Vaccination contre la grippe: la Suisse est prête, sauf si…

Vaccination contre la grippe: la Suisse est prête, sauf si...

Le 10 novembre prochain, c’est la Journée nationale de vaccination contre la grippe. Depuis l’apparition de cas humains de grippe aviaire en Asie, cette pratique suscite de nouvelles interrogations. Y aura-t-il pénurie de vaccins? Ces derniers seront-ils efficaces contre la grippe aviaire? Qui doit se faire vacciner en priorité?
Les réponses de Pascal Meylan.

C’est une maladie traditionnelle de l’hiver. Chaque année, des virus venus d’Asie apportent sous nos latitudes la grippe dite «saisonnière». L’affection n’est pas si bénigne qu’il n’y paraît: elle tue entre 400 et 1000 personnes en Suisse et provoque de 1000 à 5000 hospitalisations, tout particulièrement chez les personnes risquant des complications et à qui il est fortement conseillé de se faire vacciner.

Les virus qui sont à l’origine de ces grippes saisonnières n’ont que peu de points communs avec le fameux H5N1. Réapparu en force en Asie il y a trois ans, celui-ci a surtout provoqué une zoonose qui a décimé de nombreux élevages de volailles et s’est propagée parmi les oiseaux sauvages.

Plus de 200 personnes infectées

Certes, le virus animal a réussi à franchir la barrière des espèces: il a déjà infecté plus de 240 personnes, dont plus de 140 sont décédées, principalement en Indonésie, au Vietnam et en Thaïlande. Mais il s’agissait de gens vivant en contact étroit avec les volatiles, et, si des cas de transmission d’homme à homme ont été suspectés en Indonésie, le virus semble – pour l’instant du moins – très mal adapté à l’être humain.

Pourtant, ces deux formes de grippes sont intimement liées. La crainte d’une arrivée de la grippe aviaire en Europe a provoqué, l’année dernière, une ruée tout à fait inhabituelle sur les vaccins contre la grippe hivernale, provoquant une pénurie. Paradoxalement, les efforts déployés pour mettre au point des vaccins contre la grippe du poulet pourraient améliorer la production des vaccins contre la maladie saisonnière.

Incontestablement, l’émergence du H5N1 a changé la donne et soulève de nouvelles interrogations. Tour d’horizon avec Pascal Meylan, médecin-adjoint en microbiologie et maladies infectieuses et responsable du diagnostic virologique au CHUV.

La Suisse est-elle prête à faire face à la grippe saisonnière?

«Tout est prêt pour l’hiver 2006-2007, répond Pascal Meylan, encore que des délais de production d’un des composants du vaccin pourraient retarder la livraison.» Les fabricants de vaccins pour l’Europe ont en effet annoncé que, cette année, ils auraient de la peine à fournir les doses dans les temps.

La présidente de la Commission fédérale pour les vaccinations (CFV), Claire-Anne Siegrist, est plus prudente. Elle «craint une nouvelle pénurie». Pour l’éviter, la CFV a donc demandé aux responsables sanitaires des cantons d’encourager les médecins à passer leurs commandesle plus tôt possible. En outre, elle a recommandé de réserver la vaccination en priorité aux groupes à risque, jusqu’au lendemain de la Journée nationale de vaccination contre la grippe du 10 novembre.

La pénurie de cet hiver sera-t-elle plus grave que celle de l’an dernier?

Tout dépendra des nouvelles venues d’Asie ou d’ailleurs. La Suisse devrait disposer, cette année, «d’un maximum de 1,387 million de doses», précise Claire-Anne Siegrist. Cela pourrait suffire, si aucune information inquiétante ne nous parvient du front de la grippe aviaire.

Mais il suffirait que la transmission du H5N1, d’homme à homme, se confirme ou qu’aux portes de la Suisse – ou même sur son territoire – des élevages de volailles soient frappés par la zoonose, pour que tout bascule. Il n’en faudrait pas plus pour que l’on assiste à une nouvelle ruée sur les vaccins antigrippe.

En temps normal, «au plus, 20% de la population suisse se fait vacciner, explique le virologue de l’UNIL. Dans les stocks, on a environ 10% de marge mais, au-delà, une ruée trop importante sur le vaccin déborderait les capacités.»

«Si toutes les personnes appartenant aux groupes à risque souhaitaient se faire vacciner, renchérit la présidente de la CFV, on ne pourrait pas répondre à leur demande.»

