appels à contribution

a contrario 34 – Résister en démocratie

Le concept de démocratie charrie un idéal selon lequel chaque personne devrait pouvoir faire «entendre sa voix» et critiquer les institutions, notamment dans le but de réguler les disputes et les conflits sociaux de façon non violente. Un système politique dit démocratique se doit ainsi de ménager, voire de favoriser des espaces dans lesquels peuvent fleurir les critiques, y compris celles qui lui sont directement adressées. De fait, le travail critique est soumis à de nombreuses contraintes pragmatiques et à des formes de violences symboliques inhérentes aux institutions qui en définissent les conditions de légitimité et délimitent les lieux autorisés de son expression. En circonscrivant des espaces et des arènes propices à leur remise en cause, les institutions démocratiques encouragent et rendent possible l’expression de voix différentes, tout en se donnant les moyens de les disqualifier. En d’autres termes, l’idéal démocratique selon lequel «chaque voix compte» se heurte à des problèmes de reconnaissance et d’efficacité symbolique.

Ce numéro de la revue a contrario, intitulé Résister en démocratie, entend participer à penser la tension entre la formation ou l’expression de voix de «résistances» et le traitement institué de ces voix différentes. Notre ligne de questionnement s’est donné dans un contexte dans lequel les lieux de contestations ne cessent de se multiplier (ou du moins de gagner en visibilité): grève du climat, grèves féministes, manifestations antiracistes ou anti-homo/transphobie, mouvement et actions de défense des droits des animaux, mouvements contre l’implantation de réseaux sans-fil, demande de zone blanche ou encore définition de zones à défendre (ZAD), auxquels il faut ajouter les récents mouvements anti-vaccination et anti-masques apparus avec la pandémie de COVID-19. Si la multiplication des lieux et des objets de contestations invite à se questionner sur la formation, la fonction, le traitement et la place réservée à ces formes de résistance dans le système démocratique contemporain, elle invite également à s’interroger sur la différence qui peut être faite entre «contester» et «résister», entre «réformer» et «subvertir», entre «conformer» et «transformer» ou encore entre «politiser» et «s’éduquer».

C’est donc bien l’articulation entre résistance et démocratie que ce numéro thématique d’a contrario souhaite investiguer. Penser une telle articulation invite à se poser des questions aussi variées et ouvertes que : quels sont les enjeux et les effets de la politisation d’une cause, aussi bien sur les institutions que sur les mouvements sociaux et leurs idéaux; comment sont traitées et que deviennent les voix divergentes dans les institutions aussi bien qu’au sein même des mouvements sociaux; dans quelle mesure les définitions et les formes de résistances ainsi que les façons de penser la démocratie sont-elles prédéterminées par les règles du jeu politique et ses contraintes pragmatiques, la socialisation et les points de vue toujours situés; faut-il plutôt penser la résistance à partir de l’idée de contestation ou d’éducation et quels en sont les enjeux?

La pluralité des questionnements évoqués ici fait écho à la diversité des champs disciplinaires concernés : sociologie, anthropologie, sciences politiques, psychologie sociale, éthique, philosophie politique et sociale, histoire, droit, pédagogie, etc. Plutôt que de chercher à fédérer les points de vue et à circonscrire les objets d’étude, ce volume vise à accueillir des voix différentes – sinon divergentes. En substituant au souci d’exhaustivité et à l’ambition totalisante une méthodologie du fragment, assumant aussi bien son incomplétude que son caractère situé, ce numéro thématique souhaite contribuer à rendre compte de problématiques centrales pour penser les difficultés actuelles de la démocratie et du vivre-ensemble.


Axes thématiques pouvant être explorés par les contributeur·trice·s

Chaque contributeur·trice est libre de proposer, s’il ou elle le souhaite, son propre axe de réflexion. Nous indiquons néanmoins ci-dessous, sous forme de questions, un certain nombre d’axes de travail potentiels. Ces axes ont été formulés et organisés de façon à s’imbriquer, et ce dans le souci d’en révéler la porosité et de favoriser autant que possible les passages entre différentes disciplines et problématiques. Les questions théoriques formulées ci-dessous aspirent à résonner aussi bien avec des matériaux empiriques issus de travaux de recherche qu’avec des expériences personnelles invitant à des réappropriations plus libres. Les axes problématiques sont les suivants :

