Ecrire après la peste noire : épisode • 7/8 du podcast La Grande peste, l'empreinte d’une tueuse

Décaméron - BNF
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Et si la grande peste avait changé la littérature et était le début d’une nouvelle ère culturelle.

La peste pourrait être une rupture, un seuil, un début ou une fin,  le moment à partir duquel on décide, ou bien où l’on est obligé, de changer les choses, de faire autrement ou de tout recommencer. Et c'est peut-être ce qui s’est passé pour les auteurs du Moyen âge : Boccace, Pétrarque ou Guillaume de Machaut qui ont inventé une nouvelle écriture de l'après...mais de l'après quoi ...ou plutôt du début de quoi ?

Patrick Boucheron explique ainsi que le Décaméron de Boccace est une révolution narrative, l’apparition d’un nouveau genre littéraire car, “c'est d’une certaine manière, la matrice de ce qu'on va appeler la novelistica, la nouvelle, c'est ce qui vient d'advenir, la mise en récit de l'événement en cours et l'événement en cours pour Boccace, c'est la dernière catastrophe en date, c'est la peste“ et c’est en ça que l’historien pense que “le Décaméron est un texte fondamental, matriciel. Il l'est sur le plan historique, il l'est sur le plan littéraire. Il précipite une révolution narrative et le moteur de cette révolution, c'est l'épidémie, c'est la mort et c'est le discours du survivant“.

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De son côté, le médiéviste Etienne Anheim, en évoquant Pétrarque analyse : “Au fond, il y a toute une partie du monde de Pétrarque qui s'effondre. Et lorsqu'il rentre à Avignon, le monde est largement dépeuplé, mais y compris dépeuplé d'êtres qui lui sont chers. Et ça va produire dans son imaginaire personnel, dans sa perception du temps, dans sa perception aussi de son œuvre littéraire, un bouleversement très profond“.

Estelle Doudet relate comment le poète Guillaume de Machaut voit son monde bouleversé par l’apparition de la peste où il doit se confiner et vivre avec la mort comme il l’écrit dans son poème consacré à la peste, “Le jugement du roi de Navarre“. Un poème explique l’historienne de la littérature médiévale  qui montre comment privé de normalité : “Il doit découvrir de nouveaux moyens pour trouver l’inspiration, mais il n'en trouve pas et c’est ce qu’il raconte en ce début de poème, c'est un bouleversement du monde qui empêche l'écrivain d'écrire“.

Etienne Anheim voit également une rupture littéraire liée au surgissement de la peste : “Je pense que c'est une rupture qui est très largement inconsciente, mais avec en revanche une conscience claire du fait que les temps étaient en train de changer et qu'il fallait de nouvelles formes pour raconter ces nouveaux temps“ Il ajoute par ailleurs : “Ce qu'on appelle parfois l'automne du Moyen Âge, ça pourrait aussi très bien être le printemps de la Renaissance, et on pourrait considérer que la peste, c'est la fin d'un temps médiéval et d'un certain rapport au temps qui est celui qu'on appelle aujourd'hui le Moyen Âge“.

C'est un événement tellement inouï qu'il a du mal à trouver sa place dans la narration“,  nous explique-t-il, ce qui “est un paradoxe intéressant“ et comparable d’un certain point aux évènements que nous vivons aujourd’hui. Ainsi, il suffit de regarder les séries actuelles sur les plateformes de diffusion comme Netflix, pour se rendre compte que le masque, cet objet devenu si familier n’existe pas, pourtant, “il y a bien des milliards de gens qui, depuis 18 mois, portent des masques. Si dans 500 ans, dans 600 ans, on ne dispose que, par exemple, des séries télévisées qui ont été produites et qui ont été diffusées après la pandémie. En fait, on ne verra quasiment pas les masques“.

Un documentaire de Perrine Kervran, réalisé par Anne Perez.

Avec :

Patrick Boucheron, historien, médiéviste, professeur au Collège de France

Etienne Anheim, historien du Moyen age, anime un séminaire sur Pétrarque à l’EHESS

Estelle Doudet, professeure ordinaire en littérature française XIVe-XVIe siècle, Université de Lausanne.

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