Qui devrait-on vacciner en priorité?

Il est donc prévu de servir en priorité les personnes susceptibles de faire des complications, c’est-à-dire les gens âgés et les malades souffrant de maladies cardiaques ou respiratoires chroniques, auxquels s’ajoutent les personnels soignants. Telle est la procédure habituelle, face à laquelle Pascal Meylan exprime toutefois une «divergence de vue». Il s’en explique: «Les gens qui ont pris l’habitude de se faire vacciner chaque année font preuve de prévoyance et soutiennent la production de vaccins. Cela ne me paraît pas juste de leur dire: cet hiver, on ne vous vaccinera pas!»

Reste une autre interrogation: faut-il vacciner les jeunes enfants de 6 mois à un an? Les Etats-Unis le recommandent, contrairement à la Suisse. Certes, les vaccins ne sont pas homologués pour les tout-petits. Toutefois, les jeunes enfants sont particulièrement sensibles aux infections et «ils sont de grands propagateurs de virus». En les vaccinant, on protégerait indirectement les autres catégories de la population, notamment les personnes âgées, par «le phénomène d’immunité de troupeau», comme l’appelle Pascal Meylan.

Peut-on produire rapidement des vaccins, en cas de besoin?

Actuellement, c’est difficilement envisageable. Le virus de l’influenza mutant sans cesse, il revient à l’OMS de déterminer, en février de chaque année, les souches utilisables pour la fabrication du vaccin qui sera mis sur le marché européen l’hiver suivant. Ce n’est qu’à partir de ce moment-là que la fabrication peut démarrer.

Celle-ci prend plusieurs mois car elle passe par de nombreuses étapes. Après avoir injecté les souches virales dans un œuf de poule, on laisse l’infection se développer et l’on récolte le liquide de l’œuf qui contient les particules virales. Il faut ensuite désactiver le virus et purifier les protéines qui serviront à induire la production d’anticorps neutralisants et protecteurs chez l’individu vacciné.

Chaque année, il se fabrique dans le monde «900 millions de doses de vaccins, ce qui est énorme, sur le plan industriel». Or, un oeuf ne permet d’obtenir que quelques doses et «tout le problème tient à notre capacité de produire suffisamment d’oeufs». En outre, si par malheur l’OMS se trompait de souche virale, il faudrait repartir à zéro et il serait très difficile – voire impossible – d’être prêt à temps.

Y a-t-il des moyens de se passer des œufs?

Actuellement, non. Toutefois, dans l’avenir, on devrait pouvoir fabriquer des vaccins par génie génétique, à partir de cultures de cellules. La technique a déjà fait ses preuves dans la préparation d’autres produits pharmaceutiques et les principaux obstacles à son développement sont «d’ordre réglementaire», souligne le virologue du CHUV.

Les vaccins produits à partir des œufs sont en effet homologués par les autorités sanitaires, en Suisse comme ailleurs, alors que les vaccins obtenus par d’autres voies ne le sont pas. «C’est un obstacle de papier, mais cette barrière administrative est importante.» Dans ce domaine, paradoxalement, la grippe aviaire pourrait avoir du bon. En cas de menaces de pandémie, les atermoiements ne sont plus de mise et les procédures pourraient être accélérées. «La grippe aviaire va sans doute nous permettre de faire un pas que l’on n’avait pas franchi jusqu’ici pour la grippe saisonnière.»

Les vaccins antigrippe «classiques» protégeraient-ils contre la grippe aviaire?

Sur ce point, Pascal Meylan est formel: «Le vaccin contre la grippe saisonnière ne protège pas du tout contre la grippe aviaire.» Cela dit, il éviterait malgré tout aux personnes vaccinées de développer «une double infection provoquée par des virus des deux formes grippales».

On redoute en effet que le H5N1 se recombine génétiquement au virus de la grippe hivernale, donnant naissance à de nouvelles souches virales hybrides, mieux adaptées à l’homme. «Au niveau individuel, la vaccination antigrippe permet de diminuer la probabilité qu’un tel réassortiment génétique ait lieu.» C’est pour cette raison que la Suisse avait recommandé, l’année dernière, de vacciner les professionnels en contact avec les volatiles; cette mesure sera reconduite cette année.

Où en est le développement de vaccins contre la grippe aviaire?

