Les véritables archéologues ont-ils une vie aussi trépidante que le héros de cinéma? A l’occasion de la sortie du quatrième volet des aventures d’Indiana Jones (le 22 mai 2008) comme des Mystères de l’UNIL (30 mai – 1er juin 2008), Allez savoir! a rencontré trois chercheurs lausannois expérimentés. Et, surprise, leurs souvenirs rejoignent souvent la fiction hollywoodienne…
Des serpents et des araignées aussi menaçants que venimeux. Des repas exotiques mais peu ragoûtants. Des trésors en or, brillants comme s’ils sortaient d’un atelier de joaillerie, qu’il faut récupérer sous la mitraille des autochtones ou des concurrents… Voilà les péripéties qu’un archéologue de cinéma comme Indiana Jones rencontre systématiquement sur sa route, avant de pouvoir déposer le résultat de ses aventures dans un musée forcément poussiéreux.
Qu’en est-il dans la réalité? Pour le savoir, nous avons rencontré trois archéologues expérimentés, qui ont des années d’expériences derrière eux sur différents champs de fouilles de la planète…
1 – Comme Indiana Jones, les vrais archéologues croisent-ils sans cesse d’horribles bestioles?
Oui. Sur ce point, Hollywood n’a pas exagéré. Les insectes et les reptiles anxiogènes font partie du quotidien des chercheurs, confirme Pierre Ducrey, professeur honoraire d’histoire ancienne à l’UNIL, ancien directeur de l’Ecole suisse d’archéologie en Grèce et auteur d’un ouvrage récent consacré à l’archéologie suisse dans le monde. «Une des premières choses que j’ai apprises en Grèce, c’est de ne jamais mettre la main sous un caillou, parce qu’il y a des vipères. Pour prévenir ce danger, nous avions l’habitude de taper sur le sol avec un bâton, parce que les vibrations les font fuir.»
Cette prévention est efficace à condition de ne pas entrer dans une tombe qui grouille de serpents, comme l’a fait Claude Bérard, professeur honoraire d’archéologie classique à l’UNIL. C’était à Erétrie, dans les années 1970.
Même le cobra, qui fait des apparitions régulières dans Indiana Jones, n’est pas une invention hollywoodienne. «En Egypte, j’en ai vu plusieurs de grande taille sur les sites de collègues», confirme Daniel Paunier, professeur honoraire d’archéologie provinciale romaine à l’UNIL.
Scorpions, scolopendres et araignées
En plus des serpents, il faut compter avec les nombreux scorpions que Pierre Ducrey a photographiés. «En Crète, à Latô, il y a un site magnifique, entièrement dans la caillasse. Au milieu des restes d’une ville du V-IVe siècle av. J.-C., nous en avons vu plusieurs. L’ouvrier qui piochait est même tombé sur un nid, où se dissimulait une maman avec ses petits.»
Claude Bérard, lui, n’a pas oublié ces longues nuits passées dans une maison au nord d’Olympie (fouilles d’Elis). Durant la journée, il travaillait sous la menace des frelons qui avaient l’habitude de creuser des nids parmi les fondations des édifices antiques. Et, la nuit venue, il dormait sur un matelas pneumatique, pendant que de grosses araignées traversaient la pièce. Elles croisaient de vilains scorpions qui, eux, circulaient sur le toit et tombaient parfois sur son sac de couchage, le réveillant en sursaut. Sans que cela perturbe trop sa récupération. «Même dans la mythologie, les araignées sont mal perçues. En pleine nuit, elles sont désagréables. Mais, comme les fouilles sont extrêmement fatigantes, on dormait quand même.»
Et puis, les archéologues avaient une trousse de secours bien remplie avec eux. Une assurance tous risques? C’est ce qu’ils croyaient. «Nous avions du sérum, en prévision d’une piqûre de scorpion ou de serpent, se souvient Pierre Ducrey. Il ne nous a jamais servi. Heureusement, peut-être. Car j’ai montré ce médicament par la suite à un médecin de l’UNIL, qui m’a mis en garde. Ce remède était potentiellement pire que le mal, à cause du risque de choc anaphylactique.»
2 – Les archéologues s’habillent-ils plutôt comme Indiana Jones ou comme Lara Croft?
