Ne pestez plus sur les virus… Ils nous soignent aussi et ils nous sauveront peut-être un jour du cancer

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Rhume, grippe, etc. Pas un hiver sans le nez qui coule et la gorge qui nous démange. Et pourtant, s’ils tuent parfois, les virus sont aussi, on le sait moins, de précieux alliés. La médecine les utilise déjà pour préparer certains vaccins et elle aura besoin d’eux pour élaborer de futures thérapies géniques contre des maladies génétiques. Les explications des chercheurs de l’UNIL.

«Je suis très enthousiaste quand je pense à tout ce que les virus nous ont appris!» Ces propos de Winship Herr, responsable d’une équipe du Centre intégratif de génomique (CIG) de l’UNIL, ont, a priori, de quoi surprendre. Il est vrai que les virus n’ont pas la cote, tant ils sont associés à des maladies infectieuses, anciennes ou émergentes, bénignes ou mortelles, comme le rhume, la variole, le sida, Ebola ou la grippe aviaire. Il suffit de prononcer leur nom pour agiter aussitôt le spectre d’épidémies, voire de pandémies.

De précieux auxiliaires de la recherche

Pourtant, les virus ne sont pas que des microbes maléfiques. Dans leur très large majorité, ils sont d’ailleurs inoffensifs. Sur les quelque 6000 spécimens répertoriés à ce jour –, et qui ne représentent qu’une petite part de la population virale globale – seuls 200 environ sont pathogènes pour l’être humain. Mais même ces derniers ont parfois leurs bons côtés, en tant que précieux auxiliaires de la recherche.

Pour les biologistes, ils sont devenus de véritables «outils» qui ont conduit à «une floraison de connaissances», comme le souligne Elena Buetti, privat-docent à l’UNIL et cheffe de projet de recherche au CHUV.

Cela ne date pas d’hier. Dès la fin des années 1930, des chercheurs venus de la physique ont utilisé des bactériophages (virus qui infectent les bactéries) pour réaliser des études de génétique. Ces dernières ont conduit, au milieu du siècle dernier, à «l’identification du rôle de l’ADN dans l’hérédité», rappelle l’enseignante à l’UNIL. Depuis, la recherche sur ces micro-organismes a débouché sur le clonage moléculaire et le séquençage de l’ADN, qui ont permis de grandes avancées en biologie moléculaire et en génétique.

«Grand» virus, petit génome

Dans ces domaines, l’un des atouts des virus tient dans la petite taille de leur génome. Considéré comme faisant partie des «grands» virus, l’Herpès simplex, sur lequel travaille Winship Herr, ne possède que 150’000 paires de bases – ces fameuses lettres dans lesquelles est écrit le patrimoine génétique – alors que le nôtre en compte plus de trois milliards.

Grâce à ces micro-organismes, les chercheurs disposent d’organismes simples qui leur permettent d’étudier de près la fonction des différents gènes, dont certains sont analogues aux nôtres. Cela s’est révélé particulièrement utile, surtout avant que le génome humain ne soit entièrement décrypté, en 2000.

Ce sont des pirates de l’air

Les virus ont une autre caractéristique qui les rend incomparables dans le monde des micro-organismes. Ils sont incapables de se multiplier et de se reproduire par leurs propres moyens. Et, pour se développer, ils ne peuvent compter que sur la machinerie des cellules qu’ils infectent. De ce fait, «ils peuvent aussi fournir de nombreux renseignements sur les fonctions cellulaires qu’ils détournent à leur profit», précise Elena Buetti.

Adoptant un langage imagé, Winship Herr les compare à des «pirates de l’air». Lorsqu’ils sont dans un avion qu’ils veulent détourner, explique-t-il, ces intrus s’adressent en priorité à l’homme-clé de l’avion: le pilote. Les virus font la même chose. «Pour manipuler la cellule, ils ciblent les éléments importants pour le fonctionnement de celle-ci: les protéines régulatrices.» Il suffit donc d’observer le travail des microbes pour reconnaître les protéines en question.

Une découverte choc

Les biologistes se sont d’abord focalisés sur des virus qui provoquent le développement de tumeurs sur les animaux. Cela leur a permis de mieux comprendre les mécanismes qui rendent une cellule cancéreuse, y compris chez l’homme.

