Cadeaux de Noël: faut-il offrir des jeux vidéo aux enfants?

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Dilemme sous le sapin: les petits réclament des consoles, parlent de Wii et de Nintendo DS, et demandent les jeux qui vont avec au Père Noël. Et les grands hésitent. Si vous êtes dans ce cas, vous n’êtes pas le seul: car 92% des jeunes Vaudois pratiquent ces loisirs virtuels. Deux experts de l’UNIL vous proposent quelques clés pour gérer au mieux ce problème familial d’actualité.

450 millions d’adeptes, un chiffre d’affaires mondial plus élevé que celui de l’industrie du cinéma: incontestablement, le jeu vidéo est devenu un produit de divertissement massif. Un bien culturel, même: le Conseil culturel allemand a décidé, après d’âpres négociations, d’intégrer parmi ses membres des représentants de ce domaine. Alors, offrir un jeu vidéo, ce serait au fond aussi innocent qu’offrir un livre?

A peu près, si l’on respecte quelques règles appliquées spontanément quand il s’agit de littérature mais que l’on oublie dès qu’il est question de l’univers virtuel, sous prétexte qu’on le connaît mal… Vous offririez «Justine ou les infortunes de la vertu», du Marquis de Sade, à un enfant de 10 ans? Non. Alors ne lui offrez pas non plus GTA (Grand Theft Auto). Mais vous pouvez sans autre lui donner l’un des innombrables autres jeux qui lui apporteront beaucoup – et à vous aussi.

Qui peut jouer?

A priori tout le monde: l’offre a tellement progressé ces dernières années que, du garçon qui veut se la jouer Michael Schumacher au volant de Mario Kart en passant par sa mère qui veut garder la forme avec les exercices de fitness de la Wii-fit, tout le monde est concerné. C’est d’ailleurs une excellente opportunité de réunir toute la famille pour des défis inénarrables.

Mais, pour bien choisir dans cette pléthore de possibilités, il faut d’une part connaître les intérêts de l’enfant (plutôt tenté par l’aventure, par les sports d’équipe, par le fantastique, par l’idée de devenir maire d’une ville?), d’autre part tenir compte de son âge et de sa sensibilité.

A partir de quel âge?

Pour aiguiller les parents et leur donner une idée du contenu des jeux disponibles dans le commerce, le système PEGI (Pan European Game Information) a mis au point une classification par âge de tous les jeux vendus en Europe. Soutenue par les plus grands fabricants de consoles (Microsoft, Sony et Nintendo), cette association a établi cinq groupes.

Dans le premier, 3+, sont inscrits les jeux grand public accessibles à tous, qui ne comportent ni violence, ni nudité, ni trace de sang. «Mais attention: cela ne signifie pas qu’un enfant de 3 ans peut s’amuser avec n’importe lequel des jeux ainsi noté, explique Olivier Glassey, chef de projet à l’Observatoire science, politique et société de l’UNIL. Il peut être limité par son développement intellectuel et sa psychomotricité fine trop immatures. Se demander quels sont les gestes et les manipulations mentales dont il est capable est donc essentiel avant d’acheter un jeu ainsi classé.»

Outre l’âge, PEGI donne aussi des renseignements sur le contenu (voir tableau ci-contre) et donc les raisons qui conduisent à un classement dans les classes d’âge supérieures (violence, dis- crimination raciale, consommation de drogue…). On trouve ces pictogrammes au dos des emballages de tous les jeux vendus en Suisse. Pour savoir avant la visite au magasin si le jeu contre lequel Junior serait prêt à échanger sa petite soeur a une chance de lui convenir, un petit tour sur le site de PEGI (www.pegi.info/fr/index) peut donner une première indication. Une conversation avec les parents du copain chez qui il l’a découvert aussi…

Et les filles?

Coralie Magni-Speck est assistante en psychologie à l’UNIL. Elle est aussi membre de l’Association suisse des passionnés de jeux vidéo (swiss gamers network), ce qui en fait l’une des rares femmes à s’intéresser sérieusement au phénomène – elle a d’ailleurs organisé cette année à l’UNIL une conférence publique pour réfléchir aussi bien aux dangers du jeu virtuel (comme la dépendance, qui l’intéresse particulièrement), qu’à ses apports.

