Peut-on se soigner sur Internet?

Peut-on se soigner sur Internet?

Une douleur gênante, des taches suspectes? Il suffit de quelques clics pour trouver des pistes sur Internet. On peut trouver la cause, mais aussi se faire très peur. Evaluation de cette nouvelle mode, avec deux spécialistes formés à l’UNIL: un expert de la santé sur Internet et un médecin de famille.

«Je n’aime pas aller pour rien chez le toubib, alors, quand j’ai ressenti une douleur à l’aine, j’ai agi en autodidacte: j’ai tapé «mal au ventre» sur Google. En consultant les sites Internet, j’ai d’abord cru à une pubalgie et j’ai suivi les recommandations trouvées en ligne. Comme le mal persistait, j’ai fait une nouvelle recherche et je suis tombé sur l’hernie.

«Les symptômes décrits sur le Web sont assez typiques. Il faut poser la main sur l’aine, tousser, et si vous avez l’impression qu’un doigt vient vous chatouiller la paume de l’intérieur, c’est probablement ça. Comme j’étais sûr de moi, je suis allé directement chez le chirurgien, sans passer chez mon généraliste. Il a confirmé cet autodiagnostic.»

Un patient sur cinq consulterait en ligne

Ils sont légion, ceux qui, comme Bastien*, surfent sur le Web pour tenter de savoir de quoi ils souffrent. Mais combien sont-ils exactement? Difficile de le savoir. Selon la Haute autorité de santé française, un patient sur cinq aurait pris l’habitude de chercher de l’information médicale sur Internet.

Mais il y a tout lieu de penser que ce nombre est plus important encore dans notre pays, car, «historiquement, les Suisses sont plus attirés par Internet que leurs voisins européens, et ils sont plus nombreux à posséder des liaisons à haut débit», constate Thierry Weber, un consultant indépendant en communication médicale.

Il est en tout cas un signe qui ne trompe pas: les sites relatifs à la santé sont si prisés que, dans les pays occidentaux, ils arrivent en deuxième position, en termes de consultations, «après le thème numéro un que tout le monde connaît», dit en riant l’expert lausannois.

Qu’Internet ne vous prive pas d’aller chez le médecin!

Faut-il s’alarmer de cette pratique? Avec Internet, «le patient devient plus autonome, ce qui peut être constructif», répond Thierry Weber, qui sait de quoi il parle, puisque, après une formation et un doctorat à l’UNIL, il a pratiqué dans des hôpitaux suisses avant de créer une agence de communication multimédia spécialisée dans le domaine de la santé.

Aller chercher des informations en ligne, oui, mais à condition toutefois, précise-t-il d’emblée, que «cela vienne en complément de la relation médecinpatient. Si l’on remplace le praticien par un outil informatique, alors, cela pose un sérieux problème.»

Un bon outil de vulgarisation

Bien sûr, dans le domaine de la santé comme dans tous les autres, on trouve le meilleur et le pire sur Internet. Il faut donc veiller à «garder l’esprit critique», souligne Michel Junod, membre de l’Institut universitaire de médecine générale (IUMG), formé de généralistes qui enseignent à la Faculté de médecine de l’UNIL. Et s’en tenir aux sites fiables et sérieux dont le contenu est accessible au public.

Ainsi, le Net peut être un bon outil de «vulgarisation», selon Thierry Weber. «Les médecins ne sont pas tous des vulgarisateurs- nés, et, même s’ils communiquent de mieux en mieux, les nouvelles tarifications ne leur laissent pas toujours le temps de discuter longuement avec leur patient.»

Ce n’est pas Michel Junod qui le contredira. Certes, le généraliste à Prilly dit «prendre le temps d’expliquer» son diagnostic à ceux qui fréquentent son cabinet. Il reconnaît toutefois que, lorsque les patients sont allés chercher euxmêmes des informations, cela lui «mâche un peu le travail. Cela évite d’avoir à décrire tous les traitements possibles face à une maladie donnée. C’est une ouverture au dialogue», même si, constate-til, «cela nous remet parfois en question».

Certains patients sont très (trop) bien informés

Cette remise en cause de leur savoir, tous les médecins ne l’apprécient pas. Il fut un temps, constate Thierry Weber, où le praticien était un «dieu vivant», et certains généralistes ou spécialistes acceptent mal aujourd’hui de devoir descendre de leur piédestal. Ils voient d’un mauvais oeil leurs patients arriver avec une pile de documents puisés sur Internet dans lesquels peuvent se trouver des articles scientifiques pointus. «Nous sommes parfois moins au courant de l’évolution de la recherche médicale que nos malades. C’est déconcertant», admet Michel Junod.

