Anne-Christel Zeiter-Grau

Maître-assistante (Lettres / EFLE)
Lauréate de la décharge Tremplin (2018)

« J’adopterai un mode d’expérience internationale éclair, en menant à bien un projet de recherche avec Isabelle Violette, professeure à l’Université de Moncton (Canada), au sujet des liens entre langue du lieu, études et migration dans des contextes sociolinguistiques différents. »

 

En quelques mots, en quoi consistent vos recherches à l’UNIL?

Comment vivre dans un nouveau contexte sans en maîtriser la langue ? Comment y étudier ? Comment y travailler ? Comment l’apprendre, cette langue, et comment gérer – socialement, affectivement, concrètement – la migration dans ce qu’elle peut entraîner d’humiliations quotidiennes, de disqualification sociale et de déqualification professionnelle liées à la migration et à l’altérité ?

Active au sein de l’École de français langue étrangère, je m’intéresse évidemment à l’acquisition des langues étrangères, et plus particulièrement du français. Dans une perspective sociolinguistique critique, mes recherches ne portent pas directement sur le degré de maitrise linguistique des apprenant·e·s : ce qui m’interpelle concerne plutôt les conséquences de ce degré de maîtrise linguistique sur les expériences sociales – privées et professionnelles – des personnes, ainsi que l’influence de ces expériences sur la constitution de leur répertoire langagier. Au niveau de l’individu et de son appropriation langagière, cette influence réciproque de la langue sur l’expérience sociale et de l’expérience sociale sur la langue est abordée sous le double regard de la subjectivation et de la subjectivité : il s’agit de comprendre comment le sens que la personne donne à ce qu’elle perçoit comme des assujettissements s’articule aux jeux de pouvoir effectifs dans lesquels elle est à la fois prise et partie prenante. En termes de politiques sociales et linguistiques, il est question de défaire les liens trop souvent établis entre appropriation langagière et « intégration » des étranger·ère·s qui permettent la reproduction d’un certain ordre social hiérarchisé.

Les participant·e·s à mes recherches expérimentent ainsi différentes formes de migration et d’appropriation langagière, qui parfois se croisent et souvent s’additionnent : les couples fonctionnant en plusieurs langues et dont l’un·e des partenaires apprend en la vivant la langue de l’autre, les étudiant·e·s amené·e·s à développer leurs compétences académiques en français et en Suisse romande ou encore les requérant·e·s d’asile devant s’approprier la langue d’un pays qui les rejettera peut-être s’avèrent au fond le plus souvent être les mêmes personnes, des couples d’étudiant·e·s, des étudiant·e·s réfugié·e·s, et dans tous les cas des personnes en situation de vivre dans une nouvelle langue plus ou moins choisie, plus ou moins maîtrisée, et qui ne leur accorde a priori aucune légitimité sociale.

Que comptez-vous réaliser durant la période de décharge « Tremplin »?

La décharge Tremplin peut être octroyée à des femmes dont la carrière académique a été freinée par des tâches familiales, et c’est sur ces aspects-là que je travaillerai prioritairement. Le principal argument avancé, ces deux dernières années, pour justifier que certains postes ou bourses post-docs m’échappent était mon manque de mobilité, et je compte faire en sorte que cet argument ne puisse plus être avancé me concernant. La question de la mobilité me semble en effet souvent confondue avec celle de l’expérience internationale effective et de la capacité à obtenir des financements : je travaille sans cesse avec des collègues au Canada, en Belgique ou en France, mais je ne peux pas faire paraître sur mon CV de séjour dans une université étrangère, ce qui m’empêche d’accéder à certains financements, et donc… de renforcer ma mobilité.

J’adopterai donc un mode d’expérience internationale éclair, en menant à bien un projet de recherche avec Isabelle Violette, professeure à l’Université de Moncton (Canada), au sujet des liens entre langue du lieu, études et migration dans des contextes sociolinguistiques différents. Cette recherche, pour laquelle j’ai obtenu un Scientific Exchange et un Scientific Event du FNS, débutera à Lausanne en mai 2019, à l’occasion de la venue d’Isabelle Violette pour une journée d’étude intitulée Projets socioprofessionnels d’étudiant-e-s universitaires en situation de migration: perspectives comparatives. Elle se poursuivra pendant la décharge Tremplin à l’occasion d’un séjour d’un mois à l’Université de Moncton, où nous complèterons notre terrain et débuterons nos analyses, en marge d’activités ponctuelles d’enseignement et de conférences. Outre ce séjour, je terminerai la rédaction de ma deuxième monographie, qui porte sur le rôle de la langue en contexte d’asile. Enfin, j’en profiterai pour me rendre ponctuellement à l’Institut de Plurilinguisme de l’Université de Fribourg (encore de la mobilité !) pour parfaire ma formation en sociolinguistique critique.