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Géant suisse de la littératurePandémie, surpopulation, extrémisme… Dürrenmatt
avait vu juste!

De son bureau neuchâtelois où l’homme à la pipe à écrit la plupart de ses textes (ici en 1970), il avait imaginé les dérives de ce monde.

Peter Brook, qui a mis en scène «The Visit» en 1958, voyait déjà en Dürrenmatt «un homme de son temps et de tous les temps». Les textes de ce visionnaire parlaient de son époque, qu’il s’agisse de la guerre mondiale, du communisme ou de l’affaire des fiches. «Ils trouvent de fortes résonances encore aujourd’hui, car Dürrenmatt a écrit de grandes paraboles qui traversent les époques», relève Peter Utz, ancien professeur de littérature allemande à l’UNIL.

1. L’écologie

«La pièce «Portrait d’une planète» compte parmi les premiers textes de la littérature allemande traduisant une conscience écologique. Dans le style de Dürrenmatt bien sûr, qui prend une distance énorme avec son sujet», observe Peter Utz. Très préoccupé par les armes et les déchets nucléaires, l’auteur a aussi soulevé les problèmes de pollution, de surpopulation et de tourisme de masse. «Val pagaille» met en scène, dans une fable cruelle, une rivalité qui se développe entre un grand hôtel et le village alpin qui l’abrite. Le tout finit en apocalypse.

2. Le système qui s’emballe

Dans «Hercule et les écuries d’Augias», l’auteur décrit comment Hercule est chargé de débarrasser le fumier qui envahit peu à peu un pays, mais les commissions créées n’arrivent pas à s’entendre sur la manière de s’y prendre, et finalement rien n’est fait. «Il décrypte merveilleusement la mécanique d’un système qu’on ne sait plus comment arrêter, si bien que le fumier continue de monter - ou pour nous aujourd’hui, le plastique ou le CO2», observe Pierre Bühler.

3. L’exception suisse

«Dürrenmatt défendait l’idée qu’il n’y a pas lieu de parler de «Sonderfall», de cas particulier suisse, c’est un mythe qui enferme au lieu de donner des solutions. Il le dit à propos de la Seconde Guerre mondiale. Dans un autre contexte, la pandémie en apporte une illustration parfaite», observe Peter Utz.

En 1990, Dürrenmatt jette un grand froid lorsqu’il prononce son discours «Pour Vaclav Havel», sous le titre original de «Die Schweiz – Gefängnis» (nrdl: «La Suisse, une prison»).  Pour lui, l’idée de cas particulier de la Suisse est un mythe qui enferme au lieu de donner des solutions.

4. La pandémie

Dans «L’épidémie virale en Afrique du Sud», l’écrivain imagine un virus très particulier qui transforme les Blancs en Noirs, mettant ainsi fin à l’apartheid. «Le tunnel», où le train que prend tous les jours le héros plonge subitement dans les entrailles de la terre, devient métaphore de la situation actuelle. «Même si on nous promet actuellement si souvent la lumière qui pointe à son bout, nous sommes dans ce tunnel, sans savoir quand nous en sortirons», estime Peter Utz. La figure du Minotaure, qui revient souvent dans son œuvre, évoque aussi la désorientation actuelle.

5. Le fondamentalisme

En 1947 «Les fous de Dieu» est la première pièce jouée de Friedrich Dürrenmatt. Elle s’inspire de la «révolte de Münster», où un groupe d’anabaptistes extrémistes a cherché à établir le royaume de Dieu sur terre, dans l’Allemagne du XVIe. À sa création, la pièce fait scandale, une partie du public la jugeant blasphématoire. Elle apparaît aujourd’hui comme une lucide mise en garde contre les extrémismes.

6. La science

«Les physiciens» soulève la question de la responsabilité des savants, tandis que le poème «Les cerveaux électroniques», dont une traduction française a été publiée dans «Dürrenmatt, la liberté de penser», anticipe l’autonomisation des robots. Il n’avait pourtant pas vu l’IA coréenne Kim, la première animatrice de télé virtuelle.

Le manuscrit des «Cerveaux électroniques» tiré de «Philosophie und Naturwissenschaft. Essays, Gedichte und Reden» imagine l’autonomisation de l’intelligence artificielle:

7. L’argent

«Frank V, opéra d’une banque privée» met en scène des «gangsters du capitalisme d’une manière suffisamment théâtrale pour se réactualiser à chaque scandale bancaire en Suisse ou ailleurs», estime Marie-Pierre Walliser-Klunge.

8. Le pouvoir

Dans «Romulus le Grand», qui se déroule en 476  apr. J.-C., l’empereur attend tranquillement l’invasion des barbares qui provoqueront la chute de l’Empire romain, en nourrissant ses poules à qui il a donné des noms d’empereurs. Écrite en 1948, la pièce évoque la faillite des idéologies et le délicat exercice du pouvoir. Car plutôt qu’une capitulation, ne faut-il pas déceler dans cet apparent attentisme un projet politique? Marie-Pierre Walliser-Klunge voit en tout cas dans ce Romulus un «anti-Trump par excellence».