«Avec la pandémie, nous avons découvert les passions des chercheurs»

Alain Kaufmann, directeur du ColLaboratoire de l’UNIL, est un spécialiste des controverses scientifiques, comme le nucléaire, la 5G, les pesticides et les OGM. Il revient ici sur la crise du Covid-19. 

Alain Kaufmann. Directeur du ColLaboratoire. Nicole Chuard © UNIL

L’une des images qui restera, c’est ces chercheurs à la TV qui ne sont d’accord sur rien. C’est mauvais pour la crédibilité des scientifiques ?

Je ne pense pas. Quand on regarde les sondages qui comparent le degré de confiance dans les différentes professions, on s’aperçoit que les scientifiques du domaine public, pas de l’industrie, sont presque toujours au sommet. Et je pense que ce sera toujours le cas dans six mois.

La crise ne va rien changer ?

Nous vivons depuis un an et demi une situation complètement inédite. Elle ne permet pas de tirer des enseignements de long terme sur le degré de confiance envers les scientifiques. La crise du Covid-19 se caractérise par une exposition massive des populations à des informations souvent contradictoires sur une situation sanitaire exceptionnelle. C’est une anomalie qui n’est pas du tout comparable à d’autres controverses scientifiques de longue durée que nous avons connues jusque-là, comme le changement climatique ou les pesticides.

Les menaces de mort contre des chercheurs, ça n’indique pas une baisse de confiance ?

Ces attaques de chercheurs, via les réseaux sociaux, ne sont pas apparues avec le Covid-19. Dans les années précédentes, il y en a déjà eu, et elles étaient aussi liées à des risques sanitaires, comme la contamination du miel par les néonicotinoïdes, les effets de la cigarette ou le climat.

Ces menaces, mais aussi les conflits entre chercheurs témoignent du rôle des émotions dans cette crise, non ?

C’est vrai que les scientifiques ne sont pas à l’abri des émotions. On ne peut pas passer quinze heures par jour à travailler sur un objet ésotérique sans passion. Mais jusque-là, cette dimension passionnelle était surtout visible dans des échanges à fleurets mouchetés dans des colloques et des publications. 

Et ça a changé avec le Covid-19 ?

Avec la pandémie, ces chercheurs qui évoluent dans un monde violemment concurrentiel ont été « déconfinés » et exposés dans la sphère publique. On a découvert leurs passions ou leurs postures idéologiques, comme cette conviction, parfois forcenée, de détenir la vérité sur des sujets sensibles, qui sont pourtant à la fois politique et scientifique.

Pourquoi n’arrivons-nous pas à débattre sereinement de ces crises scientifiques ?

Je ne suis pas sûr que ce soit possible en situation de crise. Mais, même quand l’actualité est plus calme, nous manquons d’espaces pour discuter des très nombreux objets politico-scientifiques qui nous impactent. C’est un domaine où il est possible de progresser. Avec un groupe d’experts de l’Académie suisse des sciences, nous avons publié récemment un rapport sur la communication à l’ère numérique. Il contient une vingtaine de propositions pour améliorer les échanges entre les scientifiques et le public, mais aussi sur la manière de protéger les chercheurs quand ils sont pris dans des tempêtes médiatiques.

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