Entretien avec Matthias Urban
En complément de l’article paru dans Allez savoir ! 60, mai 2015
Ecrite par Vaclav Havel en 1975, la pièce Vernissage a été donnée au Théâtre La Grange de Dorigny du 26 février au 7 mars 2015, avant d’être présentée au Théâtre des Osses à Givisiez, puis au Petithéâtre de Sion fin mars. Ce spectacle drôle, féroce et absurde a conclu les trois années de la résidence d’artiste de Matthias Urban, comédien et metteur en scène. L’occasion de tirer un petit bilan.
Comment la pièce a-t-elle évolué pendant la tournée ?
Vernissage repose beaucoup sur le jeu des acteurs. Au fil des représentations, les comédiens Valérie Liengme, Yves Jenny et François Florey ont gagné en précision et en aisance. La réception par le public a beaucoup varié. Certains soirs, le silence régnait et le côté politique du texte ressortait. D’autres fois, les gens riaient aux répliques, et c’est l’aspect «boulevard» qui primait. Nous l’avons également montrée à des classes…
… Un public pas facile…
Si les jeunes n’adhèrent pas, ils vous le font savoir tout de suite ! Mais là, les adolescents ont été très réceptifs. Vernissage traite de la dictature de l’apparence, de la violence symbolique de la norme, soit des thèmes qui leur parlent. Le texte de Vaclav Havel, 40 ans après sa publication, possède encore un grand potentiel. Ses différentes couches se dévoilent. D’autre part, à Sion, nous avons réduit la scénographie pour des questions de place disponible. Comme le spectacle a bien fonctionné ainsi, cela nous a donné envie de repartir en tournée, dans le futur. Le texte touche les gens et la mise en scène est modulable selon les lieux.
Vernissage conclut votre résidence d’artiste, entamée en 2012 avec l’adaptation de 1984, de George Orwell.
Tout est parti de mon envie de relire 1984. De manière générale, j’aime les textes engagés, politiques. C’est intéressant de noter que ce livre sorti en 1949, loin d’avoir été «ringardisé» par la chute du communisme, nous intéresse dans le contexte des scandales des écoutes de la NSA et de la surveillance en général. Nous avons besoin de revenir à des œuvres majeures, et le livre d’Orwell en est une. Le texte de Vaclav Havel est moins connu. C’est aussi l’un des rôles du théâtre que de remettre en lumière des ouvrages un peu oubliés, lorsqu’ils sont visionnaires et que les problèmes dont ils traitent sont les nôtres. C’est le cas de Vernissage, qui se situe parmi les empêcheurs de tourner en rond.
Dans le cadre d’un séminaire, vous avez animé un atelier de création théâtrale sur le monde du travail, avec des étudiants. Cela a débouché sur la présentation de La Plante verte au Festival Fécule, en 2014. Comment s’est passée votre collaboration avec l’université ?
J’ai adoré cette expérience ! Les thèmes que j’ai proposés pour ma résidence, soit la surveillance et le contrôle, m’ont permis de rencontrer des chercheurs et des étudiants. Avec eux, nous avons consacré un semestre à réfléchir, à travailler, à écrire, à répéter et à finalement jouer la pièce issue du séminaire, La Plante verte. Les acteurs ont incarné des cadres qui se prêtent au jeu du coaching d’entreprise. Certains étaient très à l’aise, et d’autres fois il a fallu trouver des solutions. Le côté pédagogique fait partie de la donne : de toutes manières, la réalité de la scène prend le dessus une fois ou l’autre et elle nous force à jeter le superflu par-dessus bord, à nous demander si le spectateur va nous accompagner tout au long de la pièce.
Vous avez collaboré avec les étudiants de l’Atelier critique, pour lequel des étudiants de l’UNIL assistent à des spectacles et en livrent des critiques à chaud…
Je leur ai proposé une initiation à la scène au début de cette année. Grâce à leur formation, ils connaissent les aspects théoriques du théâtre. Les étudiants ont ainsi eu l’occasion de monter sur les planches pour des exercices de jeu, d’improvisation. Ce fut une découverte pour certains d’entre eux. C’est une vraie richesse pour l’UNIL de compter un théâtre sur son site.
Quels sont vos projets ?
Cet été, je vais monter Le jeune prince et la vérité, un très beau texte de Jean-Claude Carrière, dans les jardins du Petit Théâtre de Lausanne. En juillet, au Festival de la Cité, je vais présenter un spectacle avec Alain Borek. Il va s’agir d’une conférence sur le bonheur dans laquelle nous interprétons des coaches… douteux ! Cela rejoint un peu La Plante verte, même si l’aspect social sera davantage mis en avant. Nous avons en effet quelques doutes sur la mouvance du coaching! Enfin, je suis en pleine écriture d’une web série d’horreur, pour les 15 ans du festival de film fantastique NIFFF. Ce n‘est pas toujours évident de s’essayer au cinéma de genre, mais nous espérons que cela fera rire le public.