Grâce à l’ADN, on peut raconter les migrations des vipères suisses

© Ursenbacher

En étudiant la diversité génétique des populations locales de vipères, des chercheurs de l’UNIL ont retracé le parcours de ces animaux pendant et après les périodes glaciaires.

Durant les dernières périodes glaciaires, le climat est devenu très froid en Europe. La plupart des espèces animales qui vivaient dans les régions tempérées ont migré vers le Sud. Puis, quand la température est redevenue plus clémente, elles ont recolonisé des contrées plus septentrionales.

Les vipères ont globalement suivi les mêmes chemins, « mais l’on trouve dans leurs parcours quelques originalités », souligne Luca Fumagalli, responsable du Laboratoire de biologie de la conservation du Département d’écologie et d’évolution de l’UNIL.

La distribution géographique des lignées génétiques

C’est aux répercussions actuelles de cette histoire ancienne que Sylvain Ursenbacher a consacré son travail de doctorat à l’UNIL. Sous la direction de Luca Fumagalli et avec Jean-Claude Monney comme expert, il a étudié les vipères sous l’angle de ce que l’on nomme la «phylogéographie». Une discipline qui consiste à reconstituer l’arbre généalogique des lignées génétiques au sein d’une espèce, et à « étudier leur distribution géographique », explique le responsable du laboratoire de biologie de la conservation.

De l’ADN pour reconstituer l’histoire

Concrètement, il s’agit d’abord de recueillir, sur le terrain et dans les pays « couvrant l’ensemble de leur aire de répartition », plusieurs échantillons biologiques de vipères. Puis d’analyser leur ADN mitochondrial. Situé hors du noyau des cellules et indépendant du reste du génome, cet ADN particulier est un outil très fréquemment utilisé « pour étudier les relations entre espèces ou lignées génétiques», explique Sylvain Ursenbacher.

Il est en effet « beaucoup plus petit que le génome du noyau, il ne se recombine pas et il n’est transmis que par la mère, ajoute Luca Fumagalli, ce qui le rend plus facile à étudier et offre des avantages en phylogéographie ».

Comment les vipères ont résisté aux périodes glaciaires

L’équipe de l’UNIL a appliqué cette méthode pour étudier notamment les deux espèces de vipères présentes en Suisse. Elle est alors tombée sur quelques surprises. « Pendant les périodes glaciaires, la plupart des espèces animales et végétales européennes ont trouvé refuge principalement dans une ou plusieurs des péninsules méditerranéennes, à savoir les péninsules ibérique, italienne et des Balkans », rappelle Luca Fumagalli.

Mais les vipères ont aussi fui le froid en s’abritant dans des « refuges additionnels atypiques ». Pour l’aspic, ces derniers se trouvaient sur la côte méditerranéenne française. Pour la péliade, dont la répartition géographique est très grande, il s’agissait plutôt de « refuges nordiques, situés au centre et au nord de l’Europe ».

Des groupes différenciés sur le plan génétique

La période glaciaire terminée, les serpents sont revenus coloniser la Suisse. Toutefois, les différentes populations « avaient été totalement séparées dans les refuges glaciaires pendant plusieurs générations et elles se sont donc différenciées génétiquement, dit Luca Fumagalli. On retrouve cette divergence dans les populations vivant aujourd’hui, ce qui nous permet de reconstruire leur distribution passée ainsi que les processus de recolonisation ».

C’est ainsi que Sylvain Ursenbacher, qui travaille maintenant à l’Université de Bâle, a pu constater « qu’il existait en Engadine une lignée de péliades qui est génétiquement distincte de celles vivant dans le reste de la Suisse ».

Consanguinité chez les vipères du Jura

Au niveau plus local, le chercheur a aussi étudié les péliades vivant actuellement dans le Jura. « A cause de la destruction de leur habitat, les populations sont fragmentées et se retrouvent isolées les unes des autres », précise Luca Fumagalli. « Entre elles, les échanges génétiques sont quasiment inexistants, ajoute Sylvain Ursenbacher. Cela signifie qu’il y a, à terme, un risque de consanguinité et que certains groupes pourraient de ce fait disparaître ».

Conservation des espèces

Les deux chercheurs s’accordent à dire que leurs études ont d’importantes implications pour la conservation des vipères. Si les péliades vivant dans notre pays appartiennent à la même espèce, elles sont malgré tout génétiquement différenciées et chaque lignée « représente une tranche de l’histoire évolutive » qu’il faudrait éviter de détruire. Il en va de même pour les aspics. Les résultats obtenus à l’UNIL ont d’ailleurs été pris en compte lors de la révision, en 2005, de la liste rouge des reptiles menacés en Suisse.

Elisabeth Gordon

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