On ne le sait que trop peu, mais la mère de Jésus est considérée comme un véritable modèle de pureté et de piété dans l’islam. Les explications de Jean-Claude Basset, chargé de cours, spécialiste de l’islam et des relations interreligieuses à l’UNIL. Texte Anne-Sylvie Sprenger
Le fait est des plus surprenants: Marie est plus souvent évoquée dans le texte coranique que dans la Bible! Et pourtant, son fils Jésus n’y occupe pas la même place centrale que dans la foi chrétienne. En effet, dans la confession musulmane, Jésus n’est pas reconnu comme le Fils de Dieu, mais comme l’un des prophètes majeurs de l’islam, mis sur un pied d’égalité avec Abraham, Moïse, David ou encore Mahomet (plus correctement appelé Muhammad). «Marie est présente dans le Coran comme bien d’autres personnages bibliques», relève Jean-Claude Basset, spécialiste de l’islam et des relations interreligieuses à l’UNIL. Pour le comprendre, il convient premièrement de rappeler la nature même du Coran, et ses liens fondamentaux avec la Torah et l’Evangile, les textes de référence des deux autres religions monothéistes que sont le judaïsme et le christianisme.
«Il faut savoir que pour les musulmans, il n’y a qu’un seul Livre», nous explique-t-il. «Une sorte de Livre-Matrice qui est au Ciel et descend en fonction des circonstances. L’islam ne se présente pas comme une nouvelle religion, mais s’appuie clairement sur ces deux traditions antérieures et s’inscrit dans la continuité d’un même message originel qui a été transmis successivement à Adam, Noé, Abraham, Moïse, Jésus et finalement Mahomet. Dans cette confession, seul le texte coranique fait cependant foi, puisqu’on considère qu’autant la Bible hébraïque que le Nouveau Testament ont été modifiés avec le temps, l’usure, les déformations et autres interprétations – volontaires ou non, d’ailleurs. Le Coran est alors perçu comme le dernier rappel envoyé par Dieu pour guider les humains.»
Des sourates portent les noms de personnages bibliques
Ainsi fondés sur un héritage commun, les textes des trois grandes religions monothéistes partagent plusieurs points de convergence, notamment quant à la présence des mêmes personnages. «Plusieurs sourates portent le nom de personnages bibliques (Abraham, Jonas, Joseph, Noé), mais cela ne signifie pas qu’ils soient nécessairement identiques. On peut d’ailleurs leur trouver autant de ressemblances que de divergences (lire en page 54)», précise le spécialiste de l’UNIL.
Dans ce contexte, le personnage de Marie (Maryam, en langue arabe), la mère de Jésus, apparaît comme une réelle figure rassembleuse. A l’instar de la foi catholique, la confession musulmane lui accorde une place tout à fait privilégiée: la sourate (chapitre du Coran, ndlr) 19 porte son nom et lui est largement consacrée. «C’est le seul nom féminin qui est mentionné dans le Coran», souligne Jean-Claude Basset. «Les autres femmes sont toujours évoquées sous le titre de « sœur de », « fille de », « compagne de ». Elles n’ont pas de nom.» Et d’expliquer: «Traditionnellement, dans l’islam, la filiation est marquée par le père, on est toujours le « fils ou la fille de ». Mais comme Jésus n’a pas de père, ce qui est fondamental dans la foi musulmane, il est désigné comme le fils de Marie.»
Marie est un modèle pour tous les croyants
Dans l’islam, Marie est une figure fortement respectée. Le Coran insiste beaucoup sur sa pureté, son humilité ainsi que sa piété. «Les musulmans n’utilisent pas le mot « sainte », mais elle est mise sur un véritable piédestal», précise Jean-Claude Basset. «D’ailleurs, elle n’est pas seulement un modèle pour les femmes, mais pour tous les croyants. Ses qualités portées en exemple ne se cantonnent pas à la gent féminine!» Et le professeur lausannois d’ajouter qu’il existe même un hadith (ces paroles rapportées de Mahomet, ndlr) selon lequel «il n’y a pas de nouveau-né qui soit mis au monde sans que Satan ne le pique et que l’enfant crie sous la piqûre, la seule exception est celle du fils de Marie et de sa mère.»
Si le premier marque un réel point de rupture entre la religion chrétienne et la foi musulmane (lire en page 55), Marie, quant à elle, apparaît comme un point de convergence notoire.
Dans les parallèles évidents entre le récit biblique et le texte coranique, l’on peut notamment relever la célèbre scène de la révélation où un ange, envoyé de Dieu, lui annonce qu’elle enfantera d’un fils, bien qu’elle n’ait jamais connu d’homme.
