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Expositions à YverdonLa Maison d’Ailleurs vit des «Transformations!»

L’affiche de M. Garcin.

Le titre, «Transformations!» peut sembler sibyllin. L’affiche sur fond jaune citron risque de paraître surchargée et confuse. Aucune importance, bien au contraire! La nouvelle exposition de la Maison d’Ailleurs d’Yverdon-les-Bains joue sur la complexité des adaptations possibles de la BD américaine dans les autres langues. Elle a dû s’adapter à des mentalités différentes et à des législations répondant à des critères locaux. Un seul exemple. L’image originelle d’une amazone s’apprêtant à frapper de son poignard un Noir, visiblement dangereux, n’a pas subi la même censure en France et en Italie dans les années 1950. A Paris, elle a perdu son arme et quelques centimètres de jupe. A Rome, elle porte une robe presque longue, mais elle a conservé son couteau affilé.

«On ne savait visiblement pas trop que faire en France de cette création originale procédant par «strip» ou par page.»

Marc Atallah

«Tout a mal commencé entre la France et les Etats-Unis, explique le directeur Marc Atallah, qui cosigne cette fois la manifestation avec le collectionneur Jean-Michel Ferragatti. «Regardez la différence entre les planches publiées à partir de 1905 par Winsor McCay dans la presse new-yorkaise et leur reprise dans «La jeunesse moderne». A Paris, les bulles se sont vues supprimées au profit d’un texte continu, publié sous chaque image.» La bande dessinée a du coup perdu la spécificité que lui avait donnée Rodolphe Töpffer. «On ne savait visiblement pas trop que faire de cette création originale procédant par «strip» ou par page. La presse française s’est du coup contrainte à l’adapter, c’est-à-dire à la transformer.» De Paris était pourtant partie l’idée du «serial» cinématographique («Fantômas», «Judex»), qui devait connaître une si grande fortune outre Atlantique à partir de 1914…

Marc Atallah, directeur de la Maison d’Ailleurs, dans l’exposition «Transformations!»

L’idée d’adapter, autrement dit de modifier, n’est bien sûr pas propre à la BD. L’architecture se transforme au gré des usages. On a agrandi des tableaux et coupé dans d’autres. La notion d’une traduction vraiment fidèle constitue une nouveauté pour l’édition. Les films se sont enfin vus coupés, doublés et censurés. Autant dire que certains d’entre eux existent dans de multiples versions, aucune ne correspondant à la volonté de leurs auteurs. «On a voulu croire en France que la bande dessinée s’adressait aux seuls enfants. Il existait du coup l’idée d’une littérature bis, vaguement déshonorante, et d’un dessin n’offrant rien d’artistique. Tout devenait du coup permis avec le contenu de ces publications bon marché.» Dont celui bien sûr des «comics» relatant semaine après semaine les aventures des super-héros, lancés à la chaîne à la fin des années 1930. Le nom des personnages lui-même pouvait changer. Si «Flash Gordon» s’est contenté de devenir «Guy l’éclair», «Batman» a un temps été «Le masque rouge». Il ne fallait fâcher personne et se soumettre aux lois locales. «Sous l’Occupation, la zone libre du maréchal Pétain obligeait les éditeurs à supprimer les décolletés, ce qui n’était pas le cas dans la partie contrôlée directement par les Allemands.»

Une chasse aux sorcières

«Il a toujours existé une tendance lourde à censurer», poursuit Marc Atallah. «En France, elle a reposé sur les lois de protections de la jeunesse, dont la plus fameuse date de 1949. Aux Etats-Unis, le livre «Seduction of the Innocent», écrit par le psychiatre allemand Fredric Wertham en 1954, a engagé une véritable chasse aux sorcières.» Les petits lecteurs étaient en danger. La violence de la BD allait en faire des criminels. Les robes courtes allaient les métamorphoser en obsédés sexuels. «Il allait se dire plus tard la même chose de la télévision.» Bref, il convenait de contrôler et d’expurger. Je signale du reste que nombre de bibliothèques des Etats conservateurs des USA sont en train de faire de même aujourd’hui. La rigidité des interdits anciens s’est heureusement assouplie avec le temps, pour se voir contestée dans les années 1980. Mais elle n’était pas la seule coupable. «L’intelligentsia a joué un rôle nocif en rabaissant continuellement les sous-genres n’entrant pas dans ses catégories élitaires.» Il faudra des décennies pour que «Wonder Woman», par ailleurs adepte du «bondage», devienne une héroïne féministe.

