Le lynx et la Suisse: félin pour l’autre

Le lynx et la Suisse: félin pour l’autre - «Le plus impressionnant, c’est qu’il n’a pas peur de l’homme»

Quand un humain croise la route du grand félin, ce dernier ne part pas en courant. Peu craintif, l’animal fait confiance à son camouflage et se tapit. Pas de panique: il n’attaque pas les humains. Mais les chiens qui les accompagnent sont parfois visés.

Chaque automne, en Suisse, plusieurs petits lynx affamés et séparés trop vite de leur mère s’approchent des habitations humaines pour y chercher de la nourriture. Ils y sont recueillis, ici par une famille d’agriculteurs, là, par des élèves et des enseignants. D’autres sont récupérés le long d’une route par des automobilistes qui leur sauvent ainsi la vie. Et en Valais, un adolescent a connu son heure de gloire parce qu’il a pu photographier un jeune lynx perché dans un arbre, juste à côté de chez lui.

Ces exemples, parmi d’autres, sont tirés de l’actualité de ces dernières années. Ils nous montrent que les rencontres entre l’homme et le grand félin suisse, surtout avec de jeunes individus, n’ont rien d’exceptionnel.

Fridolin Zimmermann, un spécialiste du lynx formé à l’UNIL, a, lui aussi, croisé à plusieurs reprises la route des grands félins lors de ses pérégrinations nocturnes. «Ce qui surprend le plus, quand on en voit un, c’est qu’il ne s’enfuit pas en courant à notre approche.»

Le chien n’a rien senti

«Lors de mes observations, ce n’est jamais le lynx qui est parti le premier. Il n’a pas peur de l’homme. Il compte sur son camouflage pour passer inaperçu. Si on ne lui fonce pas dessus, il va penser qu’on ne le voit pas.» Et, souvent, cette tactique paie. «Je me souviens d’un lynx que nous suivions par télémétrie. Il est resté longuement dans un jardin où il y avait également un bouvier bernois qui ne l’a pas remarqué de l’après-midi», ajoute Fridolin Zimmermann.

Pourtant, les biologistes ne profitent pas de cette confiance. «Nous essayons de ne pas déranger les lynx munis de colliers émetteurs, pour qu’ils ne s’habituent pas à l’homme. Mais quand de telles rencontres se produisent, c’est toujours quelque chose de très spécial.» Le chercheur se souvient notamment d’une expérience nocturne, quand il se trouvait à l’entrée d’une petite grange dans l’Oberland bernois et qu’il s’est retrouvé nez à nez avec un lynx. «Nous étions aussi surpris l’un que l’autre. Cela procure un sentiment tout à fait particulier. Ça m’a toujours fait des frissons.»

«Elle me regardait dans les yeux, comme un chat»

Nathalie Rochat, une biologiste de l’UNIL qui a suivi de nombreux lynx, n’a pas non plus oublié sa première rencontre avec un grand félin. «C’était au lever du jour, dans le Jura vaudois. J’avais suivi toute la nuit une jeune femelle nommée Roya par télémétrie. Je suis arrivée dans la zone où elle s’était arrêtée, j’ai stoppé la voiture et j’ai claqué la porte, avant de réaliser que le lynx était encore plus près que je le pensais. Je l’ai vue, à quinze mètres de là, dans une pente au-dessus de moi. Elle était assise calmement. Elle me regardait comme un chat, droit dans les yeux. Puis elle s’est levée, au bout d’un moment, et elle est partie tranquillement. Ce qui m’a le plus surprise, à ce moment, c’était l’absence complète de bruit. Alors qu’il s’agit d’un gros animal qui se déplaçait dans les fourrés, on n’entendait absolument rien.»

Des attaques contre les humains?

La biologiste a-t-elle jamais eu peur de ce fauve dont elle suivait la trace? «Jamais, répond Nathalie Rochat. En revanche, j’appréhendais les rencontres avec les humains que l’on croise parfois la nuit, sur les chemins, seule en forêt.»

Naturellement peu craintif, le lynx s’enhardit encore, quand le soleil est couché. «La nuit, il peut chasser dans des endroits très ouverts, raconte Fridolin Zimmermann. On l’a vu tuer un chevreuil à côté d’un chalet, et revenir se nourrir sur sa proie durant plusieurs nuits. Ce sont des animaux assez sûrs d’eux.»

Confiant, le lynx n’est pas agressif. Les exemples de félins attaquant des humains sont en effet rarissimes. Dans le cas régulièrement cité, l’animal s’est retrouvé enfermé dans une grange, face à un humain qui bloquait la sortie et qui l’a menacé avec un bâton.

«Avec une ourse, on signerait son arrêt de mort»

Mais, face à ce cas très particulier, les biologistes ont de nombreux contreexemples à proposer. «J’ai eu la chance d’aller marquer des petits avec Fridolin Zimmermann, se souvient Nathalie Rochat. La mère s’est éloignée de la tanière, et elle s’est postée à une cinquantaine de mètres. Elle s’est assise, et nous a observés en fermant les yeux, comme un chat, avec une très grande tranquillité apparente. Pendant ce temps, nous manipulions ses petits. Nous les avons pesés, mesurés et marqués à l’oreille. Parfois, il faut encore faire une prise de sang et des radios. Malgré tous ces gestes sur ses enfants, la mère ne nous a jamais attaqués. Alors que, si on pratiquait ainsi avec une ourse et des oursons, on signerait son arrêt de mort immédiat.»

Habitué à cet exercice, Fridolin Zimmermann confirme. «Nous n’avons jamais eu de problème. Même quand ils sont pris dans nos pièges à lacet, les lynx n’ont pas de geste agressif. Ils essaient seulement de fuir.»

Si les humains bénéficient d’une totale impunité, leurs compagnons à quatre pattes courent, eux, des risques bien réels. «Les chiens des chasseurs ou ceux qui nous accompagnent parfois sur le terrain ont été attaqués par des femelles qui défendent leurs petits. Et cela même quand ils étaient tenus en laisse par un humain, mais ce sont toutefois des événements rarissimes.»

Sous l’oeil du lynx

Peu craintifs, capables de s’approcher des maisons, les lynx seraient-ils faciles à observer? «En théorie, une personne a plus de chances de se faire toucher par la foudre que d’en voir un, répond Fridolin Zimmermann. Mais, avec tous ces promeneurs qui sont en route, des rencontres avec un lynx arrivent quand même régulièrement.»

Dans ce cas, le comportement adéquat consiste à s’arrêter, à profiter du spectacle et à prendre conscience d’être un privilégié. Car, si les humains restent peu nombreux à voir les lynx, eux nous voient très bien. Il leur arrive même de se distraire en nous observant.

Nathalie Rochat se souvient ainsi de cet hiver passé à suivre un lynx, près de Saint-Georges (VD). «Il était installé sur une souche d’arbre, tout près d’une piste de ski de fond. Depuis ce poste d’observation en hauteur, il regardait les adeptes du ski de fond faire une boucle sous ses yeux. Les humains ne l’ont pas vu, mais lui a bien profité du spectacle.»

Jocelyn Rochat

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