Cela peut même compliquer quelque peu la relation entre le médecin et le patient. «Il m’est arrivé, raconte le généraliste, qu’une personne vienne dans mon cabinet et me dise qu’elle avait appris sur un site Internet que telle vitamine représentait un remède de choix pour sa maladie. J’ai dû longuement lui expliquer que cela pouvait aider, mais que ce n’était en aucun cas un traitement efficace pour le trouble dont elle souffrait.»

Les patients informés suivent mieux leur traitement

De tel cas restent rares et, d’une manière générale, il s’avère – pour plagier l’adage populaire – qu’un patient bien informé en vaut deux. D’après Thierry Weber, «de nombreuses études ont montré qu’un patient proactif a une meilleure compliance (l’assentiment du patient au traitement, n.d.l.r.) au traitement ».

Notamment lorsqu’il souffre d’une maladie chronique et silencieuse, comme le diabète ou l’hypertension.

«Dans la mesure où il connaît mieux les effets néfastes de l’arrêt de son traitement, il sera plus respectueux des indications de son médecin et il veillera à ne pas oublier de prendre ses médicaments.» Le consultant voit là un autre élément à porter en faveur du Net et des sites médicaux de qualité.

Des patients bien informés quittent l’hôpital plus vite

D’ailleurs, selon lui, «tous les partenaires du secteur de la santé» pourraient bénéficier de cet accès facilité aux connaissances. A commencer par les médecins, «dont on met en avant les compétences, ce qui rassure la population». Et les patients aussi, qui peuvent se retrouver sur des forums de discussion et partager leurs problèmes ou leurs connaissances sur le mal dont ils souffrent.

La constitution de tels réseaux peut s’avérer particulièrement précieuse «pour des malades qui ne peuvent pas sortir de chez eux, et qui parviennent ainsi à communiquer avec d’autres», ajoute le généraliste de Prilly.

Quant aux hôpitaux, ils peuvent profiter du Net pour mettre en ligne des informations «très utiles pour leurs malades, notamment lorsque ces derniers font l’objet d’une intervention chirurgicale ». Le consultant en veut pour preuve une expérience personnelle, menée dans une clinique orthopédique à l’étranger.

«En misant sur une meilleure information des patients avant, pendant et après l’hospitalisation, nous avons constaté que les personnes qui avaient eu accès à notre programme multimédia avaient un taux de satisfaction plus élevé, et qu’ils quittaient l’établissement de soin plus rapidement après avoir été opérés.»

Ne pas mélanger information et publicité

Les entreprises pharmaceutiques et les compagnies d’assurances, qui n’ont parfois pas une très bonne presse, pourraient elles aussi s’appuyer sur des sites pour «améliorer leur image», selon Thierry Weber. En participant à des programmes de prévention ou en sponsorisant des sites «au contenu neutre et validé scientifiquement», elles pourraient redorer leur blason tout en apportant «une information non commerciale sur leurs produits qui peut être profitable à la population». A condition toutefois de ne pas mélanger information et publicité.

Car c’est là que le bât blesse. Non seulement le Net offre une surabondance d’informations, dont beaucoup n’ont aucune base scientifique et sont avancées sans preuve, mais, en outre, de nombreux sites mêlent allègrement publicité et communication. Un mélange des genres que Thierry Weber juge «très dangereux».

On le retrouve tout particulièrement dans les sources d’information américaines qui procèdent souvent «de manière très agressive et commerciale». En Europe, la réglementation concernant la communication médicale est fixée «de manière plus stricte», et elle est, de ce fait, moins sujette à ce genre de dérives.

Des effets «potentiellement dangereux»

Il reste que, même si elles n’ont pas de contenu publicitaire, de très nombreuses informations que l’on trouve sur la Toile ne sont pas signées, et l’on est bien en peine de savoir si leurs auteurs ont une quelconque compétence dans le domaine de la santé. Elles proviennent aussi des quatre coins du monde et procèdent d’une «mondialisation» qui, dans ce cas, a des effets pervers et même «potentiellement dangereux».

«Les patients ont accès à des attitudes thérapeutiques qui ne sont pas en cours dans notre pays et aux conseils de spécialistes qui remettent en question, sur des bases qui ne sont pas du tout solides, la manière de faire des médecins locaux, regrette Thierry Weber. Cela jette le trouble dans l’esprit de ceux qui n’ont pas la capacité de juger de la compétence de leur médecin local.» Cela explique aussi, en partie, la réticence de certains docteurs face à l’intrusion du Web dans leur pratique.

