les motifs du premier séjour d’Edward Gibbon (de 1753 à 1758). Peu auparavant, ce dernier s’est converti au catholicisme à Oxford. Mécontent, le père de l’adolescent l’envoie en pension chez le pasteur Daniel Pavillard et son épouse Esther, qui résident dans le quartier de la Cité à Lausanne. Pendant ces cinq ans, le jeune homme est mû par une furor studiosis, pour reprendre la formule de Béla Kapossy, professeur en Section d’histoire à l’UNIL et codirecteur de l’ouvrage Edward Gibbon et Lausanne. Histoire, philosophie, français, latin, grec: l’Anglais dévore tout.
Pendant son deuxième séjour (1763-1764), Edward Gibbon loge à la rue de Bourg, à la pension Crousaz de Mézery. Il fréquente les cercles de sociabilité et les salons, converse et joue (beaucoup). Enfin, son dernier «passage» à Lausanne dure dix ans (1783-1793). C’est dans le cadre de la maison de la Grotte, qui se trouvait au sud de l’église Saint-François, que cet historien devenu une célébrité termine son œuvre la plus connue, Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain.
Doté d’une iconographie somptueuse et d’une mise en page soignée, nourri de documents inédits, l’ouvrage est le fruit d’un long travail qui mêle plusieurs disciplines, comme l’histoire, l’histoire de l’art et la littérature. Ces approches multiples replacent Lausanne parmi les carrefours des Lumières européennes. En prime, nous redécouvrons quelques personnalités féminines de l’époque, comme Julie Bondeli, Suzanne Curchod et Catherine Charrière de Sévery, une proche d’Edward Gibbon. «Son salon de la rue de Bourg était un lieu important de la vie culturelle lausannoise, indique Béatrice Lovis, chercheuse à la Faculté des lettres et codirectrice de l’ouvrage. Grâce aux descendants de la famille de Sévery, nombre d’objets et d’archives manuscrites en lien avec l’historien nous sont parvenus». Comme les émouvantes clés du jardin – forcément anglais – de la maison de la Grotte.