La couleur de l’argent au temps de Farinet

Les coins de Farinet (photo MMC, prêt du Musée de Pully)

Pourquoi les métaux nobles contenus jadis dans les pièces de monnaie ont-ils peu à peu disparu? C’est le thème d’une animation préparée pour les Mystères de l’UNIL 2011.

Les faux-monnayeurs sévissent en général en temps de crise ou de grandes réformes monétaires. Joseph-Samuel Farinet (1845-1880), le plus célèbre faussaire de Suisse, n’échappe pas à la règle. Ses copies ont inondé le marché à la faveur du lancement de la première monnaie nationale en Suisse en 1850.

Car jusque-là, de nombreuses monnaies d’origines diverses circulaient en Suisse. Chaque canton émettait la sienne, et «s’y ajoutaient les monnaies étrangères qui représentaient plus de 80% du monnayage en circulation», rappelle Carine Raemy Tournelle.

De fausses pièces de 20 centimes

A l’époque de Farinet, la monnaie avait une valeur intrinsèque, établie par le pourcentage de métal noble (or ou argent) qui la composait. La valeur fiduciaire, qui prévaut aujourd’hui, repose sur la confiance de l’usager dans un moyen de paiement dont la valeur est fixée par l’Etat (billets de banque et pièces dont la valeur nominale est supérieure à la valeur intrinsèque). En 1850, la Confédération frappe encore des pièces en argent (5, 2, 1 et un demi-franc) ainsi que des centimes en billon (moitié argent moitié cuivre) ou en bronze.

Environ 11 millions de pièces de 20 centimes seront frappées pour répondre à la forte demande de la population, «une société paysanne qui vit encore de troc et favorise la petite monnaie pour ses échanges quotidiens si nécessaire», rappelle Carine Raemy Tournelle. C’est logiquement ces pièces-là, les plus courantes, que Farinet va copier, comme de nombreux faussaires à l’époque qui n’ont pas connu la gloire romantique du Robin des Bois valaisan.

Une vieille défiance envers le pouvoir et sa monnaie

« Farinet, comme beaucoup de ses contemporains, nourrit une vieille défiance envers le pouvoir et sa monnaie, explique la conservatrice du Musée monétaire. Le peuple a longtemps été lésé par les dévaluations insidieuses de la monnaie pour les besoins des puissants qui détiennent l’autorité émettrice ».

Pour financer leurs dépenses de guerre, par exemple, les seigneurs diminuaient sensiblement la quantité de métaux nobles dans les monnaies et conservaient la valeur libératoire de celles-ci, tandis que les prix, eux, ne variaient guère.

Farinet ne frappe pas, il presse

La nouvelle monnaie fédérale connaît tôt, elle aussi, une dévaluation due à une pénurie de l’argent sur le marché monétaire. Les pièces de 20 centimes, alliant argent et cuivre, en subissent les conséquences. Ainsi, les nouveaux exemplaires frappés en 1859 contiennent une plus grande quantité de cuivre, visible à l’œil nu, en comparaison d’une pièce frappée en 1850. «Cette baisse de qualité profite aux faussaires», estime la conservatrice.

Farinet utilise des plaques d’un alliage étain-cuivre dans lesquelles il découpe ses flans (rondelles de métal au diamètre des futures pièces). Mais Farinet ne les frappe pas, il les presse. «Ce qui confère à ses copies un relief moins précis en même temps qu’une impression d’usure qui peut faire illusion.»

L’oxydation de l’alliage, en revanche, peut le trahir. Pour donner une apparence argentée à ses pièces, « Farinet les passe à l’acide nitrique puis les frotte au linge pour les blanchir. A l’état neuf, on pouvait s’y méprendre, assure Carine Raemy Tournelle, mais avec la corrosion naturelle, elles se dénonçaient elles-mêmes ». La logique du faussaire est donc d’écouler sa marchandise au plus vite.

Seule la mauvaise monnaie circule

Au fil du temps, le système de valeur intrinsèque de la monnaie a produit un cercle vicieux. Plus les Etats avaient besoin d’argent, plus la qualité intrinsèque de leur monnaie baissait, plus les faussaires se multipliaient. « Dans ce contexte, l’usager avait tendance, en tombant sur une belle pièce, à la thésauriser dans son bas de laine, à la retirer du marché, rappelle Carine Raemy Tournelle. En sorte qu’il ne restait bientôt que de la mauvaise monnaie en circulation. C’est la loi de Gresham ».

Le commerçant anglais Thomas Gresham (1519-1579) avait observé ce phénomène: « La mauvaise monnaie chasse la bonne ». Crises économiques et faux-monnayeurs s’alimentent ainsi mutuellement.

De vieilles et fausses pièces circulent encore

Au XXe siècle, la Suisse a conservé des pièces contenant de l’argent (entre 0,5 et 5 francs) « mais elle y a renoncé en 1967 car la forte hausse du prix de l’argent rendait la valeur matérielle des pièces plus élevée que leur valeur nominale. De plus, beaucoup d’exemplaires sortaient du pays pour être fondus afin d’en retirer l’argent », rappelle la conservatrice. Depuis lors, toutes les pièces helvétiques sont faites de cupronickel, un alliage très solide et de faible valeur permettant la production de monnaies fiduciaires.

Quant aux copies de certains faussaires, certaines pièces circulent encore…

Michel Beuret

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