Vol au-dessus d’un nid de skieurs

Le lagopède alpin. Tels le lièvre variable et l’hermine, ce tétraonidé prend la couleur de la neige. On l’appelle Perdrix des neiges, un «abus de nom dû à la forme semblable des deux oiseaux», selon le biologiste Sébastien Sachot. Ses pattes emplumées le protègent lors de ses sorties au sol. Ses spécialités: creuser des igloos et émettre des rots plutôt que de chanter. 50% de la population d’Europe centrale niche en Suisse. On peut le voir dans les Alpes, plutôt entre 1900 et 2600 m. © Eric Dragesco
Le lagopède alpin. Tels le lièvre variable et l’hermine, ce tétraonidé prend la couleur de la neige. On l’appelle Perdrix des neiges, un «abus de nom dû à la forme semblable des deux oiseaux», selon le biologiste Sébastien Sachot. Ses pattes emplumées le protègent lors de ses sorties au sol. Ses spécialités: creuser des igloos et émettre des rots plutôt que de chanter. 50% de la population d’Europe centrale niche en Suisse. On peut le voir dans les Alpes, plutôt entre 1900 et 2600 m. © Eric Dragesco

Oyez, oyez, raquetteurs et descendeurs intrépides! Sachez que l’on vous observe du haut des cimes et derrière les rochers. Des oiseaux aux forces insoupçonnées bravent le froid, la faim et les hordes de touristes chaque année. Arrêt sur plumage avant le démarrage.

C’est l’heure du schuss, des balades en raquettes et de randonnées revigorantes. Avec toute une faune à admirer. Pourtant, on oublie la plupart du temps les animaux les plus présents: les oiseaux. Parce qu’ils se cachent, planent au-dessus de nos têtes emmitouflées, ou parce qu’ils préfèrent observer de haut les envahisseurs humains. Pourtant, dans une télécabine ou chaussé de peaux de phoque, le néophyte peut apprendre à les reconnaître. «Un bon guide et des jumelles suffisent, souligne Sébastien Sachot, conservateur de la faune du canton de Vaud et docteur en biologie, diplômé de l’UNIL. Je conseille les Editions Delachaux et Niestlé, notamment Le guide ornitho. Et pour les lunettes d’approche, une paire avec un grossissement de dix fois (10×42) que l’on trouve chez les grandes marques.» Philippe Christe, maître d’enseignement et de recherche au Département d’écologie et évolution (DEE) de l’UNIL, ajoute que l’on arrive parfois à les attirer en chuintant. «Ça les excite, mais on ne sait pas pourquoi.» A vos marques, prêts, chuintez!

Comment font-ils pour supporter les grands froids?
Petits, 50 grammes pour une Niverolle alpine, ou gros, jusqu’à 1 kilo et demi pour un Tétras lyre, les plus vigoureux s’installent même dans les endroits les plus frisquets. «On croit souvent que les oiseaux migrent parce qu’ils ont froid, mais ce n’est pas vrai, explique Sébastien Sachot. Ils partent, car ils n’ont plus la nourriture qu’ils convoitent. Ceux qui restent mangent des graines ou s’adaptent comme ils le peuvent.»

La faune ailée qui résiste à la neige possède cependant un plumage particulier qui l’empêche de souffrir des basses températures. «Les oiseaux sont bien isolés thermiquement grâce à ce duvet très serré et dense qui piège de l’air sous les plumes, signale Philippe Christe. Cela leur permet de supporter des froids intenses. Et durant la nuit, au moment où les températures sont les plus glaciales, ils trouvent des abris pour dormir.»

Certains construisent des igloos
Tandis que certains – mésanges ou pics – se protègent du vent dans des endroits fermés, des trous ou des cavités, d’autres s’abritent dans des… igloos. Comme le Tétras lyre. «Il se laisse recouvrir de neige comme les chiens polaires, rigole le biologiste Philippe Christe. Actif en journée et au crépuscule, il construit ensuite sa galerie personnelle dans la poudreuse. Il creuse cinq à dix centimètres sous la neige.» Sébastien Sachot ajoute que cet oiseau qui vit entre 1500 et 2000 mètres s’économise en hiver et ralentit son rythme cardiaque, une technique que l’on retrouve chez tous les tétraonidés. «Ils n’aiment pas être dérangés, car cela leur fait dépenser le peu d’énergie qu’ils ont accumulée. Tout comme le Grand tétras (qui vit entre 1200 et 1800 m dans les Alpes et Préalpes, et entre 1200 et 1400 m dans le Jura), il est remarquable en journée grâce à son cri guttural qui se termine par un bruit de bouchon, qu’on entend quand un intrus l’inquiète.»

A Saint-Luc par exemple, des panneaux explicatifs indiquent qu’il faut penser aux Tétras lyre, surtout dans les zones protégées, indique Philippe Christe. «Les personnes qui pratiquent les raquettes aiment voir la faune. Pour cela, ils doivent apprendre à la respecter. Le hors-piste est un enfer pour les Tétras lyre. Des skieurs convoitent des étendues de neige intactes pour laisser une belle trace. Tout le domaine des oiseaux est ainsi dévasté et ils s’épuisent d’être sans cesse dérangés.»

