On crée 1500 nouveaux neurones tous les jours

Situé au centre de notre cerveau, l’hippocampe abrite une pouponnière à neurones.
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Même dans le cerveau des adultes, de nouveaux neurones se forment continuellement. Au cours de notre vie, nous renouvelons ainsi 80% des cellules d’une zone de l’hippocampe, une structure cruciale pour l’apprentissage et la mémoire. Une équipe de l’UNIL a percé quelques-uns des secrets de ce processus de neurogenèse. Avec à la clé de possibles applications thérapeutiques, notamment pour la maladie d’Alzheimer.

Il y a une vingtaine d’années encore, l’affaire paraissait entendue. Contrairement à de nombreuses autres cellules de notre organisme, celles qui se trouvent dans notre cerveau ne pouvaient pas repousser. Lors du développement de l’embryon, puis dans l’enfance, nos neurones se forment et se connectent les uns aux autres pour donner un réseau très complexe. Toutefois, dès que nous atteignons l’âge adulte, un certain nombre d’entre eux dégénèrent et meurent. Une perte sèche pour nos fonctions motrices et cognitives. Telle était du moins la théorie admise dans le milieu des neuroscientifiques. On sait aujourd’hui qu’il n’en est rien et que, à tout âge, ou presque, les neurones peuvent se renouveler dans certaines zones du cerveau qui sont de véritables pouponnières à neurones.

Des cellules souches dans les cerveaux adultes
Tout a commencé à basculer au milieu des années 60, lorsque des chercheurs américains ont observé que de nouveaux neurones naissaient dans le cerveau de rats adultes. Mais ces résultats ont alors suscité de nombreux doutes parmi les chercheurs, car «ils allaient à l’encontre du dogme établi», selon Nicolas Toni, professeur assistant au Département des neurosciences fondamentales de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL. Au milieu des années 90, des neuroscientifiques ont à nouveau étudié cette thématique. Ils ont alors constaté que «certaines zones du cerveau contiennent des cellules souches capables de générer continuellement un nombre relativement grand de neurones et d’autres cellules cérébrales.» Cette fois, le doute n’était plus permis. D’autant que peu après, ce processus de neurogenèse a aussi été observé dans des cerveaux humains.

Le fantasme d’une fontaine de jouvence
D’une manière générale, on nomme cellules souches des cellules «indifférenciées». Elles n’ont pas encore de spécialité et peuvent donner naissance à différents types de cellules. Au stade embryonnaire, elles sont à la base du développement des organes et tissus du futur enfant. Elles sont présentes aussi chez l’adulte – dans la peau par exemple, dont elles assurent la cicatrisation.

Celles qui se trouvent dans le cerveau peuvent non seulement générer des cellules nerveuses, «mais aussi s’auto-répliquer», se diviser pour donner naissance à deux cellules souches filles qui, à leur tour, généreront d’autres cellules nerveuses – de quoi susciter «le fantasme d’une fontaine de jouvence», constate en riant Nicolas Toni.

On trouve des cellules souches dans deux régions particulières du cerveau. D’abord dans la zone subventriculaire, située au centre du cerveau. Elles peuplent aussi le gyrus denté de l’hippocampe. «C’est une très petite région. Chez l’être humain, l’hippocampe a la taille d’un petit doigt et le gyrus denté en constitue environ un quart», précise Nicolas Toni. Cet espace n’en est pas moins important, car «il constitue la porte d’entrée des informations dans l’hippocampe».

Quant à ce dernier, il joue un rôle clé dans l’apprentissage et la mémoire. «Il est indispensable à l’être humain. Une personne qui en est privée ne peut pas apprendre de nouvelles informations et vit continuellement dans le passé.»

Nicolas Toni
Professeur assistant au Département des neuro­sciences fonda­mentales de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL.
Nicole Chuard © UNIL

Une double révolution, conceptuelle et fonctionnelle
La découverte de l’existence de cellules souches dans l’hippocampe a constitué, selon le neuroscientifique, une «double révolution. Elle implique qu’un cerveau adulte peut encore générer des neurones. En outre, du point de vue du fonctionnement du cerveau, elle est aussi très intrigante.»

Des études récentes ont en effet montré que l’être humain génère environ 1500 nouveaux neurones par jour dans le gyrus denté de l’hippocampe. C’est peu, comparé aux quelque 100 milliards du cerveau. Toutefois, au cours de la vie, cela représente un renouvellement d’environ 80% de la population neuronale du gyrus denté. Dès lors, s’interroge le chercheur de l’UNIL, «comment expliquer qu’une structure aussi importante pour la mémoire se renouvelle autant ?»

De la cellule souche au neurone
Quoi qu’il en soit, une cellule souche doit franchir plusieurs étapes avant de former un nouveau neurone susceptible de remplir ses fonctions. D’abord, elle se divise et sa progéniture doit migrer à l’endroit du cerveau où elle est censée s’établir. Puis ses cellules filles se différencient et, telles des chenilles qui deviennent papillons, se transforment en «vrais» neurones. Lesquels doivent encore pouvoir survivre, car «beaucoup d’entre eux meurent, constate le neuroscientifique. Sur 100 cellules qui se sont formées à un moment donné, il n’y en a qu’une vingtaine qui perdure un mois plus tard.»

