«Les jeunes entrent de plus en plus tard sur le marché du travail»

Franciska Krings. Professeure au Département de comportement organisationnel de la Faculté des hautes études commerciales de l’Université de Lausanne, et vice-rectrice de l’UNIL. © Nicole Chuard

Des difficultés à trouver un premier emploi,  plusieurs changements d’employeurs, et moins de places de cadres à disposition: tels sont les clichés qui circulent dès qu’on parle jeunes diplômés et travail. Spécialiste des ressources humaines à l’UNIL, Franciska Krings explique que la réalité n’est pas si simple.

Est-ce qu’il est plus difficile pour un diplômé 2012 d’entrer sur le marché du travail que ça ne l’était pour ses parents?
Franciska Krings?Ça n’est pas forcément plus difficile, mais il est clair que les jeunes entrent sur le marché du travail de plus en plus tard. Ils passent souvent par une période où se succèdent des stages, rémunérés ou non, et des postes à durée déterminée. Ce que leurs parents n’ont pas connu. Mais c’est un changement lié à l’allongement de la durée des études, et qu’on ne peut pas attribuer seulement à un changement de la structure du marché du travail: il est sociétal. La génération précédente s’estimait hors de l’adolescence à 20 ans, maintenant les étudiants eux-mêmes ne se considèrent pas comme adultes avant 25-30 ans – on a d’ailleurs donné un nom à cette nouvelle période transitoire, «emerging adulthood», qui marque bien cette évolution. Aujourd’hui, on se marie plus tard, on a des enfants plus tard, et en toute logique, on a un «vrai» travail plus tard aussi.

Les chiffres montrent pourtant que les jeunes sont davantage touchés par le chômage que la génération des baby-boomers…
Oui, jusqu’à deux fois plus, mais ce n’est pas du tout le même chômage. Les quinquagénaires à la recherche d’emploi sont peu nombreux, mais ils restent longtemps dans cette situation. Se retrouver au chômage à cet âge-là est une catastrophe, parce que les chances d’en sortir sont faibles. Les jeunes sont plus nombreux et plus souvent au chômage, mais pour des périodes très courtes: ils passent très facilement d’un job à l’autre, et ils n’ont le plus souvent pas beaucoup de difficulté à se trouver une place. Mais il reste vrai que leurs parents n’ont pas connu cette situation.

Voyez-vous apparaître d’autres différences dans le rapport au travail?
La carrière des baby-boomers montait en flèche bien droite jusqu’à ce qu’ils aient 40-45 ans, puis redescendait lentement. Leurs enfants ont et auront des CV beaucoup moins linéaires, avec des ascensions rapides, des pauses pour faire autre chose de sa vie, des retours en arrière, des pas de côté pour s’intéresser à un domaine totalement différent. Ce changement dans la façon d’appréhender sa carrière ressort aussi d’études qui se penchent sur ce qu’attendent les jeunes de leur employeur. Deux critères importants aujourd’hui sont la possibilité d’équilibrer vie privée et vie professionnelle, et la nécessité d’effectuer un travail qui fasse sens – en rendant le monde meilleur, en aidant les autres, en étant au service de la communauté, de la planète… Ce sont des critères nouveaux et très différents de ceux de la génération précédente, où la problématique de l’ascension dans l’entreprise ou la stabilité de l’emploi par exemple avaient plus d’importance.

Les baby-boomers sont très nombreux, ils sont souvent cadres, et ils risquent de travailler très longtemps, bouchant l’ascension des plus jeunes. Est-ce qu’il y a une concurrence, une compétition entre les générations pour les bons postes?
Il existe très peu de littérature scientifique qui documente les rapports entre les générations au travail – celles qui existent analysent en général la question de l’âge sous l’angle de la performance. Il en ressort que certaines facultés, comme la capacité de faire plusieurs choses à la fois ou la rapidité, diminuent, mais les seniors arrivent à pallier cela par des stratégies très efficaces qui au final en font des employés aussi, voire légèrement plus performants que les jeunes.

On ne sait rien d’autre sur leurs relations au travail?
Il semble que pour le travail d’équipe, les groupes hétérogènes en matière d’âge soient plus efficaces que les homogènes. Chacun trouve plus facilement sa place, un rôle, et il y a moins de conflits autour des questions de pouvoir. Entre employés du même âge, on pose des questions sans lien avec la tâche à effectuer – qui va décider, qui va rapporter, etc… C’est beaucoup de temps et d’énergie perdus dans des considérations qui perturbent moins les groupes hétérogènes. A priori, la nouvelle et l’ancienne génération ne semblent pas être en conflit au travail.

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