Dans les années 1960, on craignait que les petites lucarnes ne détruisent les cerveaux des téléspectateurs. Quatre décennies plus tard, une nouvelle génération a appris à vivre avec, et s’en tire plutôt bien. Elle est même capable de la regarder en faisant plusieurs choses à côté. Les explications d’un chercheur de l’UNIL.
Quarante ans après l’arrivée de la couleur, une nouvelle génération d’enfants de la télé a grandi avec la boîte à images. Pour ceux qui, en plus, sont nés après la généralisation du PC familial, la petite lucarne est devenue, aux côtés de l’ordinateur et du téléphone portable, une source d’information et de distraction comme une autre.
A-t-elle confisqué toute l’attention des enfants et les tient-elle assis, immobiles, comme le craignaient certains dans les années 1960? Au contraire. Désormais, le «vieux» poste est parfois utilisé par les adolescents comme une sorte de bruit de fond qui les aide à se concentrer, au même titre que la musique.
Ils font plusieurs choses en même temps
«L’aptitude à faire plusieurs choses en même temps peut se travailler et se développer, on peut donc supposer qu’effectivement les adolescents d’aujourd’hui gèrent mieux que nous ne le faisions le cumul d’activités, comme écouter de la musique en suivant un match de foot à la télé, tout en apprenant leurs devoirs et en chattant sur MSN, explique Fred Mast, professeur de psychologie cognitive à l’UNIL (qu’il quitte cette année pour Berne). Mais attention: les ressources cérébrales ne sont pas illimitées. Si vous les allouez à plusieurs activités, chacune sera moins pourvue que si elle avait été seule en lice. On perd donc inévitablement en qualité du travail fourni.»
Les enfants sont moins habiles que leurs aînés
Pour l’heure, le spécialiste a surtout constaté une attention visuelle supérieure chez ces jeunes, qu’ils peuvent transposer dans la vie quotidienne. Mais ces «améliorations» cognitives ont leur revers: les enfants sont moins habiles et ont de moins bonnes compétences en psychomotricité que leurs aînés au même âge – occupés à manier le virtuel dès leur plus jeune âge, ils bougent moins dans le monde physique.
«Cela dit, je pense que l’industrie va s’emparer de ce problème et le résoudre – elle est déjà à l’oeuvre avec les consoles Wii et Wii Fit, où le joueur doit bouger physiquement (et pas seulement avec ses doigts) pour faire avancer le jeu. Cette tendance à faire interagir le monde virtuel et le physique est un grand trend pour l’avenir», observe le chercheur de l’UNIL.
Le portable et l’écran géant vont changer la donne
L’avenir de la télé et la relation que nos enfants entretiendront avec elle, Fred Mast les voit liés à deux innovations technologiques: le téléphone portable et l’écran géant. Le premier permet désormais de recevoir la télé: on peut donc faire sortir ces images du salon et la prendre partout avec soi, ce qui va dans le sens de l’individualisation des usages que l’on constate dans différents domaines aujourd’hui. D’activité naguère familiale, la télévision devient ainsi complètement privée.
Autre mouvement, complètement opposé: la création d’une collectivité, d’une communauté autour d’un écran géant. C’est ce que l’on a pu observer à l’occasion de l’Eurofoot, dans les Arenas en Suisse, comme dans bien d’autres espaces publics, ailleurs en Europe.
Ici, plutôt que de regarder le match chacun dans son fauteuil, les amateurs se sont retrouvés pour suivre ensemble la partie. «Regarder la télé devient ainsi une expérience sociale d’immersion dans un événement.» Un retour aux origines en quelque sorte, à cette époque où les télé-clubs des années 1960 proposaient à leurs membres de venir regarder la télé le soir à la salle communale, ensemble.
Sonia Arnal