Valeurs et vertus de la chair humaine

Avec «Du goût de l’autre», l’anthropologue Mondher Kilani nous concocte un intrigant voyage au cœur du can­ni­balisme. A dévorer sans modération.

Pas de doute. Le cannibalisme a de beaux jours devant lui. Même et surtout peut-être à l’heure du végétarisme galopant, comme en témoigne le succès critique de ce livre publié en mars dernier au Seuil. Il est vrai que Mondher Kilani, anthropologue et professeur honoraire de l’Université de Lausanne, a su choisir son titre. Dans un premier temps, Du goût de l’autre nous fait immanquablement sourire. Impossible ensuite de résister à l’envie d’en savoir plus et de se plonger… corps et âme dans ces Fragments d’un discours cannibale.

Rappelant qu’il n’existe sans doute pas deux cannibalismes semblables, l’auteur fait sienne la formule de l’anthropologue Marshall Sahlins estimant que le cannibalisme est toujours «symbolique» même quand il est «réel». Dès lors, convoquant sous sa plume aussi bien les témoignages et analyses de ses confrères que les mythes grecs, la psychanalyse, les génocides, les zoos humains, la littérature, les beaux-arts, le don d’organes et les faits divers, il nous tisse un étourdissant voyage sur le thème de la dévoration élargie, de ses analogies symboliques et de ses dérives. Sa conclusion? L’idée du «cannibalisme comme miroir de soi» ou le constat que «le monstre n’est peut-être pas celui auquel on pense, l’étrange étranger, friand de chair humaine, mais celui qui se tapit au cœur de la société contemporaine, celui qui se loge dans les interstices de la vie ordinaire».

Avant cela, le lecteur se sera penché sur l’origine même du mot cannibale. Une altération du mot «Caraïb» qui, d’emblée, nourrit l’imaginaire de Christophe Colomb dans son voyage vers les terres inconnues. Mondher Kilani nous précise dans la foulée que l’anthropophagie – crainte, supposée ou fantasmée – ne concerne pas que les prétendus sauvages, et que les rumeurs sur le cannibalisme européen étaient fréquentes à l’époque coloniale. John Huston, lui-même, avait encore dû lutter contre ces préjugés lors d’un tournage au Congo belge de The African Queen.

Voilà pour le hors-d’œuvre. Passons au plat principal, soit le chapitre tant attendu consacré à «la cuisine cannibale». Mondher Kilani nous y révèle, détail piquant, que le médecin de Colomb était convaincu que le cannibalisme relevait plus du péché de gourmandise que de l’interdit de tuer son prochain. Avait-il raison de penser que, pour les Indiens, la viande humaine était si bonne que rien ne l’égalait? Question goût, les opinions divergent. Certains la comparent au veau, d’autres au porc. Nous vous déconseillons toutefois d’essayer de vous faire une opinion par vous-même.

Du goût de l’autre. Fragments d’un discours cannibale.
Par Mondher Kilani. Seuil (2018), 380 p.

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