«Il y a quelques mordues qui arrivent au meilleur niveau, mais les filles sont statistiquement beaucoup moins nombreuses à jouer, explique-t-elle, et elles passent moins de temps derrière leur écran.» Certaines adolescentes ont néanmoins compris que ce bastion masculin était un excellent terrain de chasse et elles s’initient avant tout pour draguer…

Reste que les jeux cultes des gamers laissent de marbre la plupart des filles. On s’en doute, les fabricants ont repéré que sommeillait là un marché à exploiter, et depuis quelques années, on voit donc proliférer des jeux et des consoles qui ciblent spécifiquement les petites filles et les demoiselles (Nintendo a sorti une version rose de la DS…).

Marche particulièrement bien tout ce qui consiste à prendre soin d’animaux virtuels (Passion vétérinaire, Nintendogs, Cheval et poney – mon centre équestre, Mon cheval et moi, L’académie des animaux…), les simulations de vie avec une forte dimension sociale (les Sims), les jeux qui mettent en scène les aventures d’un personnage de dessin animé connu (Titeuf), le karaoké (Singstar, Karaoke party) ou encore le stylisme (Jeune styliste).

Largement de quoi fasciner sans violence et sans compétition, deux éléments très présents dans la plupart des jeux et qui ont, si l’on en croit les spécialistes, un effet répulsif sur les demoiselles. Seule exception à cette règle, Tomb Raider, qui met en scène une sorte d’Amazone moderne pas exactement pacifique, que les fabricants voyaient séduire un public de machos attirés par sa plastique de Bimbo et à laquelle se sont en fin de compte identifiées beaucoup de femmes…

Est-ce que ça rend violent?

C’est la question sans fin et sans réponse définitive qui poursuit le jeu vidéo depuis qu’il existe: une étude prouve que oui, le lendemain une autre prouve que non. On en revient finalement toujours aux deux hypothèses qui s’opposent depuis qu’Aristote a parlé de la représentation de la violence dans la fiction (le théâtre dans son cas). Le philosophe grec postulait que voir un meurtre virtuel permettait au spectateur d’exprimer par procuration sa propre violence, lui évitant d’avoir à la réaliser dans la vraie vie – c’est ce qu’il nomme l’effet cathartique de la représentation.

D’autres postulent au contraire que voir douze assassinats à la seconde a un effet incitatif, ou, tout le moins banalisant, qui favorise le passage à l’acte. Le débat reste ouvert, mais la position de Serge Tisseron, psychanalyste spécialiste notamment des images (et parrain du swiss gamers network), est intéressante: pour lui, certains jeunes sont bien déstabilisés par le contenu violent des jeux les plus extrêmes. Mais ce sont les adolescents qui ont déjà «un terreau fertile avant de se mettre à jouer, des jeunes dont le monde intérieur est en morceaux» – ils ne sont pas conditionnés directement par les violences mises en scène sur leur écran, plutôt par un passé lourd dont ils ont de la peine à se sortir.

Evidemment, la presse relève toujours, lorsqu’un fait divers sanglant impliquant un jeune se produit, que l’auteur «était un fan de jeux vidéo», et s’empresse en général de créer un lien de causalité entre les deux phénomènes. Comme le relève Olivier Glassey, «aujourd’hui, environ 90% des jeunes jouent aux jeux vidéo. Dire qu’un jeune auteur de violence est un gamer ne dit finalement rien des raisons qui l’ont conduit à agir ainsi.» Car, on l’oublie facilement, le premier de classe est aussi un joueur, comme ce jeune sportif d’élite ou ce violoniste prometteur…

On focalise énormément l’attention des parents sur ce thème, mais comme se plaît à le souligner Coralie Magni- Speck, citant les chiffres de la SIEA (Swiss Interactive Entertainment Association), «la moitié des jeux vendus en Europe sont classés dans la catégorie 3+ et sont donc totalement exempts de la moindre violence. Les 18+ ne représentent quant à eux que 4% des produits en vente.» On parle donc beaucoup d’un aspect qui, s’il est important, n’en demeure pas moins très circonscrit.

Est-ce que ça rend asocial? Ou dépendant?

