Votre navigateur est obsolète. Veuillez le mettre à jour avec la dernière version ou passer à un autre navigateur comme ChromeSafariFirefox ou Edge pour éviter les failles de sécurité et garantir les meilleures performances possibles.

Passer au contenu principal

Le Menuhin Festival marie douces notes et belles églises

Comme pour perpétuer l'ouverture de Menuhin qui faisait volontiers tomber les frontières musicales en associant son violon à la sitar d'un Ravi Shankar, par exemple, le Bâlois Christoph Müller, directeur artistique du Gstaad Menuhin Festival depuis 17 ans, aime surprendre chaque année les puristes avec quelques concerts loin des sentiers traditionnels du répertoire classique. Le week-end dernier à Saanen, c'est la belle Ute Lemper qui a trôné telle une Madonne jazzy au milieu des fresques du 15e siècle. Cachées dès 1604 par les Bernois mais mises à jour en 1929, celles-ci recouvrent les murs de l'église Saint-Maurice, que l'Allemande a littéralement transformé en cabaret parisien, avec son tour de chant tissé de refrains sensibles autant que coquin. L'artiste a déclamé une longue, polyglotte et généreuse déclaration d'amour à la chanson du siècle passé, de Billie Holiday à Jacques Brel, de Piaf à Gainsbourg, de Dietrich à Ferré… Hissant des textes intimistes au rang de nouveaux standards. Illuminant les incontournables de son timbre velouté ou sa gouaille érotique. Une soirée sensuelle et joyeuse entrée dans l'histoire du festival! «Qui montrent que des standards d'aujourd'hui touchent à la beauté de certains airs classiques», ose Christoph Müller.

Vendredi 9 août, dans l'Obersimmental bernois. Le public se laisse surprendre par l'ambiance fin de siècle qui règne sous la voûte en berceau boisée de l'église de Zweisimmen. Au programme, Franck, Saint-Saëns et, surtout, l'enivrant «Concert» pour cordes et piano d'Ernest Chausson que la violoniste Isabelle Faust, Alexander Melnikov au clavier et le quatuor Salagon ont interprété magnifiquement. Autre ambiance le samedi matin dans la petite chapelle de Gstaad. Lauréate Junior du Concours Menuhin 2018, la jeune Clara Shen (12 ans) réveille avec virtuosité une poignée de «lève-tôt», décidés à poursuivre leur journée en balade dans les prairies montagneuses. Et le soir dans la majestueuse église romane de Saanen, place à la madone Ute Lemper, l'un des grands moments de ce week-end artistique qui sera encore marqué par deux autres concerts anniversaires: ceux dédiés à Bartók qui, il y a 80 ans jour pour jour, esquissait son «Quatuor N° 6» et, surtout, composait son «Divertimento» dans l'un des chalets de Saanen.

Des festivals de musique classique, il y en a pléthore. Tout au long de l'année et aux quatre coins du monde. Des concerts proposés dans des petites chapelles ou grandes églises sont, finalement, indissociables du genre. Mais avec son enchaînement ininterrompu, avec la qualité et la variété des rencontres proposées tout au long de l'été et dans autant de lieux magiques, le Gstaad Menuhin Festival fait véritablement figure d'exception dans la cartographie internationale des rendez-vous dédiés aux belles notes. Rattaché à la très huppée station bernoise, on ne soupçonne d'ailleurs pas que ce festival constitue une vraie porte d'entrée pour partir à la découverte des pays d'en haut, à cheval entre le Plateau, où trônent Château-d'Œx et la région du Saanenland. Durant plus d'un mois, ce sont en effet une cinquantaine de concerts qui investissent les chapelles et églises alpines. Des églises qui, chacune à leur manière, racontent un peu l'histoire de ces vallées reculées et de leurs habitants.

Fresques longtemps couvertes de chaux, architectures et aménagements intérieurs chamboulés… dans les vieilles pierres, on lit l'éclosion de la Réforme, avec ces églises catholiques déguisées en temples. Les murs blancs, finement décorés de paroles bibliques ou d'entrelacs rappellent aussi l'austérité protestante qui s'est imposée depuis Berne. À l'intérieur, toujours, avec les boiseries qui composent de très fins plafonds, dans les voûtes charpentées, sur les galeries massives qui craquent sous les pas, on découvre aussi la fierté de mettre en scène et de sublimer le talent des artisans et menuisiers du coin. Quand ce ne sont pas les flèches élancées ou les toits pentus qui rappellent que, l'hiver, la neige s'amoncelle souvent.