C’est par ce biais qu’ils ont mis au jour les oncogènes, ces gènes qui déclenchent la prolifération anarchique des cellules, laquelle est à l’origine des cancers. «Cette découverte a été un choc dans la communauté scientifique, au début des années 1970», se souvient Elena Buetti.

Comment un virus nous a aidés à comprendre les cancers

Des chercheurs, qui travaillaient sur le virus du sarcome de Rous qui provoque des tumeurs chez les poules, ont observé que le virus avait intégré, dans son propre génome, un gène de la cellule- hôte qu’il avait infectée. C’était là la cause du mal.

Ils ont alors compris que «ce n’était pas une information extraterrestre qui provoquait le cancer, mais un morceau d’un gène cellulaire que nous possédons tous. Mais ce dernier avait été modifié par le virus qui l’avait ainsi soustrait au contrôle de la cellule.»

Ainsi libérée des processus régulateurs, de ses «freins» habituels, la cellule se mettait donc à se multiplier de façon anarchique. «Sans le virus qui, en la matière, a servi d’espion, on n’aurait eu aucune idée de ce qui se passait», conclut l’enseignante de l’UNIL.

Depuis, et toujours grâce aux virus, les biologistes ont aussi découvert les anti-oncogènes, qui – comme leur nom l’indique – agissent à l’inverse des précédents. Aussi nommés «gènes suppresseurs de tumeurs», ils empêchent l’emballement de la division cellulaire.

Des virus sont nos espions ou nos mouchards

C’est également en utilisant ces microorganismes comme «mouchards» qu’Elena Buetti et ses collègues ont élucidé, au début des années 1980, l’un des mécanismes conduisant au cancer de la glande mammaire chez la souris. «Lorsqu’elles ont des petits, certaines souris produisent des virus dans leur lait, et nous soupçonnions que cela avait un lien avec leur système hormonal», explique la chercheuse.

Pour le confirmer, les biologistes ont cultivé des séquences virales qu’ils ont introduites dans des cellules. «Nous avons alors montré que, lorsque l’on rajoutait des hormones stéroïdes, la production de séquences virales augmentait. Pour la première fois, nous avions ainsi prouvé que des hormones pouvaient avoir un effet direct sur une activité génétique. »

Les virus-espions n’en ont d’ailleurs pas fini de servir d’auxiliaires de la recherche. Ils sont toujours employés pour démonter les rouages, très complexes, de la cancérisation des cellules.

Des alliés pour produire des vaccins

Entre les mains des biologistes, les virus sont aussi devenus des alliés très utiles pour la production de vaccins. Tel est notamment le cas du Baculo virus, un micro-organisme qui infecte les insectes.

«Les scientifiques peuvent remplacer l’une de ses protéines par une autre, de leur choix», explique la chercheuse du CHUV. Il suffit ensuite d’infecter des cellules d’insecte avec le virus modifié pour que celui-ci se multiplie et transforme les cellules en mini-usines produisant de grandes quantités de la protéine visée.

C’est sur ce principe qu’a été fabriqué l’un des vaccins récemment commercialisés pour protéger les femmes contre le virus du papillome, responsable du cancer du col de l’utérus.

Ce sont des «véhicules de transport»

Les virus n’ont pas leur pareil pour pénétrer au sein des cellules. C’est ce qui fait leur force en tant qu’agents pathogènes. Mais cette caractéristique peut aussi être mise à profit par la recherche biomédicale qui les utilise comme vecteurs.

Dans ce cas, ils ne jouent plus les agents secrets, mais servent plutôt de véhicules de transport. Une fois considérablement atténués, ou même désactivés – et donc dépourvus de leur pouvoir infectieux – ils peuvent acheminer, dans les cellules, des protéines prélevées sur un tout autre virus contre lequel on souhaite vacciner.

L’un des agents couramment employés à cette fin est le virus de la vaccine (responsable de la variole chez la vache). Il a été à l’origine de la première vaccination jamais tentée sur l’homme, à la fin du XVIIIe siècle – c’est d’ailleurs de là que vient le terme de «vaccination» – et il a depuis permis d’éradiquer la variole.

A l’époque, le virus était inoculé tel quel. Depuis, les biologistes ont appris à le manipuler à leur gré. Ils l’ont notamment doté d’une des protéines de surface appartenant au virus de la rage. C’est ce qui leur a permis de fabriquer un vaccin pour protéger les renards contre cette maladie.