  • Généalogie(s): quand, comment, dans quel contexte et face à quelles réalités se forment certains concepts affiliés à des formes de résistance? Quelles sont les réalités qui font que ces concepts sont utilisés aujourd’hui et qu’est-ce qui en conditionne les usages? Comment se forment et se transforment les réseaux de concepts en rapport avec les mouvements de résistance? Comment les formes de résistance et l’image même que nous en avons se sont-elles transformées au fil du temps, des mouvements sociaux et des réformes institutionnelles?
  • Géographie et spatialité: quels sont les lieux de la contestation? Faut-il distinguer les espaces autorisés des espaces revendiqués, les espaces alloués des espaces occupés? Dans quelle mesure la définition de tels espaces contribue-t-elle à façonner et configurer les formes de résistance qui s’y expriment? Pourquoi certains espaces sont-ils reconnus (ceux qui bénéficient d’une publicisation et d’une couverture médiatique) alors que d’autres sont méconnus (ceux qui sont laissés dans l’ombre des débats publics)? Sur un autre plan, la structuration de l’espace public peut-elle être vue comme le reflet d’une certaine organisation politique et sociale? Quelles contraintes fait-elle peser sur les corps, les identités et les pratiques? Et quelles stratégies peuvent être mises en place pour y «résister»?
  • Individuel et collectif: si l’acte de résister implique de se coordonner avec d’autres (dans le cadre de la constitution d’une cause et de la formation d’une lutte par exemple), n’entraîne-t-il pas également des formes de conformisme ou, du moins, de compromis (momentané ou non)? Lorsque résister est une aventure collective, que deviennent les voix divergentes au sein même des mouvements sociaux? Comment négocier en collectif la pluralité des expériences pour formuler la lutte collective? Et comment les collectifs règlent-ils les tensions qui les traversent? Est-ce que résister implique également, au moins par moment, de rompre avec la communauté et de suivre un chemin individuel?
  • Réformation et transformation: la tension entre l’individuel et le collectif n’implique-t-elle pas non seulement de penser la dimension conformiste des pratiques de résistance, mais également leurs teneurs normatives? Comment les collectifs négocient-ils avec leurs idéaux lorsque ceux-ci sont mis à l’épreuve par les institutions ou par les réalités quotidiennes? Les pratiques de résistance sont-elles vouées à être réformatrices plutôt que transformatrices?
  • Stratégique politique publique et voie de l’ordinaire: la résistance n’est-elle visible et effective que sous la forme de mouvements sociaux collectivement et politiquement organisés? Les formes de résistance sont-elles prédéterminées, en partie au moins, par la politique et les formes d’actions autorisées, légitimées et instituées? Dans quelle mesure les pratiques ordinaires peuvent-elles aussi être considérées comme des formes de résistance, comme des façons d’«être politiques» sans «faire de la politique»?
  • Contestation et éducation: les formes de résistance issues de nos pratiques ordinaires s’opposent-elles à des formes plus militantes et organisées de résistance? Faut-il distinguer des stratégies politiques de résistance d’un côté et des résistances ordinaires de l’autre? Faut-il, par exemple, classer les premières du côté de la contestation et les secondes du côté de l’éducation? Les premières du côté de la réforme des normes et des procédures dites démocratiques, et les secondes du côté de la formation mutuelle d’un regard sur la réalité? Faudrait-il, à l’inverse, penser le rapport entre contestation et éducation comme une dialectique démocratique heuristique?
  • Philosophie politique et intranquillité: qu’implique le fait de considérer la résistance comme pratique ordinaire, comme accomplissement situé et comme travail quotidien? Comment penser l’articulation entre des «sujets gouvernés» et des «sujets concernés» – pour ne pas dire préoccupés? Ne pourrions-nous voir dans les vertiges de l’intranquillité des sujets concernés une alternative souhaitable au règne de la gouvernementalité?
  • Joie et violence: dans quelle mesure les pratiques de résistance participent-elles à rendre les personnes puissantes en leur donnant de l’élan, de la force de vie et de la joie? Dans quelle mesure participent-elles, au contraire, à nourrir l’impuissance, le repli voire le désir d’anéantissement de l’autre? En d’autres termes, dans quelle mesure les pratiques dites de résistances participent-elles à cultiver des modes d’existence, à faire fleurir des mondes et à nourrir la vitalité humaine ou, au contraire, à produire de la violence et à réduire les conditions de possibilité de la vie humaine et de la vie en commun? Comment penser l’articulation entre ces deux dynamiques susceptibles de se nourrirent mutuellement?

Format des articles

Les formats attendus sont relativement ouverts. a contrario publie en effet aussi bien des articles scientifiques que des essais philosophiques, des entretiens, des nouvelles, des poèmes ou des témoignages. En outre, les contributeur·trice·s ont la possibilité d’intégrer des images, voire des vidéos ou de l’audio (via QR codes) à leur contribution.

La longueur des contributions peut librement varier d’un·e contributeur·trice à l’autre. Un texte poétique peut tenir sur une page alors qu’une analyse ethnographique comprenant la description et l’analyse de situation peut nécessiter plusieurs dizaines de pages. Une limite maximale est toutefois posée à 60’000 signes.


Modalité de soumission des contributions et de participation

Les contributeur·trice·s sont invité·e·s à envoyer leur proposition de contribution (maximum 1 page/4000 signes) à l’intention des responsables du numéro (sacha.auderset at unil.ch; julie.lang at unil.ch; michael.cordey at unil.ch) avant le 15 février 2022, en précisant leur nom et leur éventuelle affiliation universitaire. Les personnes dont les propositions sont retenues seront invité·e·s à participer à une séance de discussion autour des textes, à la mi-avril 2022. Le but est de favoriser les échanges entre les auteur·trice·s et de réfléchir collectivement à l’articulation et l’intégration des diverses contributions dans un projet commun. Une première version des articles est ensuite attendue pour 1er septembre 2022.

La revue ne publie que des textes inédits. Les contributeur·trice·s sont tenu·e·s d’aviser la rédaction de tout projet de publication concurrent.


Politique de publication

La revue a contrario est éditée par BSN Press et publiée sur le portail Cairn.info. Les textes publiés sont sous embargo (accès payant) pendant la première année, puis accessibles librement et gratuitement.

Pour toute question plus précise à ce sujet, merci d’écrire à acontrario at unil.ch.


Personnes de contact

Ce numéro est proposé et dirigé par les membres du comité de la revue suivant:


Mots-clés: résistance, démocratie, contestation, éducation, politique, ordinaire