Sébastien Sachot. Conservateur de la faune du Canton de Vaud. Nicole Chuard © UNIL
Sébastien Sachot. Conservateur de la faune du Canton de Vaud. Nicole Chuard © UNIL

D’autres ont des bottes naturelles
Le Lagopède alpin, lui, ne craint pas les humains. «Son mimétisme avec la neige le rend confiant et il se laisse ainsi observer facilement. Il ferme légèrement les yeux et imagine qu’on ne le voit pas, quand il se cale contre une grosse pierre pour dormir et se mettre à l’abri des intempéries. Il semblerait qu’il puisse faire son nid jusqu’à 3000 mètres, mais ceci est peu documenté, car les ornithologues montent rarement aussi haut.»

Seule espèce à porter des bottes naturelles en Europe, «des plumes sur la base du pied jusque sur les doigts», précise Sébastien Sachot, le Lagopède marche dans la neige sur de longues lignes droites. On peut donc repérer ses traces de pattes de la taille d’une pièce de 1 franc. Mais d’après le conservateur de la faune vaudoise, les plus «impressionnants» demeurent ceux qui s’installent en milieu rocailleux toute l’année, par exemple au bout du glacier d’Aletsch (VS), «dans un décor lunaire». Les Lagopèdes alpins fabriquent des igloos en se jetant dans la poudreuse ou en creusant. Enveloppés dans un plumage blanc d’hiver, les Lagopèdes peuvent tenir plusieurs jours dans leur maison de flocons, à dix centimètres au-dessous de la surface si la neige est légère, à quarante si elle est compacte, quand les températures extérieures avoisinent -40°.

«Dans leur petite chambre, où ils séjournent seuls, il doit faire -5°, note Sébastien Sachot. On en voit juste l’entrée. Il ne fait pas de gîte pour la journée.» Diurne, l’animal vit en troupe afin de se prémunir des prédateurs (renard, aigle, hibou grand-duc). Mais son pire ennemi reste le skieur hors-piste, qui peut l’effrayer en le frôlant, ce qui va l’épuiser, voire l’écraser. Coqs et cocottes savent adapter leur alimentation au frimas hivernal. Le Tétras lyre préfère les bourgeons de mélèze, de saules, mais a besoin d’une grande variété de plantes pour survivre. Alors que le Grand tétras devient arboricole et recherche les aiguilles de sapin blanc et de pin sylvestre, le Lagopède alpin craque pour les baies et herbes séchées. Mais a aussi ses astuces. «Entre janvier et mars, il est possible d’en voir entre les pattes des chamois et des bouquetins. Les bovidés grattent la neige pour accéder à la nourriture et les oiseaux profitent de ce déblaiement pour manger ce qui reste.»

Philippe Christe. Maître d’enseignement et de recherche au Département d’écologie et évolution. Nicole Chuard © UNIL
Philippe Christe. Maître d’enseignement et de recherche au Département d’écologie et évolution. Nicole Chuard © UNIL

Certains font des réserves pour l’hiver
Qui pourrait imaginer qu’une Mésange noire s’épanouisse de la plaine à 2000 mètres? Eh bien, si. Elle chante du haut des sapins, «inféodée aux résineux», spécifie Philippe Christe, fait des cascades au bout des branches pour attraper des graines de pive et s’agite toute la journée à la recherche de nourriture. «En hiver, elle fait des rondes en groupe avec des roitelets. Quand on skie, on peut l’apercevoir à 1000 ou 2000 m d’altitude.» La Mésange noire a un point commun avec le Casse-noix moucheté, emblème du Parc national suisse. Tous deux ont l’intelligence de faire des réserves pour l’hiver. «Le Casse-noix vit dans des zones où il y a des arolles (pins de montagne à la limite supérieure de la forêt), raconte le chercheur de l’UNIL. Il fait ses commissions en automne dans son jabot (les graines), qu’il dissémine ensuite dans la nature dans des cachettes. Quand il neige, le corvidé retrouve ces endroits secrets dans 70 à 80% des cas.» Ce qui permet la pousse des arbres là où il n’a pas réussi à remettre la patte sur son butin.

Le faussement appelé «Choucas des skieurs», à savoir le Chocard à bec jaune s’adonne volontiers aux acrobaties aériennes avec son corps noir, ses pattes rouges et comme son nom l’indique, son bec jaune. Il vit en grand groupe bruyant. D’après l’ornithologue Lionel Maumary, un autre biologiste issu de l’UNIL et auteur du livre de référence Les oiseaux de Suisse (Station ornithologique suisse, 2007, 848 pages, 2300 photos, 500 cartes), il yodle en vol, entre 1800 et 2800 m. «Pour moi, c’est un pigeon des montagnes, plaisante Philippe Christe. Il est anthropophile, donc n’hésite pas à s’approcher des touristes qui pique-niquent.»

Telle la Niverolle alpine, l’Accenteur alpin, picoreur de miettes laissées par les skieurs, affectionne la limite des neiges éternelles. Ce petit mignon dodu roussâtre, très présent en Suisse (20% de la population d’Europe), a la particularité de pratiquer la polyandrie et la polygamie. Selon Lionel Maumary, mâles et femelles engendrent et élèvent tous ensemble. «Cela reste en famille, déclare Philippe Christe. Ils fonctionnent ainsi pour profiter d’un territoire et acquérir de l’expérience.» Les femelles s’accoupleraient jusqu’à cent fois par jour, mais durant 0,15 secondes seulement. Solides, mais pas extrêmes dans tout non plus.

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