Etablir des contacts
Le processus n’est pas terminé pour autant. Il reste au tout jeune neurone à mûrir pour atteindre sa structure finale. A cette fin, son corps cellulaire qui contient son noyau doit se doter de structures arborescentes, les dendrites, et de filaments, les axones (lire encadré ci-dessous). Il doit aussi former des synapses grâce auxquelles il peut se connecter à d’autres partenaires, donc «se brancher sur le circuit».

Ces étapes sont indépendantes les unes des autres, ce qui complique singulièrement la tâche lorsque l’on cherche à influencer le processus. «Certaines molécules améliorent la prolifération des cellules souches, mais d’un autre côté, elles favorisent aussi la mort neuronale.» Globalement, elles n’aident donc pas à la création de nouvelles cellules nerveuses.

Des connexions ou la mort
En étudiant des souris, l’équipe de l’UNIL tente de comprendre les mécanismes qui régulent les différentes phases de la neurogenèse. Dans une étude récente, les chercheurs se sont tout particulièrement penchés sur la dernière étape, l’intégration d’un nouveau neurone dans le réseau existant, qui est cruciale à plus d’un titre. Si le nouveau venu ne se connecte pas au reste du circuit, il est comme un fil électrique qui ne serait pas branché, il ne sert à rien. En outre, dans ce cas, comme l’a découvert Nicolas Toni lorsqu’il travaillait au Salk Institute, en Californie, il est tout simplement éliminé.

Par ailleurs, curieusement, les premières synapses formées par des neurones immatures sont incapables de recevoir les informations de leurs partenaires et donc de les transmettre plus loin. Elles sont dites silencieuses.

Compétition entre jeunes et vieux neurones
Pour expliquer ce phénomène, Nicolas Toni a émis l’hypothèse, confirmée depuis par d’autres équipes, que «les nouveaux neurones sont sélectionnés sur la base d’une compétition, une sorte de darwinisme au niveau cellulaire». A l’aide de la microscopie électronique, le chercheur et ses collègues ont en effet constaté que le jeune neurone ne s’intègre pas n’importe où, ni n’importe comment à l’intérieur du réseau. «Sa dendrite forme des synapses avec des axones qui sont déjà en train de communiquer avec des neurones plus âgés.»

Pendant un temps, le jeune et le vieux neurones coexistent, mais lorsque la synapse du premier a suffisamment mûri, elle élimine celle de son aîné. Il y a donc une sorte de lutte entre les neurones et le meilleur gagne et survit, conformément à la théorie de l’évolution du célèbre naturaliste britannique.

Création de nouvelles mémoires
Ce phénomène éclaire d’un jour nouveau le fonctionnement de l’apprentissage et de la mémoire. «Le stockage des informations et leur mémorisation passent par le renforcement des connexions entre des neurones et l’élimination d’un certain nombre d’autres», rappelle le neuroscientifique. Le développement de nouveaux neurones, et donc de nouvelles synapses, consolide ce processus. Certes, il perturbe l’organisation du circuit existant, mais c’est justement cette instabilité du réseau «qui offre la possibilité de former de nouvelles connections dans le gyrus denté et donc de nouvelles mémoires». D’ailleurs, de nombreuses études montrent que l’inhibition de la neurogenèse adulte perturbe les processus mnésiques.

Les astrocytes, cellules nourricières des neurones
Comme l’avait observé Nicolas Toni, un jeune neurone ne survit pas s’il ne parvient pas à créer de nouvelles synapses. Le chercheur s’est demandé s’il existait des mécanismes susceptibles d’aider à la mise en place de cette zone de contact vitale. Et si oui, s’ils étaient les mêmes chez l’adulte et l’embryon.

Pour répondre à cette question, les chercheurs de l’UNIL, en collaboration avec leurs collègues des Université de Bâle et de Strasbourg, se sont intéressés à un autre type de cellules cérébrales, les astrocytes, «qui participent au fonctionnement des neurones et dont le rôle est encore peu connu».

Des cellules qui gèrent leur territoire…
Les neuroscientifiques lausannois ont utilisé un outil génétique particulièrement astucieux, car il ne tue pas les astrocytes, mais il bloque leur action. De ce fait, ces cellules nerveuses ne peuvent plus libérer les diverses molécules qu’elles relâchent habituellement dans l’espace environnant. Ainsi, «elles ne peuvent plus communiquer avec le monde extérieur ; elles deviennent muettes». Les chercheurs ont alors constaté qu’un neurone dont les dendrites traversaient des zones où se trouvaient des astrocytes muets «formait deux fois moins de synapses que lorsqu’il poussait dans un territoire astrocytaire normal». En outre, «si l’on rend les astrocytes muets, on constate une forte augmentation de la mort des neurones immatures».

