Aux Etats-Unis, Les Experts peuvent utiliser des banques de données électroniques pour faire avancer leurs enquêtes. Mais ces technologies sont interdites aux policiers suisses. Dommage, estime Joëlle Vuille.
Dans Les Experts, on voit sans cesse les enquêteurs utiliser des banques de données incroyables, qui permettent de croiser en un clin d’œil, par exemple, la liste de toutes les personnes qui ont un 4×4 BMW noir, qui ont déjà été condamnées pour des crimes sexuels et qui habitent dans un rayon de 50 kilomètres. Pourtant, vous expliquez, dans votre livre «L’ADN: reine des preuves ou roi des canulars?» qu’en Suisse, c’est interdit…
Effectivement. Comme nous sommes des champions de la protection des données, il est très difficile de constituer des bases de données. Et encore plus difficile d’offrir aux enquêteurs la possibilité de croiser les informations contenues dans deux bases de données. En cela, les séries des Experts donnent une image totalement fausse de la réalité. En Suisse, la police scientifique ne travaille pas avec ces technologies. Ici, nous n’avons que deux grandes banques de données biométriques. Celle qui permet de comparer les empreintes digitales, et celle qui rassemble les analyses ADN. Mais on n’y trouve pas les gènes de tout le monde. Il n’y a que l’ADN des personnes condamnées pour certains crimes ou délits. Et encore, il ne s’agit pas de tous les délits et de tous les crimes.
Ce sont les seules bases de données de la police suisse?
Non, les enquêteurs disposent encore de certaines bases de données comme les plaques d’immatriculation de voitures, les modèles de véhicules, les objets disparus et les armes. Enfin, il y a aussi – c’est le charme de la Suisse – de petites bases de données locales. Certaines polices prélèvent par exemple les traces des semelles de chaussures des cambrioleurs qu’ils arrêtent. Mais cela reste au niveau local. Si le voleur est à nouveau arrêté dans un autre canton, il n’est pas dit que les autorités auront connaissance de cette information.
Mais en Amérique du Nord, Les Experts peuvent utiliser ces moyens informatiques dans leurs enquêtes?
Aux Etats-Unis, j’ai l’impression que vous pouvez faire n’importe quoi au niveau local. Par exemple, dans le comté d’Orange, en Californie, la police arrête des délinquants mineurs, puis leur propose de ne pas les poursuivre s’ils donnent leur ADN. Or, cet ADN n’ira pas alimenter la base de données fédérale, seulement la base locale, car ses conditions de prélèvements sont trop mauvaises.
Pourtant, ce serait logique de pouvoir bénéficier de ces aides électroniques, au minimum pour les enquêtes importantes. Or, on découvre en vous lisant que la police est davantage empêchée qu’encouragée à le faire.
Oui. Mais c’est une question de pesée des intérêts entre la lutte contre le crime, le respect de la vie privée des citoyens, et les moyens que la société veut investir dans la lutte contre la délinquance.
Dans votre livre, vous parlez aussi des carrières criminelles, pour rappeler que les personnes arrêtées pour un crime grave ont souvent commis des petits délits auparavant…
Le crime, c’est un métier qui s’apprend comme n’importe quelle profession. Avant de rouler avec une moto surpuissante, on commence sur un vélo quand on est enfant. C’est exactement la même chose avec les criminels. On ne viole pas et on ne tue pas trois prostituées dans la même soirée alors que l’on n’a jamais agressé personne auparavant, car il nous manque le savoir-faire. Le plus souvent, on observe une progression dans ces parcours criminels, y compris chez les délinquants en col blanc. Ce sont souvent des gens qui ont commis d’autres délits auparavant. Si on ciblait ces personnes au début de leur carrière criminelle et qu’on prélevait leur ADN plus tôt, les gains seraient multiples: moins de délits, moins de victimes, des peines moins longues pour les délinquants, et donc des coûts sociaux et humains moins lourds.
Ce serait aussi utile pour innocenter les suspects…
Oui, si l’ADN d’une plus large partie de la population était fiché, cela permettrait d’exclure de l’enquête des personnes de manière moins intrusive que par les moyens traditionnels que sont l’interrogatoire ou la perquisition: bien des gens préféreraient que leur ADN soit vérifié à distance plutôt que de voir apparaître un policier sur leur palier, qui vient leur demander s’ils ont un amant ou s’ils fréquentent des clubs échangistes.
Tout cela plaide pour des banques de données plus complètes, avec l’autorisation accordée aux enquêteurs de croiser les informations des différentes banques de données?
Oui. A condition de se souvenir que cette technologie n’exclut pas tout risque d’erreur. Propos recueillis par JR
L’ADN: reine des preuves ou roi des canulars? Par Joëlle Vuille. Ed. de l’Hèbe, coll. La question (2011).
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