Histoire du microfilm, 1920-1980

Durant des décennies avant l’avènement de l’électronique, le microfilm a suscité les espoirs d’une relève du papier comme support d’accumulation et de diffusion améliorées du savoir grâce au traitement et à la conservation de vastes quantités de documents textuels et visuels, au service des bibliothèques, des institutions publiques et des entreprises. C’est largement à travers lui que s’est ainsi jouée la transition entre la matérialité du papier et la supposée immatérialité du numérique : l’étude de son histoire, celle d’un « chaînon manquant » entre l’ère du livre et la culture numérique, s’avère par là essentielle pour saisir la préhistoire des « digital humanities ».

Acte I, 1920-1950

Toute la culture du monde sur pellicule :
essor et imaginaire du microfilm

Des années 1920 aux années 1950, d’importants développements technologiques, de forts investissements financiers et d’intenses discussions font naître de grands espoirs quant à l’avenir de la documentation grâce à ce nouveau support. Le microfilm, aussi appelé « photographie fonctionnelle » ou « textuelle » à l’époque, semblait promettre pour cela une efficacité inégalée, une réduction des coûts de production et de stockage, ainsi que l’accès à des informations plus nombreuses ou peu accessibles avant lui.

Royden Nixon, « Developing microfilm », Washington, D.C., 1942. Library of Congress

Si l’histoire du microfilm a ses racines en Europe, c’est aux États-Unis que la technologie va être développée sous la forme de vastes programmes de reproduction de livres et de journaux, de manuscrits et d’images. Par le biais d’une étroite collaboration entre institutions publiques et industrie photographique, les Etats-Unis aspiraient à dominer une technologie ayant le potentiel de changer la façon dont l’information serait à l’avenir collectée, traitée et partagée au niveau mondial.

LOT 1525 (détail), microfilmé le 16 janvier 1945. Library of Congress

Ce projet de recherche explorera les multiples vecteurs technologiques, culturels, économiques et politiques qui ont agi sur l’essor du microfilm. On examinera des projets concrets menés avant, durant et après la Deuxième Guerre mondiale, ainsi que les réseaux personnels, institutionnels, les échanges transnationaux ayant contribué à cet essor, en particulier à travers la coopération internationale mise en place dans le cadre de l’UNESCO après la guerre.

L’histoire du microfilm condense un imaginaire remontant aux fondements de la photographie : le rêve de tout collectionner, de permettre l’accès à des archives visuelles illimitées et de conférer aux objets matériels la mobilité de leur reproduction. Si le microfilm est ainsi partie prenante de l’histoire de la photographie, son étude est susceptible d’apporter tout autant aux sciences de l’information et des bibliothèques, à l’histoire culturelle des médias et des sciences, et de mieux comprendre par là certains grands enjeux de la société de l’information actuelle.

Acte II, 1950-1980

Au seuil du numérique :
microformes et systèmes automatisés de recherche des images

En se focalisant sur les années 1950 aux années 1980, ce second projet de recherche s’intéresse aux multiples instruments développés par les industries photographiques et informatiques pour accéder à ces « micro-images », leur associer des données et pour offrir ainsi de nouveaux moyens de gérer et de donner accès à des quantités inédites d’images. Il explore l’évolution des appareils de « lecture mécanique » sur écran, leur rapport à l’informatisation de la société et à la transformation de l’espace des bibliothèques et des bureaux. Pour cela, il examine différents projets concrets de reproduction de masse dans leur interaction avec des dispositifs électroniques. Si la microphotographie a suscité de grands espoirs quant à l’avenir immatériel de la documentation et à la démocratisation de l’information et du savoir, le projet s’interroge aussi sur les limites du médium face à l’essor de l’ordinateur, qui le reléguera au statut « passif » d’outil de conservation plutôt que de diffusion des informations.

Carte perforée avec illustration, tirée de Elizabeth M. Lewis, « A Graphic Catalog Index », American Documentation, vol. 20, no 3, 1969, p. 242.

Au croisement des sciences de l’information, de l’histoire culturelle des médias et des sciences, ce projet propose une histoire élargie de la photographie comme technologie de l’information et une contribution à l’écriture de l’histoire des humanités numériques.

Équipe

Le projet de recherche est rattaché au Centre des sciences historiques de la culture, Faculté des lettres, UNIL

Publications

  • Estelle Blaschke, « Bilder orten. Welt Orden. Geotagging und die Fotografie », in Felix Hoffmann et Kathrin Schönegg (dir.), Return to Sender. Utopien und Grenzen zirkulierender Bilder, Göttingen, Steidl, 2021 (à paraître)
  • Estelle Blaschke, « Diskrete Operationen: Formen präemptiver Bildzensur in der KI-gestützten Fotografie », Bildwelten des Wissens. Jahrbuch für Bildkritik 16 (dir. Katja Müller-Helle), 2020 (à paraître)
  • Estelle Blaschke, « From Microform to Drawing Bot: The Photographic Image as Data », Grey Room 75, Spring 2019: 63–80
  • Olivier Lugon, Nicolas Bouvier iconographe, Gollion/Genève, Infolio/Bibliothèque de Genève, 2019
  • Dossier « Câble, copie, code. Photographie et technologies de l’information », Transbordeur (dir. Estelle Blaschke et Davide Nerini), n. 3, 2019, pp. 6-145

Vidéeo de présentation de l’ouvrage avec Estelle Blaschke et Davide Nerini. L’intégralité de l’article d’introduction est accessible en ligne.

Colloques

Interventions