La Maison d’Ailleurs revisitée.

La BD possède de nos jours un autre statut. Ce sont des intellectuels qui la défendent, alors qu’au départ elle se voyait imprimée sur un papier de dernier ordre destiné aux exclus de la culture. De richissimes collectionneurs se battent à coups de centaine de milliers de francs pour acquérir des planches originales. Vous savez qu’on parle d’un musée, ou d’une maison, de la bande dessinée à Genève. Pas étonnant donc que cet art se voit détourné depuis les années 1960. Dans le sens du rehaussement, cette fois! Il suffit de penser aux tableaux de Roy Lichtenstein. Comme toujours, la Maison d’Ailleurs laisse du coup une large place aux créateurs internationaux d’aujourd’hui. Ils vont du Suédois Andreas Englund, qui met en scène des super-héros vieillissants (alors qu’ils ne prennent normalement pas une ride!), aux affiches alternatives de Richard Tran en passant par les variations «batmanniennes» de l’Italien Adrian Tranquilli. Plus bien sûr les collages de Mr. Garcin! Ceux-ci regroupent tant de personnages collés les uns sur les autres que ses compositions en deviennent presque abstraites. Mais après tout, des êtres de fiction issus de mondes très différents n’arrivent-ils pas à se rencontrer par «crossover»? «Nous proposons ainsi à la Maison d’Ailleurs un jeu participatif. Les visiteurs pourront jongler avec les univers créés par les auteurs de BD, dont les personnages sont théoriquement décalés dans le temps.»

«On connaît les revues et les films des «Maîtres de l’Univers», mais tout est ici parti pour une fois des figurines.»

Marc Atallah

Comme l’an dernier avec la machine à écrire, le musée d’Yverdon propose en parallèle une seconde exposition. Il suffit pour y accéder de franchir le petit pont de verre menant à l’Espace Jules-Verne. «Si «Transformations» est basé sur l’extraordinaire collection formée par Jean-Michel Ferragatti, nous nous sommes ici approvisionnés dans notre fonds de jouets.» Tout tourne autour de la production des figurines de «Masters of the Universe», lancées par ce Mattel qui avait auparavant imaginé le monde féminin, lisse et rose des poupées Barbie. «On connaît aujourd’hui les revues et les films, mais tout est pour une fois parti des jouets, qui forment en principe des produits dérivés.» Le public peut comprendre comment une série se modifie au cours du temps, afin de coller à l’actualité d’un public changeant. Le mélange des «Maîtres de l’Univers» plastifiés et d’une bibliothèque renvoyant elle au XIXe siècle apparaît selon moi détonnant. Le passé regarde l’avenir, à moins que ce ne soit le contraire. Mais comme on nous l’a déjà dit pour l’exposition précédente, la simultanéité devient avec les super-héros une chose pour le moins relative.

Pratique

«Transformations!» et «Musclor et les Maîtres de l’univers», Maison d’Ailleurs, 14, place Pestalozzi, Yverdon-les-Bains, jusqu’au 8 janvier 2023. Tél. 024 425 64 38, site www.ailleurs.ch Ouvert du mardi au dimanche de 11h à 18h.

Lors de son lancement en France, courant 1939, Superman s’appelait Yordi

Derrière l’exposition, un collectionneur fanatique de BD, Jean-Michel Ferragatti. «J’ai commencé à 8 ans.»

Une exposition, une collection? Beaucoup de manifestations actuelles semblent correspondre à cette équation simple. L’organisation prend moins de temps. Elle se révèle moins coûteuse. Les privés pinaillent moins, paraît-il, que les institutions publiques pour les assurances, les transports ou les conditions climatiques. Je vous rassure tout de suite. «Transformations!» ne répond pas à cette logique du moindre effort. Vu le sujet abordé, à savoir les métamorphoses que la censure, ou plus simplement les particularités culturelles, induisent il était difficile de faire sans Jean-Michel Ferragatti, qui a prêté plus d’une centaine de pièces à la Maison d’Ailleurs d’Yverdon-les-Bains.

