Le pouvoir transformateur du souffle

Comment le yoga peut-il influencer notre rapport au corps et notre vision du monde ? L’anthropologue Caroline Nizard répond.

L’anthropologue Caroline Nizard a étudié les pratiques de yoga en France, en Suisse et en Inde. Ses derniers travaux montrent de quelle façon cette activité physique peut influencer notre rapport au corps et notre vision du monde.

« Lorsque nous portons attention à notre respiration, notre rythme cardiaque se modifie. Fermez les yeux et observez-la. Après trois minutes, vous verrez qu’elle sera plus profonde », illustre Caroline Nizard, chercheuse associée à l’Institut d’histoire et anthropologie des religions, que nous rencontrons ce matin-là en Gruyère dans sa lumineuse demeure. « C’est cette diminution de notre fréquence cardiaque qui enclenche le système parasympathique et nous procure alors une sensation de bien-être. »

Les pratiquantes et pratiquants de yoga interrogés par l’anthropologue ont souvent évoqué un sentiment d’union entre leur corps, leurs émotions et leur mental, voire avec la nature. © Félix Imhof / UNIL
Les pratiquantes et pratiquants de yoga interrogés par l’anthropologue ont souvent évoqué un sentiment d’union entre leur corps, leurs émotions et leur mental, voire avec la nature. © Félix Imhof / UNIL

Le 6 juin, cette auteure de l’ouvrage grand public Du souffle au corps. Apprentissage du yoga en France, en Suisse et en Inde, paru en 2019 chez L’Harmattan, a publié dans la revue L’ethnographie. Création. Pratiques. Publics un nouvel article consacré au yoga. Ce dernier s’appuie sur les données issues de ses terrains ethnographiques et de ses 90 entretiens menés en Inde, en Suisse et en France entre 2013 et 2019. Le but : montrer la façon dont la maîtrise du souffle peut agir sur le corps et favoriser des transformations dans la vie de certains individus.

« En affinant, par l’entraînement, l’attention portée à sa respiration, le ou la pratiquante modifie sa perception de son propre corps. Au fil du temps, ce changement peut avoir un impact plus ou moins important dans différents domaines de la vie, comme l’alimentation, l’orientation professionnelle ou le réseau social », résume la chercheuse, qui a suivi durant six ans les trajectoires de 32 personnes.

Depuis plus de 3000 ans

Les techniques de respiration occupent un rôle central dans le yoga, cette discipline originaire d’Inde aujourd’hui largement mondialisée. En témoignent les premières traces écrites qui présentent la maîtrise du souffle comme l’essence de cette pratique physique (1500 à 1000 av. J-C).

Une nouvelle sensibilité

Dans ses travaux, la chercheuse décrit le nadi sodhana, une méthode de respiration alternée qu’elle a pu observer auprès de trois enseignants à l’occasion de l’un de ses terrains dans le canton de Fribourg, à Paris et à Delhi. Cette technique consiste à inspirer puis expirer en fermant successivement ses narines droite puis gauche à l’aide de son index, invitant à contrôler son souffle et à se concentrer sur les effets ressentis.

« Apprendre à se focaliser sur sa respiration permet d’approfondir l’attention que nous portons à notre corps et à nos émotions, précise la scientifique, qui pratique elle-même le yoga depuis une dizaine d’années. Ainsi développée, cette sensibilité peut induire une nouvelle conception de son propre corps et pousser, par exemple, à manger plus équilibré ou à changer notre façon d’interagir avec autrui. »

Un sentiment d’« union »

Chez certaines personnes, la pratique du yoga va même jusqu’à changer leur vision du monde ou leur spiritualité. « Un sentiment d’union entre leur corps, leurs émotions et leur mental, voire avec la nature, le divin ou d’autres êtres humains est souvent évoqué. Quelquefois, ils et elles utilisent des termes qui s’écartent du langage ordinaire, comme le mot sanskrit prana, quirenvoie à la « respiration », au « souffle de vie », à « la force vitale ». Ce vocabulaire sous-tend une conception holiste du corps », constate cette ancienne étudiante de la Sorbonne (Paris-V – R. Descartes).

Bien sûr, tous les pratiquants et pratiquantes de yoga ne deviennent pas végétariens ou religieux. « Ces transformations dépendent du parcours de vie (marqué ou non par des événements de rupture) et des motivations de chacun », nuance l’anthropologue.

Aujourd’hui, alors qu’une nouvelle publication sur ce thème est en préparation, Caroline Nizard a choisi d’explorer plus avant la question du souffle, mais du point de vue de la méditation. Son but : montrer les congruences entre les deux. Un article est déjà en cours.