Hercule de Roche. "Benjamin Constant (1767-1830), Ecrivain et homme politique français". Huile sur toile. Paris, musée Carnavalet.

Hercule de Roche. "Benjamin Constant (1767-1830), Ecrivain et homme politique français". Huile sur toile. Paris, musée Carnavalet.

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Des deux finalistes de l'élection présidentielle, l'un était supposé libéral mais n'a jamais revendiqué cette filiation, quand l'autre a pu décrire par le passé la liberté économique comme une "horreur ultralibérale". C'est dire si le libéralisme n'a pas bonne presse en France. Et pourtant, notre contrée a donné au monde certains des plus grands penseurs de la liberté, à commencer par la trinité Montesquieu, Constant et Tocqueville.

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Mais s'ils font référence partout ailleurs, ils restent en France peu lus et compris dans toute leur complexité, voués à jouer le rôle de distributeurs de citations. Pour pallier notre ignorance, on appréciera donc tout particulièrement l'excellente biographie de Benjamin Constant publiée par Léonard Burnand, professeur d'histoire moderne et doyen de la faculté des Lettres de l'université de Lausanne. A la clef, un voyage dans ce tournant du siècle où la démocratie balbutiante cherchait son chemin entre l'intransigeance monarchique et jacobine.

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Né à Lausanne en 1867 d'un père austère et d'une mère qui meurt en couches, Benjamin Constant fréquente les meilleures universités d'Europe tout en y menant une vie dissolue. Revenu en Suisse, il fait en 1794 la rencontre de Germaine de Staël, fille de Necker et figure montante du libéralisme européen - un "tournant décisif" aussi affectif qu'intellectuel. Attiré par la politique, il devient une figure du Directoire, sa proximité avec Sieyès lui permettant de rejoindre le Tribunat, avant qu'il ne s'oppose aux tentations autoritaires de Napoléon et s'exile en 1803 avec sa maîtresse.

Pendant l'Empire, il vivra entre la Suisse, l'Allemagne et la France, rencontrant les plus grandes figures de son temps comme Goethe, et finissant par s'éloigner de Germaine pour épouser l'Allemande Charlotte von Hardenberg. La fin du régime honni lui fournit une nouvelle opportunité d'entrer en politique : soutien d'une monarchie tempérée par la "Charte constitutionnelle" de 1814, élu député en 1819, il siège au sein de l'opposition libérale. Brillant orateur, il est si populaire que des produits à son effigie sont commercialisés. Il s'éteint, malade, quelques mois après l'avènement de Louis-Philippe, qu'il a soutenu. Ses funérailles, nationales, attirent un cinquième de la population parisienne.

Libéralisme sélectif

On retrouve dans ce parcours romanesque les ingrédients du libéralisme français : Constant est protestant, cosmopolite, et il admire le modèle politique anglais. Depuis sa première brochure, De la force du gouvernement actuel et de la nécessité de s'y rallier, publiée en 1797, à son magistral discours de 1819, "De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes", en passant par les nombreux articles qu'il publie dans la presse, il défendra sans relâche le même principe : "Liberté en tout, en religion, en littérature, en philosophie, en industrie, en politique, et par liberté j'entends le triomphe de l'individualité tant sur l'autorité qui voudrait gouverner par le despotisme que sur les masses qui réclament le droit d'asservir la minorité à la majorité."

Cette riche biographie, qui entremêle avec fluidité la vie et l'oeuvre de l'auteur d'Adolphe, force à s'interroger sur le sort du libéralisme en France. Son succès intellectuel, dans la France du XIXe siècle, a atteint des sommets dans les périodes les plus illibérales, la Terreur et ses suites, les deux empires et la Restauration. Face à un ennemi clairement identifié, il ne pouvait que prospérer, et il a largement contribué à fonder la monarchie de Juillet et la IIIe République.

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Une fois la révolution "entrée au port", cependant, la pensée libérale a périclité, comme si elle n'était plus nécessaire. Elle a connu un renouveau intellectuel après la Seconde Guerre mondiale, jusqu'aux années 1990, quand le dirigisme hérité du conflit et le poids des Etats providence ont fini par étouffer la société civile, mais son succès politique, en France, est resté mitigé. Depuis, il est sous le feu des critiques, victime d'un procès en élitisme et en sans-frontiérisme. Aujourd'hui, la France est le lieu d'un libéralisme sélectif : partie intégrante du club des démocraties avancées, sa politique préfère le pouvoir aux contre-pouvoirs et son degré de liberté économique est plus faible qu'ailleurs.

L'obstacle que constitue notre amour de l'Etat est sans doute pour beaucoup dans cet état de fait. Cependant, n'est-ce pas aussi que certains promoteurs de l'idée libérale l'ont rendue suspecte en oubliant ses fondements ? Le libéralisme historique n'a jamais été une injonction au déracinement : ancré dans des nations et des traditions, il était malgré lui l'héritier d'un monde non libéral qui lui servait de socle. Une réalité manifeste dans la vie et l'époque de Constant, et que les libéraux feraient bien de prendre en compte s'ils veulent retrouver leur influence perdue.

Benjamin Constant, par Léonard Burnand. Perrin, 350 p., 23 ¤.

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