La vaccine contre le sida

Le virus de la vaccine pourrait aussi contribuer à la lutte contre le sida. Il est en effet à la base de l’un des vaccins (à visée thérapeutique et non pas préventive), conçu par plusieurs équipes coordonnées par Giuseppe Pantaleo, directeur du nouvel Institut de recherches sur les vaccins de l’UNIL, sous l’égide du programme européen EuroVacc.

Pour élaborer un vaccin antisida, il est exclu d’utiliser le virus VIH, même atténué, qui pourrait se révéler trop dangereux. Les chercheurs ont donc utilisé la vaccine, qui fait office de cheval de Troie puisqu’elle est capable d’atteindre les cellules du système immunitaire. Ils ont ensuite armé ce virus en le dotant de protéines appartenant au VIH, seules susceptibles d’induire une défense immune.

Testé sur des volontaires sains à Lausanne et à Londres, ce candidat-vaccin a déjà fait l’objet d’essais cliniques préliminaires dont les premiers résultats ont été jugés prometteurs.

Pénétrer dans les muqueuses ou le cerveau

Si la vaccine est devenue un outil de choix pour l’élaboration de vaccins, ce virus n’est pas le seul à tenir ce rôle. Les agents de la grippe, de la rougeole ou encore de l’herpès peuvent, eux aussi, être mis à profit. «On exploite les différentes propriétés des virus», explique Elena Buetti.

Les coronavirus – famille à laquelle appartient le SRAS (responsable du syndrome respiratoire aigu sévère) – ont par exemple la particularité de s’attaquer aux muqueuses. Ils sont donc des vecteurs idéaux pour acheminer des protéines vaccinales dans ces tissus. D’autres, comme les alpha-virus, ont la capacité de franchir la barrière encéphalo- rachidienne; ils pourraient donc pénétrer dans le cerveau et y convoyer des protéines vaccinales chargées de protéger les neurones. Et la liste est loin d’être close.

Les promesses de la thérapie génique

Les virus sont donc d’excellents véhicules. En outre, il est possible de les manipuler et d’insérer dans leur génome des gènes étrangers. Il n’en fallait pas plus pour que les biologistes fassent appel à eux pour mettre au point des thérapies géniques, des méthodes qui visent à remplacer un gène «défectueux» par son équivalent sain afin de traiter certaines maladies génétiques.

Au départ, les médecins ont placé d’immenses espoirs dans ces thérapies, mais force est de constater qu’ils ont dû déchanter.

A ce jour, les seules thérapies géniques qui ont eu quelques succès sur l’homme «sont celles qui sont pratiquées sur des cellules du sang, ex-vivo», constate Elena Buetti. Elles consistent à prélever, dans la moelle osseuse des malades, les cellules qui sont à l’origine des globules blancs. Puis à y insérer – via un virus – un gène étranger, avant de les réinjecter dans l’organisme du patient.

En revanche, tous les essais cliniques in vivo qui ont été réalisés à la fin des années 1980 et dans la décennie suivante se sont soldés par des échecs. La seule réussite – relative – à ce jour est à porter au compte de médecins français qui ont traité par ce biais les fameux «bébésbulles », ces nouveaux-nés atteints d’immunodéficience sévère.

Neuf des vingt jeunes patients traités ont été guéris, mais quatre d’entre eux ont ensuite développé une leucémie. Cette issue malheureuse, qui a été révélée au moment où l’on annonçait le décès d’un Américain traité par thérapie génique, a conduit à la suspension de tous les essais cliniques pendant plusieurs années.

Un brillant avenir

Ces expériences malheureuses ont révélé aux chercheurs et médecins qu’ils s’étaient lancés trop vite dans l’aventure des essais cliniques. Les techniques utilisées dans ces traitements très complexes n’étaient alors pas au point. Les erreurs du passé ont été analysées et, aujourd’hui, les essais reprennent timidement, et sur d’autres bases.

Le principe de la thérapie génique n’est en effet pas en cause et, si la communauté scientifique et médicale se montre aujourd’hui plus prudente, elle table toujours sur le développement de cette technique pour lutter, dans le futur, contre de nombreuses maladies.

Si les événements lui donnent raison, les virus seront – plus encore qu’aujourd’hui – fortement mis à contribution en tant qu’auxiliaires de la recherche et de la médecine.

Elisabeth Gordon

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