Au risque de décevoir tous les fans d’Indiana Jones, aucun archéologue de l’UNIL n’a jamais eu de fouet dans sa panoplie. Ni de chapeau en feutre. Dans les années 1930, le professeur d’archéologie Paul Collart fouillait bien en casque colonial, avec un costume blanc immaculé. Mais cette mode était révolue quand Pierre Ducrey a commencé ses recherches en Grèce, dans les années 1960.
Comme le prouve une photo d’époque, l’archéologue de l’UNIL avait adopté un style vestimentaire qui l’apparentait plus à Lara Croft qu’au Dr Jones. «Nous fouillions tout le temps en short, le plus court possible. Nous étions encore torse nu, avec des sandales aux pieds. Nous passions tous les mois de juillet et d’août en Grèce, sans jamais mettre de chapeau ni de crème solaire. Nous étions bronzés, avec les cheveux oxygénés. Nous vivions cela comme une époque héroïque.»
Si cette tenue était efficace pour le bronzage, elle était peu adaptée aux dangers divers qu’ils rencontraient sur le chantier (bestioles, déchets rouillés, etc.). «Quelques décennies plus tard, ça s’est soldé par un mélanome dans le dos, heureusement soigné à temps, poursuit Pierre Ducrey, et, depuis, je ne sors plus torse nu, je ne mets plus de short, j’ai toujours un T-shirt, un chapeau et au minimum des baskets aux pieds. De sorte que ma panoplie actuelle est plus proche de celle d’Indiana Jones que quand j’étais jeune, même si je n’ai toujours pas de fouet.»
3 – Comme Indiana Jones, les archéologues doivent-ils souvent manger des horreurs offertes par les autochtones?
Cela arrive. Pierre Ducrey se souvient notamment des fouilleurs qui arrivaient sur le site archéologique, à Latô, en Crète. Et qui leur proposaient de partager avec eux un verre de raki, une eaude- vie, à huit heures du matin.
Claude Bérard, lui, a «profité» d’une expédition en Grèce pour goûter, bien malgré lui, à une spécialité locale. «En 1964, j’avais été engagé par Karl Shefold, un philosophe de l’art d’origine allemande, qui vivait ses fouilles avec un enthousiasme infatigable pour la Grèce et pour Homère. Grand amateur d’excursions, il nous avait entraînés dans les faubourgs de Thèbes, où nous nous étions retrouvés affamés. La seule adresse possible était une gargote infâme, sans éclairage et totalement enfumée. Personne n’a jamais su avec certitude ce que nous avons mangé ce jour-là. Le repas, comme souvent en Grèce, avait baigné dans l’huile pendant des jours. Tout indique qu’il s’agissait de cocoretzi, un plat désormais interdit par l’Union européenne, qui était constitué de divers petits morceaux de coeurs, de reins et d’entrailles. Quand c’est bien fait, le goût du foie domine. Mais là, ce n’était pas le cas. Ce qui n’a pas empêché le professeur Shefold de multiplier ses exclamations préférées: «Wie schön!» et «Das ist homerisch!».
Du sanglier au menu
Si Claude Bérard a survécu à cette épreuve culinaire – il n’a même pas été malade – il faut conseiller à tout amateur d’archéologie qui aurait l’estomac fragile de s’orienter vers l’archéologie galloromaine, qui se pratique en Suisse et en France.
«Là, c’est nous qui régalons, rigole Daniel Paunier. Nous avons la tradition du sanglier rôti à la broche sur un feu de bois. Nous invitons les amis, les collègues et les autochtones pour de grandes fêtes. Ça crée une ambiance particulière, et ça favorise les échanges, ce qui est un atout indispensable, car un bon archéologue doit avoir un sens social très développé. Pour discuter avec les gens, les autorités, les voisins, les propriétaires des terrains… Quand chaque jour de retard sur un chantier peut parfois coûter une dizaine de milliers de francs, il faut pouvoir convaincre, expliquer pourquoi il est indispensable que nous fouillions encore un peu.»
4 – Comme Indiana Jones, les archéologues ne peuvent-ils pas monter dans un camion sans en tomber?
Dans la vraie vie aussi, les archéologues risquent leur vie sur la route. «A Erétrie, nous avions hérité d’un monstre qui avait déjà travaillé en Egypte, sur les fouilles coptes de Kellia, sourit Claude Bérard. C’était une Land Rover. Toute l’équipe pouvait y prendre place, du moins ceux qui en avaient le courage!»