Après les reportages sur les jeunes scotchés derrière leur écran, qui ne se nourrissent plus qu’à peine et qui ont coupé tous les ponts avec le monde extérieur, les parents craignent de voir leur enfant finir en zombie. Dans les faits, «on estime qu’environ 10% des joueurs ont des pratiques ludiques excessives pouvant conduire à la dépendance», estime Olivier Glassey.

Et, comme pour la violence, ce sont des jeunes qui présentent déjà un terreau favorable pour ce type de problèmes. Reste que si c’est un phénomène rare, il existe: «Les parents doivent être attentifs à l’attitude de l’enfant. S’il arrête le sport, ne voit plus ses copains, ne parle plus que de ça, que ses notes chutent, il faut agir», commente Coralie Magni- Speck. Pour éviter d’en arriver là, Olivier Glassey suggère «de placer l’ordinateur ou la console dans un espace commun à toute la famille plutôt que dans la chambre de l’adolescent, de le faire parler de ses jeux et de ce qu’il y fait».

De l’avis de tous les spécialistes, les jeux qui présentent le plus de risques sont les MMORPG (massively multiplayer online role-playing games): des jeux qui se jouent en ligne, souvent en guildes, c’est-à-dire en équipe. «Le jeune est incité à y revenir et à y jouer longtemps, puisque le résultat de son groupe dépend de sa présence et de l’évolution de son personnage – lequel ne progresse que s’il joue beaucoup», explique Coralie Magni- Speck.

Mais, comme dans la vraie vie, dans les jeux vidéo, rien n’est tout blanc ou tout noir. «Ce principe n’a de loin pas que des effets négatifs, explique Olivier Glassey. Il permet aussi de travailler sur nombre de compétences sociales très valorisées dans le monde du travail, comme la collaboration dans la complémentarité, la négociation, le leadership. C’est de loin beaucoup plus subtil et formateur que les non-joueurs ne l’imaginent.»

La violence ou la dépendance sont évidemment très stigmatisées: ils entrent en résonance avec les inquiétudes que nourrissent les parents à l’égard de leurs enfants. Les jeux vidéo posent néanmoins d’autres questions. Celle de la vision du monde proposée à l’enfant notamment: dans les SIMS par exemple, jeu par ailleurs très politiquement correct et donc rarement décrié, le sommet de l’accomplissement personnel est d’avoir le revenu le plus important possible et de passer sa vie aux barbecues organisés par les voisins…

Même simplisme avec le premier SIMcity: «Pour sortir un quartier pauvre de la violence et de la misère, le joueur n’a qu’à bâtir un poste de police, et hop, tous les problèmes, du chômage à la qualité des logements, se trouvent balayés d’un seul coup…», s’amuse Olivier Glassey. Ce qui n’empêche pas les enfants de récupérer ce monde merveilleux à leur manière: telle jeune fille de 12 ans fait exprès de négliger son bébé SIMS parce qu’elle sait qu’ainsi les services sociaux vont le lui confisquer, et que c’est «trop drôle de voir le flip de la mère SIMS». Beaucoup de jeux enfin proposent un décorum historique fouillé. «Le joueur peut choisir parmi un large choix de civilisations et s’il triomphe, il sera le maître du monde, explique Olivier Glassey. Vous pouvez donc régner sur la Terre en étant une obscure tribu Sioux.» Historiquement, ce n’est pas exactement comme cela que ça s’est passé pour les Indiens d’Amérique. On espère que les enseignants suffiront à rétablir une vision de l’histoire de l’humanité un peu plus conforme à la réalité…

Qu’est-ce que ça apporte?

Les jeux vidéo, c’est aussi, mais on en parle rarement, l’occasion d’acquérir ou de renforcer quantités d’attitudes et de capacités: l’estime de soi en réussissant un palier ou en achevant une quête, la prise de décision en devant choisir une option de jeu presqu’à chaque seconde, la gestion de ressources finies, l’anticipation, l’élaboration de stratégies, la faculté de se mettre à la place de l’autre, l’apprentissage par erreur-correction, la solidarité, l’analyse de situations complexes, sans compter pour les plus jeunes la psychomotricité et la coordination. Qui dit mieux?

Sonia Arnal

Pour en savoir plus:
Le site de l’association suisse des loisirs interactifs: www.siea.ch
Le site des joueurs suisses: www.swissgamers.net
Le site de PEGI: www.pegi.info

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