Elle aurait accouché seule, sous un palmier
Le récit de la naissance de Jésus est quant à lui fortement différent. Dans la tradition musulmane, on ne retrouve ni Joseph, ni étable: Marie, chassée par les siens parce qu’elle aurait fauté, accouche seule, sous un palmier – probablement en Egypte, précise le spécialiste. Et c’est en ces termes que le Coran relate cet épisode: «Les douleurs de l’enfantement l’amenèrent au tronc du palmier, et elle dit: « Malheur à moi! Que je fusse morte avant cet instant! Et que je fusse totalement oubliée! » Alors, il (l’ange ou l’enfant) l’appela d’au-dessous d’elle: « Ne t’afflige pas. Ton Seigneur a placé à tes pieds une source. Secoue vers toi le tronc du palmier: il fera tomber sur toi des dattes fraîches et mûres. Mange donc et bois et que ton œil se réjouisse! Si tu vois quelqu’un d’entre les humains, dis: « Assurément, j’ai voué un jeûne au Tout Miséricordieux: je ne parlerai donc aujourd’hui à aucun être humain »« (Sourate Maryam, 19, 23-26).
Accusée d’être une prostituée
Encore une fois, Jean-Claude Basset tient à préciser que «le Coran n’a rien inventé, il s’agit d’éléments présents dans des textes apocryphes chrétiens qui n’ont pas été retenus lors du consensus de l’Eglise quant à la désignation des textes bibliques, mais comportent des traditions qui ne sont pas forcément fausses mais expriment davantage la religion populaire».
De cette littérature non officielle, comme une sorte de «chaînon intermédiaire», l’islam a également puisé d’autres éléments quant à la figure de Marie, dont cette scène étonnante, où elle va être accusée d’être une prostituée – un reproche totalement gommé dans le christianisme mais qui existe dans la tradition juive.
Dans le texte coranique, c’est le nouveau-né même qui prend la parole pour défendre l’honneur de sa mère face à cette injure. Et le spécialiste de l’UNIL de citer la suite de la Sourate Maryam (v. 27-30): «Puis elle vint auprès des siens en le portant (le bébé). Ils dirent: « Ô Marie, tu as fait une chose monstrueuse! Sœur de Hâroûn, ton père n’était pas un homme de mal et ta mère n’était pas une prostituée. » Elle fit alors un signe vers lui (le bébé). Ils dirent: « Comment parlerions-nous à un bébé au berceau? » Mais (le bébé) dit: « Je suis vraiment le serviteur d’Allah. Il m’a donné le Livre et m’a désigné Prophète. »«
L’enfance de Marie est racontée dans le Coran
La pureté de Marie est capitale dans l’islam, explique Jean-Claude Basset. «Les musulmans sont d’ailleurs les fervents défenseurs de Jésus contre ces attaques. Lorsqu’on a discuté, au sein de la tradition protestante et plus largement en Orient de la question des frères de Jésus, des voix musulmanes se sont levées pour dire que la virginité de Marie est éternelle, elle n’a pas pu avoir d’autres enfants.»
De Marie, le Coran a également gardé le récit de sa propre enfance, dont la Bible ne dit rien. «Sa naissance a été difficile, sa mère était âgée et avait de la peine à avoir des enfants», relate le professeur. «Alors, cette femme fit le vœu de consacrer l’enfant qui allait naître à Dieu.» Bien que cela fût une fille, certains textes apocryphes tout comme la tradition musulmane et, en partie, le Coran rapportent que Marie a été mise à part dès son plus jeune âge, qu’elle a été élevée au temple dans une cellule particulière, et instruite – parce qu’il fallait bien honorer le vœu de sa mère. Les apocryphes disent encore que, lorsqu’elle sera grande, on décidera de la confier à quelqu’un et que l’homme tiré au sort sera Joseph. Si on retrouve cette anecdote dans la tradition musulmane, elle ne figure cependant pas dans le Coran à proprement parler.
Ainsi, de part et d’autre du monde musulman, Marie est respectée, voire célébrée, tout autant que par les catholiques fervents. «Des lieux de pèlerinage de Maryam sont visités aussi bien par les chrétiens que par les musulmans», note encore Jean-Claude Basset qui rapporte enfin que le Gouvernement libanais a décrété, en 2010, que le 25 mars, soit la fête de l’Annonciation, serait journée de fête commune pour les musulmans et les chrétiens. Comme quoi, quand on veut bien voir les ponts entre les hommes faisant partie d’une même humanité, on les trouve!
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