Les internautes se dévoilent, sans souci du danger

Les patients n’ont d’ailleurs pas toujours conscience des implications de leurs interventions sur la Toile, notamment lorsqu’ils participent à des forums de discussion. Thierry Weber, que sa profession conduit à surfer régulièrement sur les sites relatifs à la santé, se dit «effaré» de voir à quel point les internautes se dévoilent, sans aucun souci de protection du secret médical.

Ils livrent ainsi des informations sur leur cas qui sont accessibles à tout le monde, en oubliant que certains acteurs du secteur de la santé sont «très intéressés par ces informations, qu’ils peuvent notamment utiliser à des fins commerciales».

Certes, les participants aux «chats» (discussions sur la Toile, n.d.l.r.) utilisent des pseudonymes, mais «on connaît la valeur de ces derniers sur le Web! Il est facile de savoir qui se cache derrière une adresse e-mail.» Le consultant appelle donc les internautes à la prudence.

Les cybercondriaques

Et s’il en est, parmi eux, qui devraient se méfier du Web, ce sont les hypocondriaques. Bien sûr, ces malades – souvent – imaginaires n’ont pas attendu l’arrivée d’Internet pour piocher dans les encyclopédies médicales et se découvrir de multiples maux. Dans ce domaine comme dans d’autres, «Internet ne remplace rien», précise Thierry Weber. Mais la Toile offre à ces «cybercondriaques» comme on les appelle maintenant, une source quasiment illimitée d’informations aisément accessibles. De quoi les désécuriser un peu plus. D’autant que les gens «ont souvent tendance à imaginer le pire, lorsqu’ils consultent les sites», ajoute Michel Junod.

Il est en effet tentant de surfer sur les sites médicaux pour faire de l’autodiagnostic. «Avec les questionnaires standardisés que l’on y trouve, précise Michel Junod, il est très facile de cocher les cases correspondant à ses symptômes et d’en conclure que l’on a telle ou telle maladie. Avec sa hernie, Bastien est tombé juste, mais c’est loin d’être toujours le cas.»

Médicaments en ligne: danger!

De l’autodiagnostic à l’autotraitement, il n’y a qu’un pas que certains sont tentés de franchir en achetant directement des médicaments en ligne. Alors là, «Attention, danger!», affirment d’une seule voix nos deux spécialistes.

«Au mieux, il s’agit de placebos; au pire, de poisons.» Contrefaçons, mélanges douteux pouvant renfermer des substances toxiques, ces médicaments sont fabriqués on ne sait où, et on ne sait par qui – «un autre effet néfaste de la mondialisation », pour le consultant.

Autant dire qu’ils ne subissent aucun contrôle et ne passent pas au travers des procédures d’enregistrement des agences officielles, comme Swissmedic pour la Suisse.

Même si l’on a la chance de tomber sur de «vrais» médicaments que l’on obtient habituellement uniquement sur ordonnance, on n’est pas pour autant à l’abri des mauvaises surprises.

La pharmacologie est une science complexe et, dans ce domaine, «le médecin et le pharmacien ont des connaissances que le patient n’aura jamais, souligne Michel Junod. Même si l’on commande en ligne un anti-inflammatoire, rien ne dit que l’on va le tolérer. Gare donc aux effets secondaires, ou aux conséquences néfastes de certaines interactions médicamenteuses. Acheter des médicaments sur le web permet peut-être de faire des économies, mais cela «peut avoir des conséquences dramatiques», renchérit Thierry Weber.

Prudence et discernement

Sans peindre le diable sur la muraille, le consultant comme le généraliste conseillent finalement de manier Internet avec prudence et discernement. Consulter les sites médicaux pour s’informer peut être utile, à condition de ne «pas prendre à la lettre tout ce qui est écrit et d’en discuter avec son médecin», souligne Michel Junod.

«Les êtres humains doivent profiter de tous les moyens de communication dont ils disposent, mais ils ont avant tout besoin de contacts directs avec leurs semblables », ajoute Thierry Weber.

De même que les réseaux sociaux comme Facebook ne remplacent pas les soirées entre amis, la consultation de sites médicaux ne peut pas se substituer à la visite chez le praticien. Le virtuel a ses limites qu’un patient bien informé devrait se garder de franchir.

Elisabeth Gordon

* prénom d’emprunt

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