Résumé :
Cet essai examine l’importance d’une culture comptable pour la montée du marginalisme dans l’Angleterre victorienne. Je retrace l’utilisation d’outils comptables dans la vie familiale et privée pour repousser les incertitudes du marché et pour renforcer le contrôle moral de soi, en examinant plus en détail l’utilisation de la comptabilité diaristique chez deux Victoriens, George Eliot et William Stanley Jevons. Le philosophe de l’esprit Alexander Bain a recommandé l’utilisation d’outils de comptabilité mercantile, en particulier l’algèbre morale de Benjamin Franklin, pour maîtriser l’esprit contre la prise de décision émotionnelle et myope. La recommandation de Bain a été testée de manière critique par Eliot dans Middlemarch et utilisée par Jevons pour naturaliser l’équilibre des plaisirs et des peines de l’esprit comme une algèbre des sentiments. Effaçant toutes les différences entre la raison et l’émotion, la théorie du plaisir et de la douleur de Jevons est devenue le fondement de la théorie de l’utilité des économistes. Les critiques contemporains de la théorie du choix rationnel prennent pour épouvantail cette image naturalisée de l’agent économique, ignorant l’infrastructure sociale qui a permis à cet agent, pensant comme un marchand, d’exister. L’idée que nous calculons rend compte d’une réalité sociohistorique, plutôt que d’un fait physiologique ou psychologique.
Pour citer cet article : Maas, H. (2016). Letts Calculate: Moral Accounting in the Victorian Period. History of Political Economy, 48 (suppl_1), 16–43. doi: https://doi.org/10.1215/00182702-3619226