Reins, foie, cœur, pancréas, mais encore sang, plaquettes et fœtus, tout ou presque peut sauver des vies. Inventaire.
Des organes, mais aussi des tissus. Hormis le cerveau, pratiquement tous les «morceaux» d’un corps humain décédé pourraient être prélevés pour être ensuite transplantés à des malades dans le besoin. «Avec les progrès de la médecine et de la technique, on transplante toutes sortes d’organes et de tissus, et l’on a même greffé des choses étonnantes, comme le larynx, les ovaires ou les mains», souligne Manuel Pascual, responsable du Centre de transplantation d’organes (CTO) au CHUV.
On pourrait ajouter à cette liste les cornées, les os, les osselets auditifs et même… des cellules prélevées sur des fœtus mort-nés, comme l’ont démontré récemment des gynécologues de l’hôpital vaudois.
Les reins, numéro un des greffes
D’après les statistiques de Swisstranplant, les reins arrivent largement en tête de tous les organes greffés – ils ont fait l’objet de 239 transplantations en 2004. Le CHUV a d’ailleurs acquis une grande expérience dans ce domaine puisque, depuis 1971, il a procédé à plus de six cent cinquante greffes de reins.
Contrairement à la plupart des autres organes, les reins sont couramment prélevés de personnes vivantes. Richard Berry a d’ailleurs récemment fait la «une» de l’actualité, lorsqu’il a donné un rein à sa sœur. Mais s’il est un des plus célèbres donneurs, il est loin d’être le seul à faire acte de générosité.
«Les proches du patient se proposent très souvent spontanément comme donneur», constate Nathalie Pilon, infirmière coordinatrice du CTO. Compte tenu de la pénurie d’organes provenant de «dons cadavériques», ces «dons vivants», com-me on les nomme, ne cessent d’augmenter: au CHUV, il y a cinq ans, ils ne constituaient qu’un tiers des dons; en 2005, ils en représentent la moitié.
Pour le donneur, le prélèvement n’est toutefois pas totalement anodin. L’intervention présente «les mêmes risques que n’importe quelle autre intervention chirurgicale abdominale, précise Manuel Pascual. Ces risques sont faibles, mais ils ne sont pas nuls.»
Quant au receveur – et quel que soit d’ailleurs l’organe qu’on lui transplante – son principal souci provient d’un éventuel rejet du greffon. «Ce risque est maximal dans le mois qui suit la transplantation», explique Jean-Pierre Venetz, chef de clinique du CTO. Mais même amoindri, il persiste ensuite, obligeant les personnes transplantées à consommer toute leur vie des immunosuppresseurs. C’est d’ailleurs les progrès réalisés dans la mise au point de ces derniers médicaments qui ont conduit à une importante amélioration des transplantations.
Dans le cas du rein, «il y avait 50% de rejets aigus il y a dix ans, constate le directeur du CTO. Aujourd’hui, il y en a seulement 10 à 15%. En outre, un rejet peut se traiter et n’entraîne pas forcément la perte du greffon.»
Si tout se passe bien, un rein greffé peut «fonctionner» correctement durant dix à quinze ans. Mais cela peut aller bien au-delà. «Nous avons actuellement dans notre service une dame qui est venue pour sa deuxième greffe de rein; la première lui avait été faite il y a vingt-quatre ans!» constate Nada Sturzenegger, médecin au CTO. Une telle longévité est inhabituelle. Il n’empêche: comme le souligne Jean-Pierre Venetz, «comparée à la dialyse, la greffe rénale permet de doubler l’espérance de vie du patient, et surtout d’améliorer sa qualité de vie».
Le foie un organe très spécial
Comme le rein, le foie peut lui aussi être prélevé sur une personne vivante. Le recours à cette pratique du don vivant avait toutefois été interrompu en Suisse, «car le risque de mortalité du donneur avait été évalué à 0,5% dans certaines publications, ce qui avait été jugé trop élevé et inacceptable», explique Manuel Pascual.
Mais cette estimation chiffrée a fait l’objet de discussions. Il apparaît d’ailleurs que «le risque est plus faible lorsque les interventions se font dans des programmes de transplantations hépatiques spécialisés et bien rodés, comme le sont celui du réseau romand CHUV-Hôpitaux universitaires de Genève, et celui de Zurich», qui viennent de reprendre leur activité en la matière.
Mais le foie a d’autres caractéristiques qui font de lui un cas particulier. Avant toute transplantation d’organes, il faut bien évidemment s’assurer de la compatibilité des groupes sanguins du donneur et du receveur. Mais il faut aussi vérifier que le second n’a pas d’anticorps dirigés contre les antigènes HLA du donneur.
Elément fondamental de l’immunité, le système HLA, dit d’histocompatibilité, varie beaucoup d’un individu à l’autre et, de ce fait, les anticorps anti-HLA peuvent être à l’origine de rejets aigus ou super-aigus. Mais ce risque est très limité dans le cas du foie, qui résiste relativement bien à l’action de ces anticorps.
C’est un «organe remarquable», souligne le directeur du CTO, d’autant qu’il résiste mieux au vieillissement que les autres, ce qui permet de repousser l’âge des donneurs. «Dans la pratique, il est rare que l’on prenne des organes chez une personne de plus de 65 ou 70 ans; mais on a assisté à des transplantations réussies de foies prélevés sur des personnes de 80 ans.»