… et influencent la compétition
Cela prouve, et c’est une première selon le neuroscientifique, que le nombre de synapses qu’un nouveau neurone peut créer «dépend de l’environnement dans lequel il se trouve», et notamment des astrocytes. Ceux-ci peuvent influencer la compétition entre les jeunes et anciens neurones «en augmentant, par les molécules qu’ils relâchent, la compétitivité des premiers».

Le groupe de l’UNIL a d’ailleurs identifié l’une de ces molécules. Il s’agit de la D-sérine qui opère sur les neurones et dont les effets sur la dépression et la mémoire sont actuellement testés chez l’être humain.

Des possibles applications thérapeutiques
Ces recherches suscitent bien des espoirs. Elles indiquent que l’on pourrait envisager de stimuler, à des fins thérapeutiques, la formation de nouveaux neurones dans l’hippocampe. Cette structure cérébrale, qui est responsable de l’apprentissage et de la mémoire, intervient aussi dans l’anxiété et la dépression. En accélérant le renouvellement de ses neurones, on pourrait atténuer les symptômes de ces troubles ou ralentir les pertes de la mémoire liées à la maladie d’Alzheimer.

L’expérience, à laquelle l’équipe de l’UNIL a participé, a d’ailleurs déjà été faite chez des souris reproduisant cette maladie dégénérative et elle est concluante. Après avoir «dopé» la fabrication de nouveaux neurones dans le cerveau des rongeurs, des chercheurs français ont observé «une augmentation de leurs performances d’apprentissage et de leur mémoire spatiale», souligne Nicolas Toni. Il y voit «une preuve que le concept est valable». Certes, entre les souris et les humains, le fossé à franchir est grand. Mais rien n’interdit plus de rêver.

Neurogenèse.
Cette photo, prise au microscope à fluorescence, montre une coupe de l’hippocampe d’une souris adulte. En bas à droite, on voit le gyrus denté (en forme de tête de flèche). Les corps cellulaires sont marqués en rouge et les neurones qui viennent de se former en vert. Ceux-ci génèrent deux fois moins de synapses lorsque les astrocytes (invisibles sur l’image) sont inactivés. C’est une preuve que ces derniers influencent la neurogenèse.
© Département des neurosciences fondamentales

Les cellules qui peuplent notre cerveau

Malgré son audience, Facebook fait pâle figure à côté du réseau, vaste et complexe, que les neurones forment dans notre cerveau. Ce circuit compte en effet environ 100 milliards de neurones connectés les uns aux autres et qui se transmettent les informations sous la forme d’un signal chimique, les neurotransmetteurs. Ces cellules assurent «la communication entre les différentes zones du cerveau, explique Nicolas Toni, professeur-assistant au Département des neurosciences fondamentales de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL. Ceux qui se trouvent par exemple dans le cortex moteur synchronisent leur action de manière à coordonner les mouvements de nos différents muscles.»

Les neurones ne ressemblent en rien aux autres cellules de l’organisme. Leur corps neuronal, qui contient leur noyau, se prolonge par des structures arborescentes, les dendrites. Comme les roses, celles-ci sont dotées d’épines qui forment des synapses, lesquelles reçoivent les informations des autres neurones. Le corps cellulaire s’étend aussi en un filament, l’axone, qui peut être très long. Il constitue la fibre nerveuse et conduit le signal électrique.

Chaque neurone forme «en moyenne 10’000 synapses». Pour donner l’ampleur de la complication du circuit, Nicolas Toni Toni évoque une «planète peuplée de 100 milliards d’individus qui auraient chacun 10’000 bras et pourraient serrer entre 1 et 5 mains appartenant à 3000 personnes. Vous imaginez la complexité du réseau !»

Les astrocytes : bien plus qu’une colle
Le cerveau abrite un autre type de cellules en forme étoilée qui sont «aussi nombreuses, si ce n’est plus, que les neurones», selon Nicolas Toni. Elles ont été nommées gliales, terme qui vient de «glue» – colle – car au départ on pensait qu’elles ne servaient qu’à coller les neurones entre eux. On sait aujourd’hui qu’elles font bien plus que cela. «Elles aident les neurones, elles les nourrissent et complètent leurs fonctions», précise le chercheur. En outre, comme l’équipe de l’UNIL vient de le découvrir, elles jouent un rôle important dans la formation de nouveaux neurones.

Les astrocytes sont les plus nombreuses et les mieux étudiées des cellules gliales. Il en existe d’autres. Notamment celles qui constituent la microglie et «qui ont, apparemment, une fonction immunitaire», note Nicolas Toni. Ou encore les oligodendrocytes : «Elles servent à constituer la gaine de myéline qui entoure les axones de neurones et permet une conduction beaucoup plus rapide du signal électrique». Sans compter les cellules souches, qui donnent naissance à de nouveaux neurones.

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