Le Musée historiographique de Paul Vionnet (1830-1914) suscite un grand intérêt, puisqu’une exposition, un livre, un site Internet, un colloque et un séminaire lui sont consacrés. Rencontre avec Olivier Lugon, professeur à la Section de cinéma et au Centre des sciences historiques de la culture de l’UNIL. Complément de l’article paru dans Allez savoir ! 61, 24 septembre 2015.
Prise avant 1914 tout près de la cathédrale de Lausanne, cette vue du Musée historiographique est particulièrement précieuse. En effet, il n’existe que très peu de clichés qui nous renseignent sur la manière dont les documents étaient présentés dans ces lieux. «Il ne s’agissait pas d’un musée conçu pour la délectation esthétique, au sens où nous nous représentons un musée de la photographie aujourd’hui», explique Olivier Lugon. Le pasteur Paul Vionnet (1830-1914) l’avait conçu comme un mélange d’archives et de cabinet d’étude personnel. Il était toutefois accessible sur rendez-vous.
Grâce à leur système d’accrochage, les clichés pouvaient être déplacés, recombinés et remplacés facilement. Mais que cherchait leur auteur ? «Il ne s’est que très peu exprimé sur son projet», note Olivier Lugon. Historien amateur investi d’une mission patrimoniale, Paul Vionnet n’était pas un théoricien. «Mais il fut pionnier de la photographie dans le canton de Vaud, puisqu’il débuta son activité dans les années 1840.» Il enregistra non seulement des paysages, des lieux, des monuments, des personnes, mais également des œuvres d’art et des manuscrits.
«A notre époque, la reproduction de documents, assimilée à la photocopie, semble totalement déconnectée de la photographie, explique Olivier Lugon. Dans l’esprit de Paul Vionnet, au contraire, ces deux aspects étaient indissociables. L’histoire passe par les images – originales ou non –, et toute reproduction possède pour lui une valeur historique.» De plus, la collection du pasteur comprenait des tableaux et des gravures. Ce doux mélange résonne à notre époque où le numérique bouscule la notion même d’original.
L’initiative lausannoise s’inscrivit dans un mouvement européen plus large. Au tournant du siècle, on constata en effet «une effervescence autour de nouveaux musées ou archives historiques, souvent à vocation universalistes, fondés surles nouveaux médias: la photographie, le cinéma et le phonographe», ajoute Olivier Lugon. Le professeur mentionne par exemple des projets gigantesques d’enregistrement de toutes les langues et toutes les musiques du monde. Peu d’entre eux durèrent, alors que le travail de Paul Vionnet fut pérennisé.
Après la mort de ce dernier en 1914, les documents, d’abord rattachés au Musée archéologique, revinrent à la BCU en 1945. Le fonds s’enrichit considérablement – notamment des archives du studio de Jongh. Il passa ensuite au Musée de l’Elysée, inauguré en 1985 comme institution entièrement dévolue à la photographie.
Dans le cadre de ses 30 ans d’existence, celui-ci organise justement l’exposition «La mémoire des images : autour de la collection iconographique vaudoise» (jusqu’au 3 janvier 2016). L’un des enjeux de la présentation consiste à faire expérimenter aux visiteurs ce que pouvait être un Musée historiographique, «en les confrontant à une accumulation d’images et d’objets de nature très variée. Alors qu’aujourd’hui, la photographie est généralement accrochée de manière parcimonieuse, dans une volonté de célébration de l’exception et de la rareté.»
Le titre de l’exposition est également celui d’un livre qui vient de paraître chez Infolio. Piloté par Anne Lacoste (conservatrice à l’Elysée), Silvio Corsini (responsable des livres précieux à la BCU) et Olivier Lugon, cet ouvrage collectif livre un portrait très complet du destin du Musée historiographique.
Sur le plan scientifique, le colloque «A l’image du monde», organisé par le Musée de l’Elysée et les Universités de Genève et de Lausanne, a lieu les 5 et 6 novembre. Cet évènement est consacré aux nombreuses collections documentaires européennes nées un peu partout en Europe et aux Etats-Unis autour de 1900.
Cet automne, Olivier Lugon entame également le second volet d’un séminaire avec ses étudiants. Lors de l’édition précédente, les participants ont apprécié de «jouer aux détectives», car il n’existe que peu de matériel scientifique sur ces archives. Ils se sont plus particulièrement intéressés aux nombreux albums de photographies qui ont rejoint le fonds Vionnet au cours du XXe siècle. Le professeur signale par exemple deux recueils des années 1910, réalisées par le voyer (personne chargée de l’entretien des routes) dans le district d’Aigle. Ce fonctionnaire a documenté ce qui commençait à apparaître comme les mauvais usages de la chaussée face à l’essor de l’automobile, comme ces gens qui dorment sur leurs chars au milieu de la voie ! Pour l’édition d’automne 2015 du séminaire, les étudiants vont se pencher sur le chemin qui a mené des grandes collections d’images de 1900 jusqu’à la prolifération des banques de données d’aujourd’hui.
Dans les prochaines années, le Musée de l’Elysée va conserver les fonds des grands photographes entrés dans la collection iconographique vaudoise, tandis que la BCU récupèrera – à nouveau –la partie plus prioritairement documentaire de ce très riche ensemble.
Le Centre des sciences historiques de la culture : https://www.unil.ch/shc/home.html