Partout autour de Gstaad, dans un rayon de 20 km, une vingtaine de bâtiments religieux constitue un catalogue unique de petits joyaux architecturaux. «Ces églises révèlent surtout à quel point cette région montagneuse restait rurale et pauvre, s'amuse Dave Lüthi, historien de l'architecture à l'Université de Lausanne. Aujourd'hui, on admire ces constructions des XIIe, XIVe, XVIe siècles, mais c'est tout le paradoxe de cette richesse: les églises ont été sauvegardées parce que… les collectivités n'avaient par les moyens de faire ce qui s'est réalisé ailleurs: raser et reconstruire. Aussi parce que les Bernois ont toujours été économes.»

Ces réalités historiques permettent aujourd'hui aux pays d'en haut, vaudois et bernois, de s'enorgueillir de l'une des plus intéressantes concentrations de belles églises du pays, confirme le professeur de l'UNIL, un peu comme dans le Val-de-Ruz, où trône une poignée d'exemples – des XVIe et XVIIe siècles, cette fois-ci – ou dans le Chablais et à Lavaux, où l'on peut observer des dizaines de clochers avec flèches en pierre, tous signés par le même architecte entre 1460 et 1520. «C'est finalement assez rare de voir autant d'objets intéressants ou particuliers sur un si petit territoire.»

L'atout d'un festival

Dès 1957, le violoniste Yehudi Menuhin a fait de cette richesse l'un des atouts de son festival. Depuis les années 1980, une grande tente a permis à la programmation de diversifier son public avec des grands concerts plus symphoniques donnés à Gstaad. Mais, à son origine déjà, le festival créé par le virtuose américain a investi l'église de Saanen. Avec ses 700 places, elle constitue toujours le cœur de la manifestation. Celles de Rougemont ou de Lauenen aussi.

Ces deux dernières décennies, d'ailleurs, de nombreux autres lieux «hors-les-murs» ont été investis. Selon les années, jusqu'à 13 sites différents sont utilisés de Château-d'Œx à Gsteig, en poussant jusqu'à Lenk ou Vers-l'Église. Parmi les plus originaux ou charmants, figurent les rendez-vous programmés dans l'église Sainte-Marie de Zweisimmen (env. 400 places), à 30 minutes de Gstaad en direction de Thoune, dans l'Obersimmental, ceux qui s'installent à Rougemont, au Pays-d'Enhaut, dans l'église clunisienne Saint-Nicolas, l'une des plus importantes et plus anciennes de Suisse romande, ou encore ceux éclairés à la bougie sous le plafond de bois et la voûte céleste de l'église Saint-Pierre de style gothique tardif, à Lauenen. «À Lauenen, c'est peut-être l'endroit où le lieu influence le plus la programmation, observe Christophe Müller, l'intendant et CEO du festival. Car l'ambiance créée lors de chaque concert et l'acoustique subtile de l'église génèrent une sensation unique.»

Un point de vue que vient élargir le pianiste français Bertrand Chamayou, l'habitué du festival qui a assuré, dimanche passé, le dernier et cinquième chapitre de sa résidence conduite à l'occasion de l'édition 2019. «C'est bien vrai, le cadre dans lequel sont proposés les concerts de ce festival reste particulier. Jouer dans l'église de Saanen est, par exemple, à la fois facile et difficile car l'architecture n'est pas évidente avec son volume intérieur carré mais le son y est riche, l'acoustique très bonne. L'endroit est très inspirant, particulièrement beau avec ces fresques qui recouvrent les murs, avec le cirque de montagnes que l'on a vu à l'extérieur. À Rougemont, par contre, le cadre est plus intimiste. Cette petite église constitue un écrin merveilleux pour des propositions plus simples, pour des moments particuliers réfléchis comme tels.» Autant de particularités qui font que chaque soir de concert, à Gstaad, garde une saveur unique.

----------

Gstaad, Pays-d'Enhaut et Saanenland Tous les jours, jusqu'au 6 sept. www.gstaadmenuhinfestival.ch