Le cœur, l’organe de l’émotion
Sur la liste des organes qui sont le plus fréquemment transplantés, viennent ensuite le poumon et le cœur. Les familles, qui sont les seules habilitées à autoriser le prélèvement d’organes de leur proche décédé, «donnent spontanément les organes viscéraux; mais certaines sont plus réservées lorsqu’il s’agit du cœur, considéré comme l’organe des émotions, voire de l’âme», constate Nathalie Pilon.
Quoi qu’il en soit, une trentaine de cœurs ont été greffés en Suisse l’année dernière. Dans ce cas, il faut faire vite car cet organe, comme le poumon, ne se conserve dans la glace que cinq heures, contre 16 à 18 pour le foie et 24 à 30 heures pour les reins.
Quant aux cœurs qui ne sont pas en assez bon état pour être greffés, ils ne sont pas perdus pour autant. On peut en extraire des valves qui seront implantées chez des patients souffrant de maladies valvulaires cardiaques.
Pancréas ou îlots?
L’année dernière, onze transplantations de pancréas ont été effectuées en Suisse. Il est vrai que pour traiter les patients diabétiques, on fonde actuellement beaucoup d’espoir sur la greffe d’îlots de Langerhans, petites structures du pancréas dans lesquelles l’insuline est fabriquée.
Le receveur a tout à y gagner. L’intervention, qui peut se pratiquer de manière ambulatoire, consiste en effet à ponctionner une veine principale située au niveau du foie du patient et à y infuser des îlots. Cependant, «une transplantation de pancréas réussie donne, à long terme, une meilleure garantie qu’une greffe d’îlots de Langerhans», précise Manuel Pascual.
Dans leur majorité, ces derniers cessent de fonctionner au bout de deux ou trois ans, ce qui oblige à renouveler la greffe. Voilà qui n’est pas de nature à résoudre le problème du manque de pancréas disponibles.
Quant aux intestins, ils n’ont fait l’objet que de très rares transplantations, en Suisse Romande, ces cinq dernières années. Il est vrai que les indications sont rares. Mais en outre, cette technique en est encore à un «stade clinique préliminaire», précise le directeur du CTO, «et les risques de rejet et les complications infectieuses sont plus importants que dans les autres greffes».
Sang: une matière première riche
En Suisse, et dans le canton de Vaud en particulier, on ne manque pas de sang, mais «on est de plus en plus limite», souligne Jean-Daniel Tissot, médecin chef de l’unité de médecine transfusionnelle du CHUV.
«On s’adresse souvent aux mêmes donneurs» et, l’été surtout, lorsque ces derniers sont en vacances, «on a de plus en plus de mal à faire face aux besoins». Et ceux-ci sont importants. «Au-jourd’hui, on ne fait quasiment plus de transfusion de sang complet», précise le spécialiste du CHUV. En revanche, on extrait et utilise ses divers composants.
A commencer par les globules rouges (qui permettent au sang du receveur de maintenir sa capacité à transporter l’oxygène dans l’organisme), les plaquettes (qui empêchent le saignement en jouant un rôle important dans la coagulation), ou encore le plasma, (qui renferme des protéines importantes pour la coagulation). On peut aussi tirer profit de globules blancs particuliers, les granulocytes, dans des situations particulières, notamment des infections résistantes aux antibiotiques.
Mais il n’y a pas que cela. Le sang est également riche en cellules-souches hématopoïétiques, qui sont indispensables pour reconstituer le sang des patients ayant subi une chimiothérapie. Longtemps, ces cellules ont été extraites de la moelle osseuse (appartenant à un donneur ou au patient lui-même). Cela se pratique toujours, mais «de moins en moins souvent, explique Jean-Daniel Tissot, car on est maintenant capable de trouver ces cellules-souches directement dans le sang».
Quels que soient les composants sanguins qui lui sont transfusés, pour le receveur les risques d’infection sont les mêmes. Pour ce qui est de la contamination virale, «les risques ne sont pas nuls, mais ils n’ont jamais été aussi bas qu’aujourd’hui», dit le médecin. «Restent toutefois les risques d’infections bactériennes. Par ailleurs, il est toujours possible de donner au patient le mauvais produit au mauvais moment.» Mais, précise Jean-Daniel Tissot, «la sécurité des transfusions s’est considérablement améliorée ces dernières années».
Le fœtus et ses cellules
Au rang des donneurs, on peut désormais aussi placer… les fœtus. Depuis quelques années déjà, les neurologues ont recours aux greffes de cellules fœtales pour traiter des patients atteints de la maladie de Parkinson. La technique est encore très expérimentale, mais elle semble prometteuse. Mais, en août dernier, Patrick Hohlfeld et ses collègues du département de gynécologie-obstétrique du CHUV ont apporté la preuve que l’on pouvait faire plus encore.
Sur un fœtus âgé de 14 mois – et après avoir reçu l’accord de la mère et le feu vert du comité d’éthique de l’hôpital – ils ont prélevé des cellules cutanées qu’ils ont mises en culture. Ils ont ainsi obtenu plusieurs millions de lambeaux de peau d’une centaine de centimètres carrés chacun, grâce auxquels ils sont parvenus à guérir des enfants victimes de brûlures sévères.
Certes, il ne s’agit pas véritablement d’une greffe mais plutôt «d’une sorte de pansement biologique qui permet de stimuler rapidement la reprise de la multiplication naturelle des cellules de la peau des patients», comme le précisait alors Patrick Hohlfeld. Il n’empêche. Cette expérience réussie repousse encore les limites du don d’organes, de tissus ou de cellules.
Elisabeth Gordon