Publicité

Jeu vidéo suisse, prouve que tu existes

Dans un secteur hautement concurrentiel, l’industrie vidéoludique suisse essaie de tirer son épingle du jeu. Mais il est difficile de gagner en visibilité auprès du public en raison de la multiplication des plateformes. Pour exister, les petits éditeurs se muent en fins stratèges

Le jeu mobile «Persephone», développé par le studio Momo-Pi. — © Persephone, du studio Momo-Pi
Le jeu mobile «Persephone», développé par le studio Momo-Pi. — © Persephone, du studio Momo-Pi

Un stand rouge pétant pour attirer le chaland. A la Gamescom, grand raout européen du jeu vidéo qui se clôture samedi à Cologne, la délégation suisse a sorti le grand jeu. Chaque année, durant quatre jours, c’est la foire: les gros studios bandent les muscles tandis que les petits redoublent d’énergie pour susciter la curiosité du public. Les acteurs suisses font partie de la deuxième catégorie, sans pour autant jouer petit bras dans ce secteur hautement concurrentiel. Avec l’aide de la fondation Pro Helvetia, 18 studios de développement ont fait le déplacement en Allemagne.

Lire aussi:  Le jeu vidéo «Swiss made» se fait un nom par son originalité

Martin Charrière, concepteur de jeux vidéo fribourgeois, était de la partie avec un jeu dans ses bagages: Tower of Babel, signé DNA Studios. Dans cette aventure collective, les joueurs doivent construire une tour en évitant la catastrophe: son effondrement provoqué par des explosions ou des tours de magie. Le slogan choisi pour cette création, qui sortira prochainement sur la Nintendo Switch, fait mouche: «Aucune pitié». Une adversité qu’on retrouve dans l’industrie vidéoludique. «Se faire remarquer n’est pas évident. Pour obtenir une place, il faut être présent aux événements comme la Gamescom, faire parler de nous, tout en adoptant une ligne, définir son identité», détaille le créateur bullois. Il faut également miser sur la bonne plateforme: le jeu sera-t-il présent sur mobile, sur ordinateur ou sur une console de salon?

La guerre des plateformes

Commercialisée en 2017, la Switch offre   un terrain favorable à la production indépendante. Elle propose d’ailleurs une dizaine de jeux suisses. «Le rapport au public est différent. Le consommateur jugera moins le jeu par rapport à son photoréalisme ou ses caractéristiques techniques. La console repose sur une dimension nostalgique», note David Javet, cofondateur du GameLab, un groupe d’études de l’Université de Lausanne.

Le géant japonais Nintendo, dans les premiers mois de sa sortie, distribue à tour de bras des kits de développement aux éditeurs, quelle que soit leur importance. Cet appareil permet d’adapter le jeu avant son lancement officiel sur Switch. L’objectif est simple: satisfaire les premiers utilisateurs. Une période faste qui ne dure pas. Le succès du produit, qui s’est écoulé à près de 37 millions d’exemplaires (données de juin 2019), a fait enfler le catalogue de jeux. Désormais, les petits acteurs du marché doivent batailler pour exister. «C’est la fin de l’eldorado», résume David Javet.

Lire aussi:  Vaud se veut le Player One du jeu vidéo suisse

Afin de se démarquer, les développeurs suisses se muent en fins stratèges. «Pour un pays comme la Suisse, qui fait ses premiers pas dans l’industrie, il est important d’identifier les plateformes qui émergent. Il faut prendre le train en marche», confirme Sylvain Gardel, responsable du point fort culture et économie chez Pro Helvetia. Une mission difficile alors que la guerre des plateformes fait rage. Plusieurs acteurs tentent en effet de s’imposer sur le marché, à l’image de Google qui présente en grande pompe son projet Stadia. Une technologie qui permet de jouer en ligne à des jeux gourmands en énergie, sans carte graphique.

Sur nos blogs: Fortnite, une foire aux questions

Autre acteur remuant: Epic Games. L’éditeur du jeu à succès Fortnite a ouvert sa propre plateforme. «Cette stratégie extrêmement agressive a provoqué un tollé dans la communauté des joueurs sur ordinateur. La situation est semblable à la guerre des constructeurs de consoles qui négocient durement l’exclusivité des jeux. Ceux qui en pâtissent, ce sont les consommateurs puisqu’il devient nécessaire d’avoir plusieurs services pour accéder aux jeux», souligne David Javet. Résultat, dans cet écosystème éclaté, les studios suisses ne peuvent se contenter de leur cœur de métier, le travail créatif et technique, pour s’imposer. La communication s’avère vitale pour gagner en visibilité. Exemple avec DNA Studios: son jeu Tower of Babel a nécessité un mois et demi de développement «pour faire les choses bien», suivi de trois mois d’effort marketing.

Communiquer pour se démarquer

La présence à un salon comme la Gamescom permet également d’établir des contacts avec la presse spécialisée. «La scène suisse est relativement jeune, il est donc indispensable de connaître des représentants de médias étrangers. On gagne ainsi des heures de travail pour communiquer sur le jeu», indique Martin Charrière. Se projeter hors des frontières nationales est un élément clé de la réussite. Un constat avancé par le Fribourgeois Rinaldo Wirz, cofondateur du studio Momo-Pi: «Selon moi, le marché suisse n’existe pas. Il n’y a qu’un marché international car tout est digitalisé. Pour réussir à s’exporter, le secret est avant tout de proposer un bon jeu.» Lui a fait le choix du jeu mobile, «un marché saturé», mais fort d’une vaste communauté de joueurs. «Les grands éditeurs dépensent des millions dans la stratégie promotionnelle. Les indépendants doivent ainsi réfléchir à d’autres moyens d’exister, comme décrocher des récompenses», estime-t-il. C’est justement la voie empruntée par sa petite équipe, qui a obtenu plusieurs prix, dont un prestigieux Shonen Jump+ Award, du nom du magazine japonais mondialement connu pour sa série Dragon Ball.

Lire également: Game girls, le jeu vidéo saisi par les femmes

Rinaldo Wirz le répète à l’envi: «C’est une erreur de penser que tout est fini quand le développement du jeu est terminé. Si on manque l’étape de la communication au lancement, la visibilité du jeu va ne faire que diminuer. Il y a de la pression.» Pour souffler, certains studios adoptent une tout autre stratégie: séduire un géant du secteur pour bénéficier de sa force de frappe et d’un soutien financier.

Un positionnement payant pour Ozwe, entreprise lausannoise spécialisée dans la réalité virtuelle. Elle fabrique des jeux en exclusivité pour Oculus, filiale de Facebook qui finance intégralement ses projets. «Nous ne sommes pas dans la même urgence que des studios qui s’attaquent à un marché plus risqué comme le mobile. L’écosystème de la réalité virtuelle est plus réduit. C’est une position particulière», affirme son directeur Stéphane Intissar. Le créateur de la saga Anshar Wars, une sorte de guerre des étoiles, estime qu’un studio doit se baser sur ses qualités pour réussir. Une gestion qui se veut pragmatique. «Le côté entrepreneurial est plus développé en Suisse, observe Sylvain Gardel. Les studios deviennent de véritables PME, ça commence à prendre.» Entre 2015 et 2018, le chiffre d’affaires de l’industrie vidéoludique suisse a triplé, passant de 50 à 150 millions de francs. Le signe d’un secteur qui se professionnalise à grande vitesse.