De nombreuses entreprises se sont lancées dans la fabrication de vaccins contre le virus H5N1 circulant actuellement et une trentaine de candidats-vaccins sont actuellement en cours de développement. Sur ce front, l’entreprise GlaxoSmithKline (GSK) paraît avoir pris une longueur d’avance. En juillet dernier, elle annonçait que le vaccin qu’elle testait depuis plusieurs mois en Belgique avait obtenu des résultats prometteurs: 80% des patients avaient montré une forte réaction immunitaire, après avoir reçu de très faibles doses du produit.

Pour Pascal Meylan, «c’est une très bonne nouvelle. C’est la première fois que j’entends parler d’une telle immunicité avec des doses vaccinales aussi faibles.»
Cela laisse espérer la fabrication d’un plus grand nombre de vaccins à moindre coût. «C’est le moment que l’on s’y mette, constate le médecin lausannois, mais puisque la nouvelle est là, ne boudons pas notre plaisir!»

Reste toutefois des interrogations sur la nature de l’adjuvant – substance inflammatoire qui accroît les défenses immunitaires – utilisé par GSK. S’il s’agit d’un nouveau produit, «il faudra évaluer ses éventuels effets secondaires et cela prendra du temps». En cas de réelle menace de pandémie, les autorités devraient cependant «être prêtes à accélérer les procédures, afin de sauver des millions de vies».

Que fait la Suisse?

Afin de renforcer les lignes de défense du pays contre une éventuelle pandémie de grippe aviaire, le Conseil fédéral a décidé, en juin dernier, d’acheter 8 millions de doses de vaccin contre le H5N1. En cas de risque sérieux d’épidémie humaine, tout le monde pourra ainsi y avoir accès. Une initiative qui suscite «l’admiration» de Pascal Meylan. «Elle donne à la population suisse de meilleures chances d’être protégée face à une pandémie. Par ailleurs, elle stimule l’industrie et la pousse à poursuivre ou à accélérer le développement de vaccins.»

Pour l’instant, les produits en cours d’élaboration sont dits «prépandémiques», car ils sont fabriqués à partir du H5N1 qui circule aujourd’hui. Leur efficacité dépendra donc des mutations qui pourraient apparaître sur le virus «humanisé».

Mais, même si ce dernier se révèle très différent de la souche actuelle, le vaccin prépandémique pourrait être fort utile. «A supposer qu’il protège 20% de la population, cela évitera autant de cas de grippes aviaires, ce qui est déjà fantastique», souligne le virologue. En outre, le jour où l’on disposera du vaccin pandémique réellement adéquat, «on aura préparé le terrain et les personnes déjà vaccinées auront une meilleure réponse à ce vaccin».

Le vaccin est-il la meilleure arme pour lutter contre une pandémie de grippe?

«Oui», répond sans hésiter Pascal Meylan. Il en cite pour preuve une étude «impressionnante» réalisée récemment par des chercheurs de l’Imperial College à Londres. Neil Ferguson et ses collègues ont mis au point des modèles mathématiques sophistiqués grâce auxquels ils ont simulé ce qui se passerait en Thaïlande, mais aussi en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis, en cas d’apparition de grippe aviaire humaine.

Résumés sous forme de vidéos montrant, jour après jour, la propagation de la maladie, les résultats ne laissent planer aucun doute. Si une épidémie naissait dans une région rurale, elle pourrait être jugulée par une politique rapide de quarantaine et de prophylaxie de Tamiflu autour de la zone affectée. Mais seulement pendant un certain temps.

Car après quelques semaines, si le virus se disséminait plus largement ou s’il s’échappait d’un pays voisin, il se répandrait aux quatre coins du pays en une dizaine de jours. On perdrait alors le contrôle de l’infection dans le pays d’origine et, dans ce cas, «quinze jours plus tard, le monde entier serait touché», estime Pascal Meylan.

Rien n’y fera. «Limiter les voyages en avion ne servirait pas à grand-chose, car pour stopper la pandémie, il faudrait pratiquement interdire tous les vols.» Pour limiter les dégâts, il ne nous resterait alors qu’à prendre des mesures de fortune: «Fermer les écoles, porter des masques, se laver les mains, voire éviter les transports publics.»

On n’en est bien sûr pas encore là. Mais ces prévisions ont de quoi faire frémir et elles montrent qu’il y a urgence à disposer d’un vaccin. Car même si ce dernier ne protège que partiellement contre la grippe, les modèles révèlent que la vaccination reste la mesure la plus efficace.

Elisabeth Gordon

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