Trois cent trente articles

Mais qui est-ce, au fait? Un passionné, bien sûr! Le Français est tombé à huit ans non pas dans le chaudron magique, comme Obélix, mais chez les kiosquiers vendant des BD françaises, mais aussi d’origine américaine ou italienne. Cette passion d’enfance, jamais démentie, a fait de lui à 51 ans un professionnel. «Enfin plutôt un spécialiste… Je suis de métier fiscaliste, travaillant pour des entreprises.» L’homme se base sur sa collection pour écrire sur un site des chroniques du genre pointu. «Environ 330, à ce jour.» Il s’agit cependant du second ensemble d’archives constitué par ses soins. L’homme a vendu le premier, «il y a environ quinze ans». Un cas fréquent. Il y a comme cela des aléas dans la vie.

«Mes sources tendent hélas à se tarir. je trouve de moins en moins de choses.»

Jean-Michel Ferragatti

Comment s’approvisionne Jean-Michel Ferragatti? «Un peu partout en France. Les bouquinistes. Les puces. Les déballages. Mes sources tendent hélas à se tarir. Je trouve de moins en moins de choses.» Certains états de conservation se révèlent en prime préoccupants. «C’est un véritable problème. Je pourrais bien sûr ne jamais toucher à certaines revues, de peur de les abîmer encore davantage. Mais d’une part elles forment mon champ d’investigation. Et de l’autre je pense qu’une collection doit demeurer vivante. Je me contente donc de faire attention.»

Les «comics» de juin 1940

Quelles sont pour Jean-Michel Ferragatti ses pièces les plus rares? «Tout ce qui se voit imprimé sur un mauvais papier pour coûter le moins cher possible est destiné à devenir rare.» Mais encore… «Je dirai que mon ensemble de «comics» français de juin 1940 possède peu d’équivalents.» Dans cette époque qui portait en plus peu à rire, les kiosques étaient fermés. La distribution interrompue. Les gens sur la route, à cause de l’Exode. «Seuls quelques abonnés restés chez eux les ont reçus par une sorte de miracle. La poste fonctionnait parfois encore. Le reste abandonné a fini à la poubelle.»

Buster Crabbe avec sa partenaire de «Flash Gordon».

Et pour compléter, les aventures originales du «Flash Gordon» de 1936 sur Internet!

Si vous n’avez pas fait le plein de super-héros après avoir vu les excellentes expositions d’Yverdon (à la fois cérébrales et grand public), vous pouvez vous mettre à l’ordinateur. J’ai regardé à votre intention sur Youtube le «serial» tourné d’après Alex Raymond en 1936. «Flash Gordon», qui était supposé devoir sous forme d’épisodes présentés de manière hebdomadaire, s’y retrouve présenté en un bloc (complet? pas complet?) durant un peu plus de deux heures. Le temps de tourner allègrement dans l’espace autour de la planète Mongo.

Truquages primitifs

Le film vaut assez peu pour la réalisation de Fredrick Stephani, ni pour le scénario, qui apparaît singulièrement répétitif. Il faut dire que l’Universal, dont ce fut d’un des plus gros succès commerciaux avant la guerre, obligeait l’équipe technique comme les acteurs à tourner douze heures par jour. Le charme du film vient du coup de sa naïveté, que l’on retrouverait sans doute dans les «sequels» de 1938 et de 1940. Rien de roublard ici , comme dans l’affreux «remake» de 1980, tourné à coups de millions de dollars. Nous sommes résolument dans le fauché, avec des effets spéciaux presque aussi primitifs que chez Georges Méliès vers 1910. D’où paradoxalement une certaine magie renvoyant aux «primitifs».

Et Buster Crabbe à la ville vers 1940, quand il n’était pas Buck Rogers, Tarzan ou Billy the Kid.

C’est Buster Crabbe qui incarne Flash. L’histoire vaut la peine d’être racontée. Champion olympique de natation en 1928, Johnny Weissmuller était devenu une star de la MGM en 1932 avec «Tarzan l’homme singe». La Paramount décida donc d’engager le gagnant de 1932 aux JO de Los Angeles. Pris sous contrat, Buster végéta sur ses plateaux. Notamment en Tarzan, bien sûr! En 1936, il vint en curieux voir le «casting» de «Flash Gordon» à Universal City. Et c’est lui qui, racheté à la Paramount, obtint le rôle dont il avait exactement le physique. Il devait par la suite incarner, sans trop d’illusions sur la qualité de certaines bandes, Buck Rogers, Billy the Kid ou Capitain Gallant. Une vie entière en Série B, puis à la télévision…

Pratique

«Flash Gordon», à regarder sur Youtube, chaîne de Mystery Steamboat. La copie, en version originale, me semble très correcte.