Stanley Jevons a reçu une formation de chimiste à l’University College de Londres au début des années 1850. Il est connu comme l’un des fondateurs de la théorie marginaliste du comportement du consommateur qui est devenue partie intégrante de l’équipement standard de l’économie moderne. Avant de se tourner vers l’économie politique dans les années 1860, il travaille pendant environ cinq ans comme l’un des deux essayeurs d’or à Sydney pour la Monnaie nouvellement créée. C’est son cousin William Roscoe, lui-même chimiste réputé, qui l’a recommandé pour ce poste.
Les deux pages sont extraites du journal de Letts pour 1855, journal que Jevons tient durant ses années en Australie. Jevons, alors âgé de dix-neuf ans, s’est installé à Sydney. Il y inscrit le mois en haut de la page, puis trace deux lignes de séparation pour les jours de la semaine. Après avoir pris des notes pour un jour, il trace une ligne pour commencer le suivant. Il fait de même pour les deux jours suivants, ce qui lui permet, en règle générale, de prendre des notes pour quatre jours sur deux pages.
L’entrée du « 1er décembre » montre des transactions financières et des paiements effectués : entre autres pour le journal de Letts pour l’année à venir, pour l’omnibus qu’il prend régulièrement pour se rendre à la Monnaie, et un important transfert d’argent à sa famille en Grande-Bretagne. Pour l’entrée du « 2 décembre », il copie un registre météorologique qu’il a emprunté au capitaine du « Maid of Judah », le navire qui l’avait amené à Sydney. Il y mentionne également une visite et prend note du temps qu’il fait. Le matin du 3 décembre, il termine de « copier et corriger » le registre météorologique – ailleurs dans le journal, il note qu’il est mécontent de sa qualité – et commence à marquer les données sur une carte à des fins de comparaison. Il fait également une remarque sur les erreurs trouvées dans les rapports d’essai que lui et Charles Miller, le deuxième essayeur de la Monnaie, ont rédigé. Le 4 décembre, Jevons rend le registre météorologique à Isaac Merchant, capitaine du « Maid of Judah », lit le thermomètre, fait une visite chez un marchand et poste une lettre pour payer des draps. Les entrées sont mentionnées avec une indication approximative du moment de la journée où elles ont été écrites (matin, après-midi, soir).
Cette exposition nous permet de reconstituer dans les moindres détails la vie de Jevons pendant ces quatre jours : paiements et activités sociales, scientifiques et professionnelles. Mais pour Jevons, elle représente plus noter ses faits et gestes. Enregistrer l’emprunt du registre météorologique implique la promesse de le rendre, ce qu’il fait deux jours plus tard. Le fait d’enregistrer qu’il n’a pas fini de copier tel élément signifie qu’il a encore du travail à faire – ce qui doit être terminé avant que le bateau ne reprenne la mer. Remarquer les erreurs commises au travail implique le souhait de s’améliorer. Le paiement d’un chèque à la banque est la concrétisation d’un engagement financier daté du 1er décembre.
Le journal intime modère sa vie sociale, financière, professionnelle et intellectuelle. Il séquence ses actions dans le temps. Il lui montre qui il est à travers ce qu’il fait. Ses actions impliquent des normes qui ne sont pas énoncées ou déduites logiquement. Mais elles sont impliquées dans ses actions. Envoyer de l’argent à la maison, payer une dette, rendre un registre emprunté, marquer des erreurs, payer des vêtements : de tels faits le montrent comme une personne diligente à qui l’on peut faire confiance et à qui il peut lui-même faire confiance.