Le véhicule n’était en effet plus de première fraîcheur. «La Land Rover n’avait plus de frein à main et buvait un litre d’huile aux cent kilomètres. Dans les excursions en montagne, il fallait être un virtuose de la pédale pour s’en sortir. Par miracle, nous n’avons jamais eu d’accident.»
5 – Comme Indiana Jones, les archéologues trouvent-ils de l’or qui brille comme s’il sortait de l’atelier du bijoutier?
Oui, et c’est ce qui fait la magie de ces trouvailles. «L’or, c’est très spécial. D’abord parce que toutes les grandes découvertes archéologiques sont liées à ce métal: le tombeau du roi Philippe II de Macédoine, les masques trouvés par Schliemann à Mycènes, la tombe de Toutankhamon… », explique Pierre Ducrey qui n’a jamais oublié ce jour de 1967, où il faisait des fouilles, dans un secteur du site de Malia, en Crète. «L’ouvrier qui piochait a tout à coup fait jaillir un objet brillant. J’ai soudain vu apparaître dans le soleil un grand morceau de la poignée en or d’un poignard, avec deux disques. La lame n’était pas loin. C’était une splendide trouvaille, ma seule en or.»
Sur ce point, les films d’Indiana Jones n’exagèrent pas. L’or reste exactement tel qu’il était quand on l’a enfoui. Alors que l’argent noircit un peu, et que le bronze est souvent attaqué par l’acidité de la terre, le métal précieux reste toujours brillant, même s’il ne retrouve la lumière que deux mille ans plus tard.
Cette magie de la découverte en or, les archéologues qui fouillent en Suisse ont toutefois très peu de chances de la savourer. «Le buste en or de Marc Aurèle, trouvé dans un égout d’Avenches, est tout à fait exceptionnel, soupire Daniel Paunier. Ici, on trouve éventuellement quelques monnaies en or, mais c’est tellement rare… Même dans des maisons prestigieuses comme Orbe, il y en a très peu. Tout a été visité, ramassé, récupéré. Heureusement, restent de magnifiques mosaïques!»
6 – Comme Indiana Jones, les archéologues mettent-ils toutes leurs trouvailles dans des musées poussiéreux?
Oui. Ceux qui ne le font pas sont des pilleurs d’antiquités. «Il n’y a pas de collection Pierre Ducrey, dit l’archéologue de l’UNIL. Tout ce que nous avons trouvé en Grèce est déposé dans des musées locaux. Souvent, comme à Erétrie, c’est nous qui les avons construits.»
7 – Comme Indiana Jones, les archéologues trouvent-ils des trésors?
Oui et non. «L’archéologie n’est pas une chasse aux trésors. C’est une quête d’informations, répond Pierre Ducrey. On ne cherche pas des objets, mais les traces des hommes qui vivaient dans le cadre que nous explorons. Ce n’est pas une aventure, c’est une science. Maintenant, quand, en plus, on trouve un trésor, c’est effectivement une bonne nouvelle… »
Claude Bérard a souvent fait des trouvailles extraordinaires en Grèce. Il abonde dans ce sens. «On peut dire ce que l’on veut sur l’archéologique «scientifique », quand on est près d’un trésor, qu’il soit en or ou que ce soit un graffito du VIIIe siècle, les émotions sont incomparables et on a le coeur qui bat plus vite».
Ces sensations fortes, les scientifiques qui travaillent en Suisse en sont privés la plupart du temps. «L’archéologie dans nos régions est moins spectaculaire qu’en Egypte ou en Grèce. Elle est plus difficile à vendre au grand public, remarque Daniel Paunier. Nous enseignons aux étudiants à ne pas se fixer sur le sensationnel, mais à apprendre que des tessons de poterie ou des traces de poteaux peuvent apporter des informations aussi, voire plus importantes qu’une pièce d’or. Parce qu’ils peuvent raconter l’histoire quotidienne des hommes d’autrefois parfois mieux qu’une belle statue. Je plaisante un peu, mais c’est sans doute vrai, si l’histoire est bien racontée.»
Faire rêver les gens avec le passé, en les ramenant à leurs racines et en les dépaysant, voilà un dernier point commun entre l’archéologie sérieuse et son symbole hollywoodien, Indiana Jones, qui n’est, finalement, pas si éloigné de la réalité que l’on pouvait l’imaginer, en sortant d’une salle de cinéma.
Jocelyn Rochat
A lire:
L’archéologie suisse dans le monde, un livre de Pierre Ducrey, coll. Le savoir suisse, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2007